• Le temps goth des ravageurs

    by  • 29 mai 2015 • Extraits • 0 Comments

    Jongleurs au Moyen Âge

    Jongleurs au Moyen Âge

    Extrait de La Littérature française pour les Nuls – éditions First, 2005

    En direct du Moyen Âge

    « Oyez, oyez, bonnes gens… » Qu’attendez-vous pour aller ouïr ? Voici qu’arrivent dans la cour du château dont vous êtes le seigneur – ou le porteur d’eau – les jongleurs ! L’un d’eux tient au bout d’une courte chaîne un ours muselé ; un autre, en habit bariolé, fait des cabrioles ; et voici le troisième, sa vielle sur l’épaule. C’est lui qui annonce le programme de la soirée : « … où vous entendrez les hauts faits des preux chevaliers, les exploits de l’empereur Charlemagne… » Arrêt sur image : nous sommes au XIIème siècle. Maintenant, retour en arrière sur le début du Moyen Âge, et même un peu plus loin, sur ce qui le précède…

    Le temps goth des ravageurs

    Les Gaulois adoptent la culture de leurs envahisseurs romains qui leur garantissent la paix pour trois siècles. La langue et la culture latines s’installent en Gaule pour des millénaires. Mais, les barbares sont de plus en plus difficiles à contenir aux frontières de l’empire romain. Les voici qui déferlent en Gaule, en 406. En 476, le dernier empereur romain est déposé. Aujourd’hui, on situe en cette année le début du Moyen Âge.

    Le latin sans peine

    52 av JC. Vercingétorix le Gaulois dépose ses armes aux pieds de Jules César, à Alésia ! C’en est fini des querelles entre tribus chevelues, c’en est fini des druides qui interdisaient qu’on écrivît (subjonctif imparfait), se réservant l’étude des sciences qu’ils jugeaient dangereux de laisser se développer dans la tête de n’importe qui. Fini les sacrifices douteux dans la forêt des Carnutes ! Bonjour le latin. Bienvenue aux œuvres des poètes, des philosophes romains et grecs. La pax romana – la paix romaine –  s’installe tranquillement. Lyon devient la capitale des Gaules. Les Gaulois sont tout fiers d’y déambuler en toge après avoir quitté leurs braies. Dans les autres grandes villes on quitte aussi ses braies devant les Romains, on assimile le latin sans peine.

    Que demande le peuple ?

    Ier siècle, IIème siècle de notre ère : le christianisme s’installe en Gaule. Bien sûr, ses premiers temps sont difficiles : la jeune Blandine subit un atroce supplice parce qu’elle ne veut pas renier sa foi, en 177. Mais l’empereur Constantin finit par constater que cette religion pouvant servir à unifier son empire est la meilleure qui soit. Un empire, un Dieu, un commerce florissant. Que demande le peuple gaulois ? Rien de plus ! Il est heureux autant que faire se peut. Et pourtant…

    L’année terrible

    406, l’année terrible. 406 ! Cette année-là, les barbares venus de l’est franchissent le Rhin gelé du côté de Mayence. Ils déferlent sur la Gaule, caracolent, violent, pillent, tuent puis s’installent. Il y a les Suèves, les Alains, les Burgondes. Il y a les Vandales, les champions du… vandalisme. Au sud, ce sont les Wisigoths qui pillent Rome en 410. Ils vont ensuite s’installer en Aquitaine. Ces temps goths aquitains sont un va et vient chaotique et dévastateur. À peine un siècle plus tard, nouvelle invasion par le nord : celle des Francs. Bientôt, Clovis devient leur roi. Un roi à l’appétit féroce, qui met sous sa coupe les Wisigoths d’Aquitaine en 507, après la bataille de Vouillé. Clovis dont le royaume dépasse les frontières de la France actuelle, a pour grand-père Mérovée, le fondateur de la dynastie mérovingienne, brutale et cruelle, qui règne jusqu’en 755.

    Le saviez-vous ?

    Le Moyen Âge ? Quel Moyen Âge ?

    Les historiens ont fixé le début du Moyen Âge à la chute de l’empire romain, en l’an 476. Il se termine en l’année 1453 au cours de laquelle les Trucs prennent la ville de Constantinople, le 29 mai, à peine deux mois avant la dernière bataille de la guerre de cent ans, à…Castillon-la-Bataille, près de Bordeaux, le 17 juillet. Faites la soustraction (de tête !) : 1453 – 476 = ? Si vous avez passé plus de deux minutes pour trouver la réponse, vous venez d’échouer à l’ancien examen d’entrée en sixième… Mais, dans l’instant, vous avez répondu : 977 ans ! Bravo, vous pouvez entrer à Polytechnique – pour visiter, seulement… On peut arrondir à 1000 ans. Le Moyen Âge dure donc un millénaire (entre l’an 500, environ, et l’an 1500). Lorsqu’on parle du Haut Moyen Âge, on fait allusion à ce qui s’est passé entre le Vème et le Xème siècle.

    Le français : un vrai roman

    De ses racines grecques, latines, gauloises, gothes, wisigothes et francques, la langue romane va devenir peu à peu la langue du pays de France tout entier. La première copie de la langue française est issue d’une promesse de fidélité. Deux langues vont en naître, une au nord, l’autre au sud, avant d’être réunies par la langue centralisatrice : le francien, presque le français.

    Lueur dans les ténèbres

    Des Goths, des Francs partout ! Que reste-t-il des Romains, des Gallo-romains, de la langue latine, de la culture, de l’esprit latins qui irriguaient la douce Gaule ? Pas grand-chose ! Et il s’en est fallu de peu que tout disparaisse, que les écrits des poètes, des philosophes de la Rome antique gagnent pour toujours le silence éternel des espaces infinis. Mais, au plus fort de la tourmente, dans les ténèbres du savoir, une petite lueur  brille, obstinée, à la fenêtre de quelque monastère, de quelque lieu sacré : les hommes d’Église veillent. Ils maintiennent l’enseignement de la lecture, de l’écriture. Ils forment des fonctionnaires qui sont très appréciés des nouveaux souverains Goths ou Francs peu à peu convertis au christianisme. Des évêques comme Sidoine Apollinaire au Vème siècle, Venance Fortunat au VIème siècle, des moines, continuent la pratique des genres anciens.

    Plaisir de lire

    Heureux Fortunat

    Venance Fortunat est devenu évêque de Poitiers en 600. Auparavant, venu d’Italie, il a fait un tour de Gaule en célébrant toujours ses hôtes à travers des poèmes écrits en latin. En voici un, traduit en français, où se trouvent à la fois célébrés le père Yriex,  des fruits dorés, les couleurs, le ventre, la bouche, le gosier…

    Les fruits

    Me voici arrivé par une heureuse route à Chantebland / Où je me réjouis de retrouver le Père Yriex / Et comme mon gosier exigeant réclame pour mon ventre insatiable / Voilà que des fruits dorés attirent mes regards / De tous côtés accourent des pommes de teintes diverses / On dirait que je suis tombé sur un festin de peinture / À peine touchées du doigt, elles sont englouties dans ma bouche / Croquées sous la dent, et voilà la proie chassée / De son lieu qui émigre dans mon ventre / De fait, la saveur me charme avant que mon nez ait aspiré le parfum / Ainsi, quand le gosier triomphe, le nez perd ses droits.

    Latin en promo

    Au IXème siècle, Charlemagne (742 – 814) constate que, dans son immense empire, on parle trente-six langues, de multiples dialectes qui sont autant de petits latins en liberté – c’est ce qu’on appelle  la rustica romana lingua, la langue romaine rustique : le roman. Avec son moine lettré Alcuin (735 – 804), il décide alors de faire une grande campagne de promotion pour la culture et la langue latines classiques, afin de mieux unifier son empire. Les résultats sont certes positifs pour le latin classique qui retrouve une nouvelle jeunesse, mais le roman, plus pratique, demeure la langue la plus répandue.

    842 : Serment de coeur

    C’est en langue romane qu’après la mort de leur père Louis 1er  le Pieux (778 – 840), les deux frères Charles le Chauve et Louis le Germanique se jurent mutuelle assistance et fidélité de coeur contre… leur autre frère Lothaire – tous les trois sont les petits-fils de Charlemagne. Ce serment est prononcé à Strasbourg en 842. Il constitue l’entrée officielle du roman sur la scène de l’écriture, et par là même, le premier portrait de la langue française. L’année suivante, en 843, les trois frères réconciliés – provisoirement – se réunissent à Strasbourg afin de se partager l’empire paternel. À Charles le Chauve revient la Francia occidentalis derrière laquelle vous reconnaissez, à peine déguisée par le latin d’époque : la France !

    Le saviez-vous ?

    842 : le serment de Strasbourg

    Les tout premiers mots de la langue qui aboutit à celle que nous parlons aujourd’hui mettent en scène le principal engagement des deux frères : la fidélité. Un sentiment bien français… : Pro Deo amur et pro Christian poblo et nostro commun salvament, d’ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon frade Karlo et in aiuhdha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son frada salvar dift, in o quid il mi altresi fazet et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fadre Karle in damno sit.  Traduisons : Pour l’amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun à partir d’aujourd’hui, et tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère selon l’équité, à condition qu’il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles…

    La martyre de Valenciennes

    Après le serment de Strasbourg, le plus ancien texte du français des origines est conservé à la bibliothèque municipale de Valenciennes. Il a été composé à l’abbaye de Saint-Amand toute proche de cette ville du Nord, en 878, lorsque les reliques de sainte Eulalie ont été exhumées. En vingt-neuf vers rythmiques, on y apprend l’histoire d’une jeune fille -Eulalie – qui préfère subir le martyre et conserver sa virginité, plutôt que de tomber dans les griffes du diable et de subir la déchéance morale.

    Plaisir de lire

    878 : La Cantilène de Sainte Eulalie

    Buona pulcella fut Eulalia. Bel avret corps, bellezour anima. Voldrent la veintre li Deo inimi, Voldrent la faire diaule servir. Elle no’nt eskoltet les mals conselliers Qu’elle De o raneiet, chi maent sus en ciel, Ne por or ned argent ne paramenz Por manatce regiel ne preiement. Niule cose non la pouret omque pleier La polle sempre non amast lo Deo menestier. E por o fut presentede Maximiien, Chi rex eret a cels dis soure pagiens. (…)

    Traduction : Eulalie était une bonne jeune fille. Elle avait le corps beau et l’âme plus belle encore. Les ennemis de Dieu voulurent la vaincre; Ils voulurent lui faire servir le Diable. Elle n’écoute pas les mauvais conseillers qui lui demandent de renier Dieu qui demeure au ciel là-haut, Ni pour de l’or, ni pour de l’argent, ni pour des bijoux Ni par la menace ni par les prières du roi. Rien ne put jamais la faire plier ni amener La jeune fille à ne pas aimer toujours le service de Dieu. Et pour cette raison elle fut présentée à Maximien Qui était en ces temps-là le roi des païens (…)

    L’ancien francien

    Le latin demeure la langue des lettrés qui en conservent la forme classique, celle du 1er siècle avant notre ère, celle qui est parvenue jusque dans les salles de classe d’aujourd’hui où on l’enseigne encore, la qualifiant de langue morte, alors qu’à travers ses avatars, elle est plus vivante que jamais. La langue romane est celle du peuple. Elle va se diviser en deux grands groupes selon la façon dont le mot « oui » est prononcée : la langue d’oil au nord, la langue d’oc au sud. Plus tard, c’est le francien qui va mettre d’accord ces deux façons de parler. Le francien, c’est le patois de l’île de France, lieu d’exercice du pouvoir. Il va être peu à peu imposé à la France tout entière, devenant ainsi la langue nationale que vous comprenez en lisant ces mots, que vous soyez provençal, breton, béarnais, languedocien, ardennais, alsacien, parisien…

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