• Depuis le 20 octobre 2016 en librairie, Les Fables de La Fontaine, choisies et commentées par JJJ, illustrées par Chaunu

    by  • 1 novembre 2016 • JJJ dans les Salons, Le JJJ du jour, Ses livres • 0 Comments

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    Introduction

     

    « C’était l’hiver ; le grain était mouillé et les fourmis le faisaient sécher. Une cigale qui avait faim leur demanda à manger. « Pourquoi, lui dirent-elles, n’as-tu pas fait de provisions pendant l’été ?

    – Je n’étais pas oisive, dit-elle, je chantais en artiste.

    – Ah l’été, tu étais musicienne repartirent les fourmis en riant ; en hiver fais-toi danseuse. »

     

    Il ne faut être négligent en rien, sous peine de s’exposer aux chagrins et aux périls. »

     

    Voilà ce que, peu ou prou, le jeune Jean de La Fontaine lut un jour au collège, au milieu des années 1630, dans son Château-Thierry natal. Sans doute cette courte histoire terminée par une morale – cet apologue – lui fut-elle présentée en latin quoique son créateur, l’esclave affranchi et bossu Esope, fût grec, originaire de Phrygie – l’actuelle Turquie. En effet, les « maîtres de campagne » qui initiaient aux belles lettres le « bon garçon fort sage et fort modeste » qu’était Jean de La Fontaine ne jugèrent pas utile de lui apprendre le grec. Plus tard, lorsqu’il eut besoin de puiser dans la réserve des apologues helléniques ou hellénistiques (d’Alexandre le Grand à la conquête romaine), il eut recours aux bons services de Jean Racine.

    Trente années passent. La Fontaine atteint quarante-cinq ans.

    À dix-neuf ans, il s’est cru bâti pour porter toute sa vie la soutane et le surplis. Puis il se

    ravise et se persuade qu’une robe d’avocat lui siérait à merveille. Sans succès. Le voici en 1647 au bras de la jeune Marie Héricart, 14 ans – il en a 26 – cousine de Jean Racine, et qui a revêtu en ce 10 novembre brumeux, la robe d’épousée. Onze ans et un fils plus tard, les époux sont séparés de biens. Jean a vendu ses terres, il ne lui reste presque rien. Sauf un rêve : écrire, écrire encore. Écrire des contes d’abord, à la mode du temps, lestes souvent, des vers qui sur lui attirent l’attention des Grands, de Fouquet par exemple avant sa disgrâce. Jean essaiera de plaider en vers la cause de son ami auprès du roi. En vain.

    Quarante-cinq ans… Bien installé dans la sphère littéraire, ami de Boileau, de Molière, de Racine, ses familiers, il lui vient un jour cette idée : les apologues, tels ceux qu’il traduisit au collège de Château-Thierry, ou plus tardivement, si courts, si concentrés, ne gagneraient-ils point en agrément de toutes sortes si on les accommodait aux lois de la poésie ? Du rythme, des rimes, de la scansion, et surtout, de la narration, afin que la morale qu’on en tire ne soit point assénée comme vérité brute, mais sécrétée doucement, au fil des vers, comme on distille une essence.

    Il s’en ouvre au pontife des lettres en ce temps-là, l’académicien Olivier Patru qui l’en dissuade, prétextant que l’apologue et le poème mêlés dilueront la pensée, l’inscriront dans une forme bâtarde d’où ni l’une ni l’autre ne sortira grandie.

    Soit. Mais qu’importe ! Ce que Patru ignore, c’est que déjà la Fontaine a construit sa fabrique. Il dispose d’une matière variée, originale, abondante : les apologues qu’ils a lus, relus, traduits, ou qu’il a rencontrés au fil de ses lectures, qui l’ont surpris, fait sourire, étonné, ému…

    Et il veut les redire, les écrire à sa façon.

    Point d’invention pour l’intrigue, les épisodes et la chute. Tout a été créé par Esope, Phèdre, Pilpay, Abstémius, Pilpay, Verdizotti…

    On y trouve, à travers les brefs épisodes où apparaissent des animaux et des hommes tous les travers de la nature humaine, les erreurs de jugement, les excès de pouvoir, les ruses, les cruautés, les naïvetés dont tout le monde est capable à toute époque, coupable ou victime ; on y devient le familier du lion, de l’oiseau, de l’âne et du chien, du lièvre et du serpent, du rat, des grenouilles et de la poule, et tout cela mêlé d’humains, où l’on se reconnaît, soi-même ou son voisin…

    Rien à faire ! Tout est écrit et tout est dit ! Rien à faire, voilà de quoi satisfaire Jean qui, dès 1659, a écrit son épitaphe où se trouve soulignée son ardeur au travail :

     

    Épitaphe d’un paresseux

     

    Jean s’en alla comme il était venu,

    Mangea le fonds avec le revenu,

    Tint les trésors chose peu nécessaire ;

    Quant à son temps, bien le sut dispenser :

    Deux parts en fit, dont il soulait (1)  passer

    L’une à dormir et l’autre à ne rien faire.

     

    Rien à faire ? Cela signifie : point de travail, ce terme qui puise son sens étymologique dans la torture. Point de travail, seulement du plaisir ! Le plaisir d’imaginer, de créer un petit monde où va se dérouler l’événement. Chercher des rythmes qui épousent les faits, ajuster le vers aux méandres, aux sursauts de l’histoire, laisser les mots imiter les sons de l’action (« Aussitôt que le char chemine – char chemine, char chemine… – n’entend-on pas la roue du coche dans le fin gravier du chemin ?…), ajouter çà et là des observations glanées dans la société du temps, dans le monde des Grands, chez les petites gens, ceux-ci parfois devenant ceux-là, et l’inverse. Sertir l’affaire de sentences personnelles qui étayent la morale de l’histoire. Et, par-dessus tout, le plaisir d’effectuer une mise en scène. Qui et que mettre d’abord sur les planches ? L’hiver ? Non. Le grain ? Non. L’humidité ? Non. Les fourmis ? Non. Par qui, par quoi commencer ? On imagine Jean de La Fontaine qui jubile d’avoir soudain trouvé la réponse au milieu de sa promenade, et qui l’écrit dès son retour : La cigale, oui, d’abord la cigale, et que ce soit gai, que cela réjouisse : « ayant chanté, la cigale ayant chanté », voilà un bon début. « Tout l’été », saison de lumière, de chaleur, de bonheur… Le lecteur s’installe confortablement dans la fable. «La cigale ayant chanté / Tout l’été/… » trois syllabes seulement pour la brièveté de la saison : tout l’été… Continuons. La Fontaine est aux prises avec le vent, la bise qui siffle soudain… Comment en rendre le son afin que le lecteur en soit traversé ? « La Cigale ayant chanté tout l’été / Se trouva fort dépourvue / Quand la bise fut venue… » Et voilà ! Avez-vous entendu le « u – u » de la bise, son sifflement dans la fenêtre disjointe, sa plainte dans les branches sèches de l’hiver ? « Pas un seul morceau / De mouche ou de vermisseau »… oh, oh.. Ô, ô, on entend à la fois la surprise de la cigale stupéfaite et le début de sa supplication à la fourmi…

     

    Et tout, ou presque, dans les douze livres de fables, peut être ainsi analysé en observant dans le détail la mise en scène – digne des plus grands qui œuvrent dans le 7e art -, les angles de prise de vue, les travelings, les gros plans, les champs contre-champs, les arrêts sur image, le cadrage, le bruitage, le montage, les dialogues, les focales, la plongée, les contre-plongées…

    À lui seul, La Fontaine, c’est Chaplin et Chabrol, c’est Lelouch ou Polanski, Woody Allen, Renoir, Claude Berri, de Sica…

    À lui seul, c’est la vie et tout son cinéma.

     

    Il a réécrit tout cela venu des Anciens. À merveille. Avec cette fantaisie étonnante, cette grâce dans la pratique des vers et des rimes, cette souplesse dans leur succession, cette danse constante des mots, étourdissante de légèreté, virtuose, audacieuse dans sa syntaxe, rassurante dans sa rigueur.

     

     

    On a dit La Fontaine plein d’audace, esprit frondeur, dénonciateur des abus de toutes sortes. Oui, mais… Le voit-on pourfendeur du pouvoir et des Grands ? Parfois. Mais toujours la mesure revient, jamais l’emportement – il n’est que de lire ou relire « Les Membres et l’Estomac ». Louis XIV, assure-t-on, ne l’aimait pas. Pourquoi donc le reçut-il de façon fort aimable en 1669 lorsque le poète lui présenta sa Psyché ? Pourquoi le Grand Roi lui adressa-t-il à cette occasion de flatteuses paroles ? Pourquoi accepta-t-il que ses fables fussent dédicacées à son fils, Monseigneur le Dauphin ? Oui, mais pourquoi s’opposa-t-il dans un premier temps à ce que le fabuliste devienne académicien ? C’est que de bonnes âmes lui avaient rapporté que le bonhomme Jean aimait (autant que lui, et peut-être davantage !) la gent féminine, la gaudriole, et la fréquentation de lieux où la fraîcheur des ans donne l’illusion de l’éternelle jeunesse… Boileau fut élu dans la noble assemblée et annonça à ses confrères : « Vous pouvez recevoir incessamment Monsieur de La Fontaine, il a promis d’être sage ». Et Louis XIV s’empressa d’ouvrir au sybarite bonhomme Jean les portes de l’immortalité.

     

    C’est avant tout de la nature humaine que traitent les apologues de La Fontaine. Riches ou pauvres, seigneurs ou manants, dominés ou puissants, victimes ou criminels, généreux ou pingres, malins ou naïfs, sages ou fous, tous, quels qu’ils soient, ont quelque chose de nous qui lisons, évaluons, jugeons, et surtout acceptons pour modèle la morale proposée. En faire bon usage ? C’est une autre affaire. D’Ésope à aujourd’hui, en passant par le natif de Château-Thierry, les fables, les apologues et leurs petites histoires, ce sont nos miroirs.

     

    Jean-Joseph Julaud

     

     

     

     

     

     

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