Max Jacob, jongleur d’images
by jjj • 26 avril 2015 • Poème quotidien • 0 Comments
Drôle, joyeux, Max Jacob est un poète du jeu, du jeu avec les mots, il jongle avec les images, y laisse des clins d’œil malicieux, contagieux… Max, un poète au quotidien, comme il en faudrait cent et mille, loin de la morgue et du mépris dont se parent les paons fiers de leur plume, loin de toute vanité, Max, il vous accueille à sa table avec son petit sourire plein d’humanité, pour faire de la poésie, franche lippée.
Mon étoile jaune
24 février 1944, sombre jeudi à Saint-Benoît-sur-Loire : la Gestapo arrête à la sortie de l’église l’homme qui vient de servir la messe – il la sert depuis 1936, l’année de son installation définitive dans le village. En 1942, il a été obligé de porter l’étoile jaune : « Jadis, personne ne me remarquait dans la rue. Maintenant, les enfants se moquent de mon étoile jaune. Heureux crapaud ! Tu n’as pas d’étoile jaune ! » Ainsi s’exprime l’amertume, le chagrin de cet homme dans l’un de ses poèmes qui paraît l’année suivante, dans le recueil Derniers poèmes. Cet homme, c’est Max Jacob. La Gestapo l’emmène. En 1942, son beau-frère, Lucien Lévy est mort au camp de Compiègne, ainsi que sa sœur Julie-Delphine. Son frère Gaston a été déporté à Auschwitz en 1943. Il y est mort. Janvier 1944 : sa sœur Myrté-Léa et son mari meurent aussi en déportation.
La mort à Drancy
Max est jeté en prison, transféré au camp de Drancy. Gravement malade, il pourrait être soigné, sauvé mais les conditions de sa détention ne lui laissent aucune chance. Il meurt le 5 mars au matin. Il est inhumé, conformément à sa volonté, dans le cimetière de Saint-Benoît-sur-Loire. Ainsi a disparu, victime de la barbarie nazie, l’un des poètes les plus originaux de la langue française, le plus indépendant, celui qui a tracé seul sa route, ne se réclamant d’aucun mouvement, créant le sien, sans demander qu’on le suive, unique !
Le cheval respire
Voici, de Max, un petit poème en prose extrait de « Le Cornet à dés ». Rêverie où se marient la fantaisie, l’étrange et la poésie…
Plaisir de lire
Un sourire pour cent larmes
Le cheval respire avec peine : la drogue qu’il reçut pour lui donner du zèle a trahi le projet! et les idoles au faîte des monts ne paraissent pas encore. L’homme insensé piquait les flancs de son cheval et l’univers n’était pas plus grand qu’une calebasse. L’étendard de fumée marquait le sol natal. Reculer? jamais on n’est sorti d’ici. Plus avant ? hélas! le cheval va mourir sur place. Mais voici qu’on entend des musiques dans l’air, c’est comme si l’on grillait de l’idéal. Le printemps joue aux boules avec des arbres verts, et quarante poulains sont vomis par le val.
Max Jacob – Le Cornet à dés, 1917
Une drôle d’apparition
Max Jacob est né à Quimper, le 12 juillet 1876. Féru d’astrologie, ayant constaté que ce jour lui était maléfique, il affirmait qu’il était né le 11 juillet, jour plus favorable à son destin ! Il fait de brillantes études dans sa ville natale avant de partir vivre à Paris. Il entre à l’Ecole coloniale qu’il abandonne quelques semaines plus tard. Professeur de piano, astrologue, magasinier, peintre (artiste peintre…), critique d’art sous le nom de Léon David, clerc d’avoué… Poète avant tout : Max fait la rencontre de Picasso en 1901. Il partage avec lui une chambre boulevard Voltaire. Apollinaire, Braque deviennent leurs familiers. Installé au 7 de la rue Ravignan, en 1907, Max Jacob y reçoit, deux ans plus tard, une visite, celle du Christ. Ni plus, ni moins. Il se convertit au catholicisme – il est baptisé le 18 février 1915, Picasso est son parrain. Il se retire à Saint-Benoît-sur-Loire de 1921 à 1927, puis de 1936 à 1944.
Le maître du poème en prose
C’est là que nous quitte pour Drancy, et pour jamais, l’auteur des Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel (1911), du Cornet à dés (1917), du Laboratoire central (1921), de Filibuth ou la montre en or (1922), des Poèmes de Morven le Gaélique parus en 1953, et de tant d’autres œuvres variées, attachantes, étonnante. La poésie de Max Jacob est celle du jeu avec les mots. Il excelle dans l’art de trouver dans les sonorités des signes qu’il utilise comme passerelle vers d’autres mots, créant ainsi des images étranges, inattendues et pittoresques. Qu’elle soit en vers ou en prose – il est devenu, avec le Cornet à dés, le maître incontesté du poème en prose -, son écriture surprend toujours parce qu’elle invite à prendre d’utiles distances avec le sens ordinaire, rationnel, convenu. C’est ailleurs que demeure sa vérité.
Max en oeuvres
Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel – 1912
Cornet à dés – 1917
La Défense de Tartufe – 1919
Le roi de Boétie – 1921
Filibuth ou la montre en or – 1922
Les poèmes de Morvan le Gaélique – 1931