• Lamartine et son Lac, première partie

    by  • 15 mars 2015 • Extraits • 1 Comment

    Barque sur le lac du Bourget, près d'Aix-les-Bains en Savoie.

    Barque sur le lac du Bourget, près d’Aix-les-Bains en Savoie.

    Etonnante aventure littéraire, politique, humaine, que celle de ce grand aristocrate héritier d’une immense fortune qu’il laisse fondre par inadvertance et indifférence pendant qu’autour de son « je » intime se construit son œuvre dont on retient surtout les thèmes élégiaques, qui disent l’amour, la mort et leurs chagrins. Lamartine illustre jusqu’à la caricature ce que le romantisme véhicule d’émouvant et d’irritant.

    Des vers en vogue sur les « Ô »…

    En 1820, lorsque paraissent les Méditations poétiques de Lamartine, on en parle partout, on se les arrache, on les apprend par cœur, on se les récite, on se les dit, on se les lit jusqu’à la pamoison… Lamartine écrit des vers comme jamais on n’en a lus. On y découvre qu’un homme parle pour la première fois du cœur et de ses peurs, de ses victoires et de ses doutes, de ses tristesses, de ses défaites, et tout cela de façon simple, compréhensible et sensible, lisible enfin par le plus grand nombre. On peut enfin avec le poète se pencher sur son moi, s’épancher sans retenue, pleurer au bord de son lac, avec lui, sans lui, avec qui on veut, avec soi, n’importe quand. On existe enfin par la poésie.

    Alphonse fait des vers

    Début juillet 1809. A Wagram, en Autriche, au nord de Vienne, plus de deux cent mille soldats sous les ordres de Napoléon écrasent en deux jours – et plus de cinquante mille morts –  l’armée de l’archiduc Charles. Dans la propriété tranquille des Lamartine, à Milly, près de Mâcon en Bourgogne, Alphonse, dix-neuf ans, fait des vers. 1811 : Alphonse a vingt et un ans. Il doit partir se battre pour l’empereur quelque part en Europe. Pour l’empereur ? Ce mot n’existe pas chez les Lamartine. Napoléon, à Milly, s’appelle l’Usurpateur. On achète pour Alphonse un remplaçant, c’est légal, qui ira se faire tuer à sa place. Juin 1812. La Grande Armée, sept cent mille hommes, s’ébranle vers Moscou. Parmi elle, Henri Beyle, le futur Stendhal. Alphonse, de retour d’un voyage en Italie depuis avril, tout ébloui encore de la lumière de Naples et du regard d’Antoniella, la beauté embrasée qu’il a aimée là-bas à la folie, rêve d’épopées de légende qu’il commence à versifier, tout en séduisant la fort jolie Nina Dezoteux, épouse du comte de Pierreclau, le propriétaire du château de Comartin. Un fils naîtra de cette union…

    Alphonse a mal au foie

    1814 : l’Usurpateur fatigué se repose à l’île d’Elbe. On rappelle les rois en France. Les Lamartine sont ravis. Alphonse devient garde du corps du podagre (vous n’avez qu’à chercher dans le dictionnaire !) Louis XVIII – il souffre de goutte aux pieds. Mars 1815 : l’Usurpateur, son grand chapeau et ses grandes bottes sont de retour. Tout le monde déguerpit. Louis XVIII en Belgique. Alphonse en Suisse. Juin 1815 : Waterloo. C’en est fini de Napoléon. On trottine de nouveau vers Paris où le royalisme ambiant comble Pierre de Lamartine, le père d’Alphonse qui avait défendu les Tuileries et le roi Louis XVI le 10 août 1792. Octobre 1816 : Alphonse a mal au foie. Il part faire une cure au bord du lac du Bourget à Aix-en-Savoie pour les plumes littéraires, Aix-les-Bains pour l’administration. Il y rencontre Julie Charles, née Bouchaud des Herettes, la femme du physicien qui avait réalisé en 1783 la première ascension en ballon. Julie tente d’échapper à une tuberculose galopante.

    Les sources du Lac

    Alphonse et Julie se promènent longuement, de l’aube au soir, et même la nuit, sur les rives du lac du Bourget. Les voyez-vous qui disparaissent au loin, là-bas ? Ils sont bien longtemps, ne reviennent pas. Ah, si, les voilà. Ce qu’ils ont dit, ce qu’ils ont fait, on ne le sait pas. Mais on ne va pas tarder à le lire. En effet, Julie et Alphonse, se quittant à la fin d’octobre, se sont juré de se retrouver à Paris, ce qui se produit en janvier 1817. Alphonse ne rejoint la Bourgogne qu’en mai. Les deux amants se donnent rendez-vous à Aix-les-Bains en août. En août, Alphonse est là, sur les bords du lac, assis sur une pierre… Julie ne viendra pas. Elle meurt en décembre, embrassant un crucifix d’argent qu’elle fait porter à Alphonse qui, en 1869, mourant, le fixera jusqu’à son dernier souffle.

    Thomas et son temps

    Alors, que se sont dit Julie et Alphonse lorsqu’ils ont disparu tout à l’heure sur les rives du lac du Bourget, et qu’ont-ils fait ? C’est tout simple : ils ont loué le service de rameurs qui les ont emmenés voguer sur le doux silence de l’eau, ce qui enflamme l’âme, mis à part, bien sûr, le clap clap des rames. Alphonse se rappelle les détails de cette promenade dès août 1817, Julie n’étant pas de retour. Sûr qu’elle ne pourra revenir, il compose les premiers vers de son élégie fameuse, sa plainte amoureuse: La Lac. Se rappelle-t-il à cette occasion avoir lu quelque jour à Milly l’Ode sur le temps, qu’Antoine-Léonard Thomas écrivit en 1760, et dont voici un extrait ?

    Ô Temps, suspends ton vol, respecte ma jeunesse ;

    Que ma mère, longtemps témoin de ma tendresse,

    Reçoive mes tributs de respect et d’amour ;

    Et vous, Gloire, Vertu, déesses immortelles,

    Que vos brillantes ailes

    Sur mes cheveux blanchis se reposent un jour.

    Simples, simplistes, simplets…

    Ce ne serait pas impossible… Tous les romantiques ont fait la même chose, pillant ou grapillant ici ou là, consciemment ou non, leurs aînés du XVIIIe siècle qu’ils passent pourtant au feu de leur critiques. Cette élégie, Le Lac, va être publiée dans un mince recueil de 24 poèmes qui paraît en 1820 et devient en quelques semaines, un best-seller : Méditations poétiques. Lamartine y promène son « je » mélancolique et inquiet à travers les vallons, les fleurs, les zéphyres et l’automne, les sentiers et les bois, images et sensations fixées d’idéale façon en des vers simples – simplistes et simplets entend-on dès cette époque aussi, jusqu’à aujourd’hui –  à la portée de n’importe quelle sensibilité.

    La blanche colombe

    Même si Lamartine, depuis 1820, est criblé des coups faciles que lui décochent ses détracteurs, l’accusant de sensiblerie, d’être, selon Flaubert « sans (…lisez sa correspondance, vous saurez…) », selon Gracq « trop mou », selon Green « ampoulé, d’une platitude honteuse », selon Rimbaud  « quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille », son « Lac » demeure et franchit tous les âges. Certains, peut-être vous, l’emportent partout et par cœur en cas d’urgence ; ils en échangent les meilleurs vers avec d’autres collectionneurs, à part et en secret, sinon c’est très mal vu, on ne vous parle plus, vous êtes un ringard, un pleurnichard… La bave du crapaud n’atteignant pas la blanche colombe, étendez vos ailes et laissez-vous porter au plus haut, de vous-même, au plus doux de la rêverie qu’en ces vers, voici :

    Le lac

    Remarquez les quatrains au début composés de trois alexandrins successifs et d’un hexamètre à rimes croisées ; ensuite, lorsque Julie – qui  se nomme Elvire dans les méditations – prend la parole, le deuxième alexandrin devient un hexamètre – :

    Plaisir de lire

     

    Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,

    Dans la nuit éternelle emportés sans retour,

    Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges

    Jeter l’ancre un seul jour ?

     

    Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,

    Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,

    Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre

    Où tu la vis s’asseoir !

     

    Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,

    Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,

    Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes

    Sur ses pieds adorés.

     

    Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;

    On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,

    Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence

    Tes flots harmonieux.

     

    Tout à coup des accents inconnus à la terre

    Du rivage charmé frappèrent les échos ;

    Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère

    Laissa tomber ces mots :

     

     » Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !

    Suspendez votre cours :

    Laissez-nous savourer les rapides délices

    Des plus beaux de nos jours !

     

     » Assez de malheureux ici-bas vous implorent,

    Coulez, coulez pour eux ;

    Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;

    Oubliez les heureux.

     

     » Mais je demande en vain quelques moments encore,

    Le temps m’échappe et fuit ;

    Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore

    Va dissiper la nuit.

     

     » Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,

    Hâtons-nous, jouissons !

    L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;

    Il coule, et nous passons !  »

     

    Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,

    Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,

    S’envolent loin de nous de la même vitesse

    Que les jours de malheur ?

     

    Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?

    Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !

    Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,

    Ne nous les rendra plus !

     

    Éternité, néant, passé, sombres abîmes,

    Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?

    Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes

    Que vous nous ravissez ?

     

    Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !

    Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,

    Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,

    Au moins le souvenir !

     

    Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,

    Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,

    Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages

    Qui pendent sur tes eaux.

     

    Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,

    Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,

    Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface

    De ses molles clartés.

     

    Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,

    Que les parfums légers de ton air embaumé,

    Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,

    Tout dise : Ils ont aimé !

     

    Alphonse de Lamartine – Méditations poétiques, 1820

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    One Response to Lamartine et son Lac, première partie

    1. Gerald Simard
      25 janvier 2014 at 5 h 04 min

      LA PREUVE

      Bonjour,

      Une minute,

      Le poème L’AUTOMNE de Lamartine a été obligatoire à l’éducation depuis 1857 au Canada et à différentes date dans d’autres pays et nos grands-parents devaient l’apprendre par cœur (avec preuve). On sait grâce à la télévision que les prêtres et curés qui enseignaient le français été très dure, avec le bâton et la ceinture et même en abusant des élèves. Nos prédécesseurs ont appris le poème L’AUTOMNE de Lamartine avec son interprétation avec le bâton et la ceinture.

      C’est pour cette raison, qu’il y a juste une vieille interprétation que l’on a toujours accepté les deux yeux fermés de peur de ne pas se faire aimer par l’église et le voisinage…..

      Aujourd’hui grâce aux meilleurs dictionnaires encyclopédiques de littérature nous pouvons avoir notre propre opinion et interprétation, , JE SUIS sur le point de faire sortir toutes les copies des archives des musées Lamartine et ceux de Paris en rapport à Lamartine et Julie Bouchaud pour faire la démonstration que l’interprétation de ce poème est splendide et plein de romance. Ce qui démontre sans le moindre doute que L’AUTOMNE est un éloge funèbre pour une dame.

      Et toutes les preuves sont dans mon blogue avec PRESQUE tous les liens qui le prouve.

      http://automne-alphonse-de-lamartine.blogspot.ca/

      POUR L’HONNEUR DE JULIE FRANÇOISE BOUCHAUD DES HÉRETTES
      Il me manque juste la cerise sur le gâteau, soit la preuve de la lecture du poème dans une église ou dans un cimetière à Paris entre 1817 à 1825 environ……..

      UNE PERSONNE EN FRANCE EST SUR CE DOSSIER……..

      Merci, votre opinion serait immensément la bienvenue

      Gérald Simard
      30 rue Taché
      Baie-Comeau, Québec, Canada
      G4Z 1V9
      gerald41@cgocable.ca

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