• La dictée pour les Nuls 2012 : Jules et Marcel

    by  • 10 mars 2015 • Les dictées JJJ • 0 Comments

    "Le boulevard Haussmann". Antoine Blanchard (1910 - 1988)

    « Le boulevard Haussmann ». Antoine Blanchard (1910 – 1988)

    Plus de 250 personnes ont participé cette année 2012 à la Dictée pour les Nuls, lue par Nâzim Boudjenah de la Comédie-Française. Pour la première fois, un participant a réussi à faire un zéro faute. Il s’agit de Julien Soulié, de Lille, qui avait déjà terminé premier l’an dernier. Un grand merci à tous les participants (et aux correcteurs, ainsi qu’à tous ceux qui ont oeuvré pour préparer ce troisième rendez-vous avec les difficultés de la langue française). Félicitations aux 10 premiers (liste à la fin de la correction).

    Salon du livre de Paris
    Samedi 17 mars 2012
    13h30

    Dictée pour les Nuls

    Jules et Marcel

    Dix-sept mars mille neuf cent douze à Paris. Devant le numéro quatre-vingt du boulevard Haussmann, un intrigant hourvari s’est fait entendre : les passagers d’une automobile De Dion-Bouton bleu sombre et quelque dix à douze passants se sont lancé des injures et des anathèmes déplacés. La voiture est partie en trombe, et les passants se sont regardés stupéfaits : le conducteur et les passagers n’étaient autres que Jules Bonnot et sa bande !
    Sur le trottoir d’en face, un jeune homme aux cheveux de jais a poursuivi son chemin, frôlant des rhododendrons, des cattleyas, puis des forsythias jaune paille qu’il abhorre car l’asthme obstiné l’assaille à leur contact.
    Son penchant naturel pour le songe l’a poussé à confier à quatre cent vingt pages une histoire d’âme qu’annihilent parfois les transports amoureux. Il s’en va rue Madame, chez son éditeur. Mais, sous ses pas, tant de rues se sont succédé qu’il s’est égaré, ainsi que nous nous perdons parfois dans ses phrases labyrinthiques…
    « Pour mon titre, se dit-il, j’abandonne la métaphore des stalactites créées par les âges, je veux sur ma couverture une image à caractère autrement fort : Le Temps perdu ! Puis j’écrirai Sodome et Gomorrhe. Dans cent ans, on me lira encore ! »
    Rue Madame, l’éditeur André Gide a dit non. Un mois et demi plus tard, Jules Bonnot est tombé sous les balles ; et Gide avait tort. Marcel Proust – tout le monde vous a reconnu – on vous lit aujourd’hui, et dans cent ans, on vous lira encore.

    Jean-Joseph Julaud

    Correction de la Dictée pour les Nuls

    Jules et Marcel

    Dix-sept : un trait d’union au-dessous de cent, sauf pour vingt et un, trente et un, etc.

    Dix-sept mars : pas de majuscule aux noms de mois – sauf en début de phrase -, ce sont des noms communs

    Mille neuf cent douze : mille (ou mil) neuf cent douze : pas de « s » à cent qui est suivi d’un autre nombre (douze) ; pas de traits d’union car on est au-dessus de cent.
    Dans une date, quand mille est suivi d’un ou plusieurs nombres, on écrit de préférence mil – mais « mille » est aussi accepté.

    Devant le numéro quatre-vingt : habituellement, on ajoute un « s », marque du pluriel, à quatre-vingts ; mais dans « le numéro quatre-vingt », il s’agit d’un rang, l’équivalent de quatre-vingtième, on n’ajoute pas de « s ».

    Haussmann : Georges Eugène Haussmann, préfet de la Seine du 23 juin 1853 au 5 janvier 1870, ce nom propre s’écrit avec deux « s » et deux « n ».

    Un intrigant hourvari : « intrigant » est ici un adjectif verbal. Il est issu du verbe intriguer. L’adjectif verbal ne conserve pas le « u » du radical du verbe. Le participe présent conserve ce « u », par exemple dans cette phrase : « Intriguant contre la reine des pommes, ce mécréant a fini en compote ».

    Un intrigant hourvari : le mot « hourvari » commence par un « h » aspiré. « Hourvari » est un terme de vénerie qui désigne le cri des chasseurs rappelant les chiens. Au sens figuré, un « hourvari » est un tapage, un grand tumulte.

    Un intrigant hourvari s’est fait entendre : fait, participe passé du verbe faire, se termine par un « t »

    Les passagers d’une automobile De Dion-Bouton : La société De Dion-Bouton fut fondée en 1883 par le Nantais Jules-Albert de Dion et le fabricant de jouets scientifiques Georges Bouton. Les Brigades du Tigre – unités de policiers dévouées au « Tigre » Clemenceau – qui ont fait l’objet d’un feuilleton télévisé utilisaient les mêmes voitures que celles des malfaiteurs : des De Dion-Bouton.

    Une automobile De Dion-Bouton bleu sombre : l’adjectif de couleur « bleu » ne s’accorde pas ici, car il est suivi d’un adjectif le qualifiant. Il faut entendre : une automobile (d’un) bleu sombre »

    Et quelque dix à douze passants : l’adjectif indéfini « quelque » possède ici le sens de « environ ».

    Dix à douze passants se sont lancé des injures : le verbe « lancer » est ici conjugué à la voix pronominale : « se lancer ». Il est donc conjugué avec l’auxiliaire être, mais on cherche le complément d’objet direct en substituant à l’auxiliaire être l’auxiliaire avoir : Dix à douze passants ont lancé quoi ? Ils ont lancé « des injures » : le COD est placé après le participe passé, on ne l’accorde pas – il ne s’accorde que si le COD vient avant lui dans la phrase.

    Et des anathèmes déplacés : le mot « anathème » qui désigne une sorte d’agression verbale est du genre masculin

    La voiture est partie en trombe : le mot « trombe » est au singulier, il faut entendre : « comme une trombe », la « trombe » étant un mouvement atmosphérique soudain et violent dans l’air orageux.

    Les passants se sont regardés stupéfaits : on accorde le participe passé « regardés », on se trouve dans le cas de l’accord du participe passé d’un verbe conjugué pronominalement. On utilise donc l’auxiliaire avoir pour chercher le COD : les passagers ont regardé qui ? Ils ont regardé « se » qui représente la même personne que « les passants ». Le pronom « se » COD est placé avant le participe passé, on accorde « regardés » au masculin pluriel.

    Le conducteur et les passagers n’étaient autres que Jules Bonnot et sa bande : Jules Bonnot est un anarchiste français né le 14 octobre 1876 et mort le 28 avril 1912. Il fut le meneur de la « bande à Bonnot », un groupe qui a multiplié les braquages et les meurtres en 1911 et 1912.

    Sur le trottoir d’en face, un jeune homme aux cheveux de jais : le jais est une variété de lignite d’un noir brillant : cheveux de jais, et non pas cheveux de geai, le geai étant un oiseau au joli plumage brun rosé, blanc, bleu vif et noir.

    Frôlant : accent circonflexe sur frôlant.

    Des rhododendrons : le rhododendron est une plante à fleurs ovales ; le mot est formé de deux mots grecs : « rhodos » qui signifie « rose », et « dendron » qui signifie « arbre ».

    Des cattleyas : « cattleya » ou « catleya ». Le nom de cette orchidée a été choisi par John Lindley, botaniste anglais (1799-1865) en hommage au botaniste anglais William Cattley (1788 – 1835). Au pluriel : des « cattleyas » ou des « catleyas ».

    Des forsythias : un forsythia est un arbuste ornemental à fleurs jaunes ; son nom est issu de celui du botaniste anglais William Forsyth (1737-1804).

    Des forsythias jaune paille : des forsythias d’un jaune paille ; lorsque l’adjectif de couleur est accompagné d’un adjectif qualificatif, on n’effectue pas l’accord avec le nom, et on ne met pas de trait d’union.

    Il abhorre : le verbe abhorrer vient du latin « abhorrere » qui a le sens de « se détourner de », et, partant, signifie « éprouver de l’aversion pour quelque chose »

    L’asthme obstiné l’assaille à leur contact : le mot « asthme » vient du latin « asthma » lui-même tiré du grec, qui signifie « essoufflement » ou « angoisse ». Le nom « asthme » est du genre masculin.

    Son penchant naturel pour le songe l’a poussé à confier à quatre cent vingt pages : pas de traits d’union au-dessus de cent. On écrit donc : quatre cent vingt pages.
    Pas de « s » à cent qui est multiplié mais suivi d’un autre nombre. Sans le nombre « vingt », on écrirait « quatre cents ».

    Une histoire d’âme qu’annihilent parfois les transports amoureux : le verbe « annihiler » vient du latin « adnihilare » qui signifie « réduire à rien ».

    Il s’en va rue Madame, chez son éditeur : la rue Madame tient son nom de Marie-Joséphine de Savoie, princesse de Sardaigne, épouse de « Monsieur », le Comte de Provence, futur Louis XVIII, frère du roi Louis XVI.

    Mais, sous ses pas, tant de rues se sont succédé qu’il s’est égaré : le participe passé du verbe succéder – verbe transitif indirect, qui ne peut donc avoir de COD – demeure invariable.

    Ses phrases labyrinthiques : le mot « labyrinthe » est emprunté au latin «labyrinthus » qui désigne un bâtiment dont il est difficile de trouver l’issue. Il est ici employé métaphoriquement.

    J’abandonne la métaphore des stalactites créées par les âges : le mot « stalactite » – de même que « stalagmite » – est du genre féminin.
    Marcel Proust a longtemps hésité avant de donner un nom à son œuvre entière : « À la recherche du temps perdu », essayant ces titres parfois surprenants : « Les Stalactites du passé », « Devant quelques stalactites du passé », « Reflets dans la patine », « Le Passé prorogé », « Ce qu’on voit dans les patines »…

    Je veux sur ma couverture une image à caractère autrement fort : on peut écrire, selon que l’on considère ou non cette image comme un titre: « Le Temps perdu » ou « le temps perdu ».

    Puis j’écrirai Sodome et Gomorrhe : Dans la Genèse, au temps d’Abraham, les deux villes Sodome et Gomorrhe sont détruites par une « pluie de feu » car les mœurs de ceux qui y vivent provoquent la colère divine. Le nom « Gomorrhe » signifie « submersion » en hébreu.

    Dans cent ans, on me lira encore !
    La gouvernante de Marcel Proust, Céleste, rapporte ces paroles de l’écrivain : « Et vous verrez, Céleste, rappelez-vous bien cela : si, comme il est dit dans cet article, Stendhal a mis cent ans pour être connu, Marcel Proust, lui, mettra à peine cinquante ans. »

    Rue Madame, l’éditeur André Gide a dit non. Un mois et demi plus tard, Jules Bonnot est tombé sous les balles ; et Gide avait tort. Marcel Proust – tout le monde vous a reconnu – on vous lit aujourd’hui, et dans cent ans, on vous lira encore.

    Les dix premiers

    1 – Julien Soulié, 0 faute
    2 – Paul Levart, 1 faute
    2 – Cédric Jeancolas, 1 faute
    4 – Gwenaël Kergunteuil, 2 fautes
    4 – Isabelle Grenier, 2 fautes
    6 – Slobodan Despot, 3 fautes
    7 – Alain Vircondelet, 4 fautes
    7 – Pierre-Louis Rochet, 4 fautes
    7 – Jacqueline Goyffon, 4 fautes
    7 – Pierre Vavasseur, 4 fautes

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