• Contre la grippe : la poésiethérapie

    by  • 14 mars 2015 • Textes à lire • 0 Comments

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    Extrait de « Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie », paru aux éditions du Cherche midi en janvier 2012.

     

    Cela commence par des frissons qui plantent finement en votre épine dorsale, leurs hameçons. Par mille points précis, quelque part on vous ferre, on vous pêche, et vous voilà au lit.

    Vient-on vous voir ? Fort peu car vous êtes contagieux. Quelque bouillon, quelque potion sont déposés du bout des doigts par qui vous serrait, vous pressait, vous gardait contre soi la nuit entière « Reste, reste, ne bouge pas, j’ai froid ! J’ai besoin de toi »

    Mais alors ! La beauté qui s’apeure ne vous avait donc pris que pour un radiateur ? Vous voilà surpris. Cette femme, amante et presque mère, parfaite tant que vous fûtes à ses genoux, vous voyant allongé et sans force, laisse passer un inquiétant dégoût.

    Pourtant, la fièvre est là, qui siège pour trois jours. Vos bras, vos jambes, vos orteils, vos doigts, et tout ce qui bouge, sans commande parfois, est devenu flanelle.

    Votre front est pâle, et les moiteurs qui l’ont envahi auraient besoin d’être rafraîchies. Vous avez l’impression que votre cœur devient transparent.

    Profitez alors d’un pic de fièvre pour simuler un délire. Vous aurez, dès le début de l’automne, au lieu de vous faire vacciner, appris par coeur le poème de Verlaine « Mon rêve familier », efficace pour toute affection.

    Récitez-le bien fort. Normalement, la porte devrait s’ouvrir sans bruit sur une forme hésitante, bouleversée, légèrement piquée de jalousie, qui viendra s’asseoir sur le bord du lit, pleurant tout doucement, en rafraîchissant les moiteurs de votre front blême, ce qui est essentiel.

    Vous l’entendrez alors vous dire « Mais, cette femme, c’est moi, tu ne me reconnais pas ? ». Différez votre réponse afin que, pour longtemps, le doute plane. Il est parfois si bon d’avoir été malade.

     

     Mon rêve familier

     

    Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

    D’une femme inconnue, et que j’aime et qui m’aime,

    Et qui n’est chaque fois, ni tout à fait la même

    Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

     

    Car elle me comprend, et mon cœur, transparent

    Pour elle  seule hélas ! cesse d’être un problème

    Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

    Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

     

    Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.

    Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore

    Comme ceux des aimés que la vie exila.

     

    Son regard est pareil au regard des statues,

    Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a

    L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

     

    Paul Verlaine

     

    Notre conseil : Vérifiez quand même discrètement qui vient d’entrer lorsque vous récitez « Mon rêve familier », l’infirmière rôde dans les parages.

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