• La Dictée pour les Nuls 2010 : « Annales des crues centennales »

    by  • 12 mars 2014 • Les dictées JJJ, Revue de presse

    L'avenue Montaigne lors de la crue de la Seine en janvier 1910

    L’avenue Montaigne lors de la crue de la Seine en janvier 1910

     

    Paru dans: Livres hebdo
    Date: 27 mars 2010

     

     

     
    Voici le texte de la dictée :

    La dictée pour les Nuls
    Salon du livre de Paris
    Samedi 27 mars 2010

     

    Texte de Jean-Joseph Julaud, auteur de
    Ciel, ma dictée !
    Éditions First

    Annales des crues centennales

    En une demi-heure, il y a trois semaines et demie, une espèce de maelstrom enragé mettait violemment sens dessus dessous les côtes vendéennes. Quelles qu’en soient les raisons, et quelque tragiques qu’en aient été les conséquences, ces apogées imprévus des colères de Téthys, épouse du dieu Océan, ne doivent pas faire oublier les emportements d’Alphée, le dieu des fleuves. En effet, pendant les deux mille ans qui nous ont précédés, les crues de la Seine se sont succédé au rythme de quatre ou cinq par siècle, la plus spectaculaire datant de mille neuf cent dix. Cette année-là, le 20 janvier, les Parisiens se sont doutés que la Seine s’était laissé prendre d’assaut, en amont, par ses affluents débordants.
    Malgré l’exhaussement des rives, le boulevard Haussmann, l’hôpital des Quinze-Vingts, qu’avaient envahis les eaux, ont subi le même drame que mille autres lieux de la capitale. Dans des sortes de galiotes pilotées par de soi-disant mariniers, les descendants des Parisii se sont alors empressés de charger des bric-à-brac à transporter au sec : tableaux de maîtres aux maries-louises gondolées, aquarelles avec des passe-partout boursouflés, et même les Dahlias de Cézanne tremblotant dans leur vase de Delft, tout cela au milieu d’écritoires cassées, de chrysanthèmes fanés ou de planisphères écornés. Il fallut deux mois pour que la Seine regagnât son lit. En ce moment, elle dort, pâlotte, elle grelotte. Jusqu’à sa prochaine ribote ?

    Jean-Joseph Julaud
    Mars 2010

    Corrigé de la dictée pour les Nuls
    par Jean-Joseph Julaud, auteur de
    Ciel, ma dictée !
    Editions First

    27 mars 2010
    Salon du livre, Paris

    Annales : nom féminin pluriel, recueil relatant les événements année par année.
    Annale, adjectif au féminin singulier, désigne ce qui est valable un an.

    Crues : une crue désigne l’augmentation rapide et importante du volume des eaux. Crue est le participe passé féminin substantivé du verbe croître. Le participe passé masculin substantivé du verbe croître est « cru » : un excellent cru. Le participe passé du verbe croître s’écrit avec un accent circonflexe : crû. Exemple : cette crise a crû rapidement. On écrit un cru classé, les grands crus du bordelais.

    Centennales : une crue centennale risque de survenir tous les cent ans en moyenne.

    En une demi-heure : devant un nom, demi est invariable et relié à celui-ci par un trait d’union (de même que mi, nu et semi).
    Après le nom, demi s’accorde (mi, nu, et semi aussi).
    Ex : Une demi-heure.
    Ex : Trois heures et demie.
    Ex : Il est arrivé nu-pieds.

    Une espèce de (et non un espèce de) car une détermine le nom espèce qui est du genre féminin.

    Maelstrom : c’est un tourbillon marin très rapide. Maelstrom vient du hollandais mal : tourbillon, et strom : courant.
    On accepte les autres orthographes données par les dictionnaires Robert et Larousse : malstrom, maelström, maelstrom, et maëlstrom (Gracq).

    Violemment : adverbe formé à partir de l’adjectif violent qui garde son « e » prononcé « a » dans l’adverbe violemment.
    Exemples d’adverbes formés à partir d’adjectifs en « ent » ou « ant » : apparent, apparemment – différent, différemment – évident, évidemment – fréquent, fréquemment – intelligent, intelligemment – négligent, négligemment – patient, patiemment – prudent, prudemment…
    Brillant, brillamment – constant, constamment – courant, couramment – élégant, élégamment – méchant, méchamment…

    Sens dessus dessous : lorsqu’on subit une vive perturbation, pour quelque raison que ce soit, on dit en général : Je suis sens dessus dessous.
    Si cette perturbation concerne une pièce, une maison, on dira qu’elles sont aussi sens dessus dessous, et non sans dessus dessous comme on l’écrivait au XVIème siècle.

    Les côtes vendéennes : côte prend un accent circonflexe pour désigner la frontière entre terre et mer. Une cote qui désigne une mesure n’en prend pas. L’adjectif vendéenne ne prend pas de majuscule ici. Si c’était un nom, on mettrait une majuscule : J’ai rencontré une Vendéenne.

    Quelles qu’en soient les raisons : que les raisons en soient (n’importe) quelles, quels qu’en soient les motifs : que les motifs en soient (n’importe) quels.

    Quelque ou quel que ? Quelque en un mot, c’est l’adjectif indéfini, il est donc suivi d’un nom commun ou d’un adjectif qualificatif.
    Quel que en deux mots, c’est l’adjectif relatif quel suivi de que, l’ensemble quel que (en deux mots) formant un adjectif indéfini.
    Dans quel que (en deux mots) toujours suivi du verbe être (ou pouvoir être) au subjonctif, quel est attribut du sujet du verbe être et s’accorde donc avec ce sujet.

    Quelque tragiques qu’en aient été les conséquences : dans quelque…que encadrant un adjectif, « quelque » ne s’accorde pas car il a une valeur adverbiale, on peut le remplacer par « si ». Devant un nom, « quelque » s’accorde.
    Un exemple avec quelque… que encadrant un adjectif qualificatif : Quelque mécontents que soient la pigeonne et le pigeonneau, ce pigeon sera rôti ce soir ! (on peut remplacer « quelque » par « si », adverbe).
    Un exemple avec quelque… que encadrant un nom commun : Quelques regrets (ou quelque regret) que vous en ayez, il faut sacrifier ce pigeon (quelques s’accorde avec regrets, nom commun).

    Ces apogées imprévus : apogée est du masculin, un apogée, ces apogées imprévus.

    Téthys : dans la mythologie grecque, Téthys est une déesse marine. Elle ne doit pas être confondue avec la nymphe Thétis, une Néréide, mère d’Achille.

    Alphée : fils d’Océan et de Téthys, c’est un dieu fleuve, considéré comme le dieu des fleuves.

    Les deux mille ans : mille (1000) est invariable.

    Les deux mille ans qui nous ont précédés : précédé est un participe passé conjugué avec l’auxiliaire avoir. Dans ce cas je cherche le COD en posant la question qui ou quoi au verbe : les deux mille ans qui ont précédé qui ? La réponse est « nous », pronom personnel situé avant le participe passé, donc j’accorde ce participe passé avec « nous », pluriel : précédés.

    Les crues se sont succédé : le participe passé succédé est invariable, il ne s’accorde jamais parce que le verbe succéder ne peut avoir de COD, on ne succède pas quelqu’un ou quelque chose, on succède à quelqu’un ou à quelque chose.

    Mil (ou mille) neuf cent dix : pas de « s » à cent qui est suivi d’un autre nombre (dix) ; pas de traits d’union car on est au-dessus de cent, on met des traits d’union au-dessous de cent, sauf à vingt et un, trente et un, quarante et un, etc.
    Dans une date, quand mille est suivi d’un ou plusieurs nombres, on écrit de préférence mil – mais « mille » est aussi accepté.

    Les Parisiens : majuscule à Parisien qui est ici un nom propre. Si parisien était un adjectif, on ne mettrait pas de majuscule : le charme parisien.

    Les Parisiens se sont doutés : certains verbes pronominaux, comme s’apercevoir (de quelque chose) ne sont pas réfléchis, c’est-à-dire que le pronom personnel « se » ne peut être COD (on ne s’aperçoit pas soi-même lorsqu’on s’aperçoit de quelque chose). Le participe passé de ces verbes qui forment au point de vue du sens une unité indivisible avec leur pronom complément, s’accordent avec le sujet.
    En voici la liste presque complète : s’apercevoir , s’acharner, s’achopper , s’approprier, s’attacher à, s’attaquer, s’attendre, s’aviser, se douter, s’échapper, s’ennuyer, se jouer, se plaindre, se prévaloir, se refuser à, se résoudre à, se ressentir de, s’en retourner, se saisir, se servir, se taire.

    La Seine s’était laissé prendre d’assaut : lorsque le participe passé est suivi d’un infinitif, il s’accorde si son sujet fait aussi l’action du verbe à l’infinitif, par exemple dans : la Seine s’est laissée couler. Mais dans la dictée, la Seine n’a pas pris d’assaut, elle a été prise d’assaut par les affluents. Le pronom personnel « s’ » est COD de prendre d’assaut et non de laisser (pour accorder le participe passé d’un verbe pronominal, on substitue au verbe être le verbe avoir et on cherche le COD) Le Conseil supérieur de la langue française recommande l’invariabilité de ce participe lorsqu’il est suivi d’un infinitif.

    L’exhaussement : les rives avaient été surélevées, leur hauteur avait été augmentée. Il ne faut pas confondre exhaussement et exaucement qui est l’action d’exaucer, d’accorder ce qui a été demandé.

    Haussmann : le boulevard porte le nom du baron Georges Eugène Haussmann – préfet de la Seine de 1853 à 1870 – qui a dessiné le Paris actuel ; Haussmann, le baron, prend deux « s », deux « n »

    L’hôpital des Quinze-Vingts (centre hospitalier national d’ophtalmologie) : fondé par Louis IX, il comportait quinze fois vingt lits, c’est-à-dire trois cents lits. On a longtemps utilisé pour compter, le système vicésimal qui prend vingt pour base.

    Le boulevard Haussmann, l’hôpital des Quinze-Vingts, qu’avaient envahis les eaux : les eaux avaient envahi quoi ? « qu’ », pronom relatif mis pour « Le boulevard Haussmann, l’hôpital des Quinze-Vingts », masculin pluriel, donc j’accorde au masculin pluriel le participe passé : envahis.

    Des sortes de galiotes : le mot galiote est un dérivé de galère, lui-même dérivé de galée, lui-même dérivé d’un mot grec désignant un poisson de mer rapide, ressemblant au requin. Galiote est du féminin.

    De soi-disant mariniers : soi, dans soi-disant, est un pronom personnel équivalant à « se » ; soi-disant signifie donc : se disant, des mariniers se disant mariniers.

    Les descendants des Parisii se sont alors empressés : le mot Parisii, avec ses deux « i » est la désignation latine du nom de la tribu gauloise qui était implantée sur le lieu qui a depuis pris le nom de… Paris. Le verbe s’empresser est un verbe pronominal proprement dit ; le participe passé des verbes pronominaux proprement dits s’accorde avec le sujet ; ici, le sujet est « les Parisii », on écrit donc : les Parisii se sont empressés, en accordant empressés avec les Parisii.

    Charger des bric-à-brac : bric-à-brac est invariable.

    Tableaux de maîtres aux maries-louises gondolées: une marie-louise est la moulure fixée sur le bord intérieur d’un cadre. Au pluriel, on écrit des « maries-louises », mais s’il s’agit des soldats de Napoléon recrutés parmi les jeunes classes de 1814 et 1815, on écrit des « Marie-Louise », du nom de l’impératrice Marie-Louise d’Autriche.

    Des passe-partout boursouflés: mot composé du verbe « passe » qui ne varie pas, et d’un adverbe « partout », invariable aussi ; on écrit donc « des passe-partout ». Boursouflés s’accorde avec passe-partout et ne prend qu’un « f ».

    Et même les Dahlias de Cézanne tremblotant dans leur vase de Delft : les Dahlias prend ici une majuscule car c’est le titre d’un tableau.
    Le « h » de « dahlia » est situé avant le « l », c’est le botaniste suédois Andrea Dahl [1751-1789] qui apporta cette plante du Mexique en Europe à la fin du XVIIIe s.
    Les Dahlias de Cézanne tremblotant dans leur vase : tremblotant possède ici une valeur verbale car il est suivi d’un complément circonstanciel de lieu : dans leur vase de Delft ; c’est un participe présent invariable, il ne s’accorde pas avec Dahlias.
    Delft, la ville de Hollande située entre La Haye et Rotterdam, produisait au XVIIe siècle de la faïence appelée porcelaine tant elle en avait l’apparence – mais la Hollande ne disposant pas de kaolin, ce ne pouvait être de la porcelaine..

    Au milieu d’écritoires cassées : écritoire est du féminin

    Chrysanthèmes fanés : chrysanthème (étymologiquement : fleur d’or) est du masculin

    Planisphères écornés : planisphère est du masculin ; c’est la projection plane du globe terrestre.

    Il fallut deux mois pour que la Seine regagnât son lit : lorsque, dans la proposition principale, on a une idée de nécessité, d’obligation, on emploie le subjonctif dans la subordonnée. Ici, le temps du subjonctif est l’imparfait – avec « ât » – ; il respecte la concordance des temps car dans la principale on a un passé simple : il fallut.

    En ce moment, elle dort, pâlotte, elle grelotte. Jusqu’à sa prochaine ribote ? Pâlotte et grelotte prennent deux « t », ribote n’en prend qu’un.

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