• Le doux Racine, deuxième partie

    by  • 15 mai 2013 • Extraits • 0 Comments

    Les tourments de Phèdre

    Jean Racine ! N’est-ce point lui aussi qui met sur les lèvres enfiévrées de Phèdre, la « fille de Minos et de Pasiphaé » (tragédie représentée en 1677, d’après Euripide, Ve siècle av J-C), le terrible aveu qu’elle fait à sa nourrice Oenone : elle est amoureuse de son beau-fils Hyppolite, fils du roi grec Egée. Et cet aveu rassemble avec tant de justesse l’universel tourment des passions douloureuses qu’on peut y reconnaître, tout ou partie, son propre chemin de chagrin d’hier ou d’aujourd’hui :

     

    Phèdre, à Oenone

    Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d’Egée

    Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,

    Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,

    Athènes me montra mon superbe ennemi.

    Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;

    Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;

    Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;

    Je sentis tout mon corps et transir et brûler ;

    Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,

    D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.

    Par des vœux assidus, je crus les détourner :

    Je lui bâtis un temple et pris soin de l’orner ;

    De victimes moi-même à toute heure entourée,

    Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.

    D’un incurable amour remèdes impuissants !

    En vain sur les autels, ma main brûlait l’encens :

    Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,

    J’adorais Hippolyte ; et le voyant sans cesse,

    Même au pied des autels que je faisais fumer,

    J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.

    Je l’évitais partout. O comble de misère !

    Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.

    Contre moi-même enfin, j’osai me révolter :

    J’excitai mon courage à le persécuter.

    Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,

    J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;

    Je pressai son exil, et mes cris éternels

    L’arrachèrent du sein et des bras paternels.

    Je respirai, Onon ; et depuis son absence,

    Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence,

    Soumise à mon époux et cachant mes ennuis,

    De son fatal hymen, je cultivais les fruits.

    Vaine précautions ! Cruelle destinée !

    Par mon époux lui-même à Trézène amenée,

    J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :

    Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.

    Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :

    C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.

     

    Jean Racine (Phèdre, Acte I, scène 3)

     

    Un compositeur

    D’où vient que la musique des pièces de Racine nous accompagne si longtemps, parfois réduite à un seul vers qui pourtant vaut tout un poème, et même une œuvre entière : « Dans un mois, dans un an… ». Voici quelques éléments pour expliquer le mystère Racine…

    Racine à bonne école

    Racine est né à la Ferté-Milon (dans l’Aisne) en décembre 1639, un peu plus d’un an après le futur Louis XIV. Orphelin de mère à treize mois, de père à trois ans, il est recueilli par une tante qui s’est retirée près du monastère de Port-Royal des Champs. C’est la chance du futur grand Racine : il y fait ses études auprès d’excellents maîtres qui appliquent une pédagogie éclairée, plaçant le questionnement de l’élève au centre de leur patiente éducation, au lieu que les jésuites pratiquent par dizaines les coups de règle correcteurs, et le cachot punitif ! Les jésuites détestent Port-Royal. Port-Royal finira par être rasé. Racine ravit Monsieur Nicole son professeur de latin, Monsieur Lancelot son professeur de grec, et tous les autres, Messieurs Lemaître et Hamon, si paternels avec lui.

    Pas de rudesse à l’oreille !

    Monsieur Nicole lui donne des recettes d’écriture qu’il appliquera toute sa vie : point de mots trop chargés en syllabes, d’utiles respirations pour le vers au moyen de termes courts, et puis la musique des voyelles, celle de la lettre a ou bien du i… surtout, pas de rudesse à l’oreille ! La langue devient pour lui une matière sonore qu’il assouplit sans relâche, il en rabote les aspérités, la rend fluide et douce, avec des réflexes de compositeur de musique. Ce n’est pas l’abondance des mots qui élève au plus haut la poésie dramatique, c’est l’assemblage qu’on en fait. La gamme de Racine en comporte deux mille seulement. C’est peu si on se penche sur des œuvres qui en affichent cinq ou six mille. Mais la gamme racinienne dans ses ajustements économes et denses, crée un langage qui dépasse les mots eux-mêmes, dans leur bercement tendre et désenchanté.

     

    Pension et tragédies

    Après le studieux Port-Royal et le très sérieux collège d’Harcourt, Racine entre en 1660 à l’école du plaisir, dans les salons où se lisent les dernières comédies à la mode, les poèmes qui font rêver les dames si bien disposées à aller un peu plus loin si affinités… Mais il faut vivre, c’est-à-dire trouver de l’argent, et ce n’est pas le métier d’auteur qui en rapporte ! Auteur ? Une occupation de miséreux, méprisée ! Après un séjour en Languedoc qui le ravit, et d’où il termine ainsi une lettre à ses amis : … et nous avons des nuits plus belles que vos jours , il écrit une ode à Louis XIV qui se rétablit d’une rougeole – les remèdes qu’il a pris ont failli le faire mourir ! Le poète obtient une confortable pension, écrit onze tragédies et une comédie en vingt-sept années avant de mourir en 1699.

     

    La chaîne amoureuse

    Le ressort des intrigues fort simples des tragédies de Racine repose souvent sur la chaîne amoureuse : un personnage en aime un autre qui en aime un autre qui en aime un autre, etc.. Ainsi, dans Andromaque (1667), Oreste, le grec, aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort… Les spectateurs de l’époque raffolent de ces situations qui ne sont pas sans rappeler certains feuilletons télévisés diffusés l’après-midi sur de grandes chaînes privées ou nationales…

    Racine en pièces

    Les onze tragédies et la comédie de Racine sont en alexandrins

    1664 – La Thébaïde – reprise du mythe d’Oedipe

    1665 – Alexandre le Grand – Alexandre, en plein milieu d’une bataille, vient courtiser la belle Cléofile…

    1667 – Andromaque – Pyrrhus, fils d’Achille, veut épouser la veuve d’Hector

    1668 – Les Plaideurs – seule comédie de Racine, c’est une irrésistible satire de la justice. Elle fit rire aux larmes Louis XIV

    1669 – Britannicus : Néron, le monstre naissant,  fait empoisonner Britannicus, son rival dans le cœur de Junie

    1670 – Bérénice : Bérénice désespérée, comprend que Titus doit la renvoyer malgré lui, afin de devenir empereur de Rome

    1672 – Bajazet : Roxane aime Bajazet qui aime Atalide…

    1673 – Mithridate : les deux fils de Mithridate sont amoureux de sa fiancée Monime

    1674 – Iphigénie : Agamemnon manque de vent pour partir à la guerre de Troie. Il doit sacrifier sa fille…

    1677 – Phèdre : Phèdre, épouse de Thésée,  aime son beau-fils Hippolyte qui aime Aricie

    1689 – Esther : Esther sauve les Juifs que le roi de Perse voulait exterminer

    1691 – Athalie : la reine Athalie veut éteindre la lignée des descendants du roi David. Elle est mise à mort

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