• Camaron

    by  • 12 septembre 2008 • Entretiens

    Cinq années ont passé depuis la parution de Café grec en 2003, période pendant laquelle vous avez été particulièrement prolifique. Ce retour au roman était très attendu par vos lecteurs. Et par vous ?

    En novembre 2003, il m’a fallu choisir : ou bien j’écrivais un nouveau roman pour le Cherche Midi, ou bien je signais avec First le contrat de L’Histoire de France pour les Nuls. J’ai choisi First, me disant que mon projet de roman allait mûrir et qu’en septembre 2004, je commencerais sa rédaction. Mais, vous le savez, en septembre 2004, les éditions First me demandaient d’écrire La Littérature française pour les Nuls… J’ai donc reporté à septembre 2005 le projet roman… qui a encore été différé puisque c’est La Géographie française pour les Nuls qui m’a mobilisé jusqu’en 2006. Ces trois livres m’ont demandé une telle somme de travail que je n’ai pu envisager de me remettre à l’écriture romanesque qu’en janvier 2007… au moment où paraissait en librairie un roman traitant le sujet que j’avais choisi en 2003, et devenu depuis un roman à succès. C’est un pur hasard. J’aurais pu malgré tout écrire ce que j’avais imaginé, mais je me suis dit que je n’allais pas faire mieux que ce que je venais de découvrir. Il m’a donc fallu trouver un autre thème, une autre histoire. L’idée s’est emparée de moi le 11 février 2007 à 1 heure du matin, heure française, c’est-à-dire 7h du soir à l’aéroport de Montréal où je me trouvais, attendant l’avion qui me ramenait à Paris. J’avais encore plusieurs projets à terminer pour First, des salons du livre ici ou là, des mises à jours pour certains ouvrages, toutes choses qui m’interdisaient de commencer immédiatement les recherches nécessaires à la rédaction du livre.

    Le grand succès du style que vous avez créé avec l’Histoire de France a-t-il influencé votre écriture romanesque ?

    Ce sont plutôt les livres de la collection Les Nuls qui ont bénéficié des techniques d’écriture que j’ai utilisées dans mes romans. Tout en respectant scrupuleusement les faits historiques, j’ai laissé aller au fil des pages un style qui m’est propre, avec ses cadences, le souci constant de l’harmonie dans le choix des mots, la recherche d’une simplicité syntaxique et lexicale capable de cerner la complexité d’une idée, d’un événement… Voilà ce que je tente de réussir dans chaque page que j’écris, et même dans chaque paragraphe, chaque ligne…

    Pourquoi avoir choisi de raconter la bataille de Camarón ?

    Chaque année, sur les Champs Elysées, la démarche lente des soldats de la Légion étrangère ferme le défilé du 14 juillet. Sur le drapeau de ce corps d’élite de l’armée française figure en lettre d’or : Camerone (Camerone est l’orthographe erronée du village où s’est déroulée la bataille de… Camarón). Je me suis dit que bien peu nombreux sont ceux qui connaissent cet épisode de l’expédition française au Mexique ; je me suis dit aussi qu’il fallait que l’honneur ait été furieusement victorieux lors de cette bataille pour qu’il soit décidé que son nom figure sur le drapeau. Et puis j’ai pensé aux Mexicains, à leur vision de cette affaire. J’ai pensé qu’il serait intéressant de leur donner le devant de la scène.

    Définissez-vous Camarón comme un roman historique ?

    À un spécialiste du roman historique qui me disait en avoir répertorié cinq sortes et qui me demandait dans laquelle je classais Camarón, j’ai répondu dans la sixième… Car si les événements rapportés sont exacts – mis à part ceux qui concernent le personnage d’Ollin -, je me suis efforcé de les inscrire dans des procédés romanesques inédits. Ordinairement, la ligne file doux sous la plume de l’auteur, elle suit le sentier qu’elle trace afin d’offrir au lecteur le confort d’une chronologie et d’une géographie sagement contrôlées. Dans Camarón, les embardées, les emballements, les chevauchées, la course au temps passé, la quête du temps perdu, les armées qui ferraillent, les dialogues en bataille… tout cela chahute d’autant plus les codes établis que s’y ajoutent des sortes d’embuscades narratives, de l’imprévu que le lecteur doit organiser – c’est la part de création ou de recréation que je lui propose… À l’esprit asservi aux événements, je préfère celui qui découvre comment se servir des outils que je propose afin de suivre, à la façon d’un funambule, la mince lisière entre le réel et l’imaginaire.

    La mise en récit de l’espace mexicain et de sa culture est très précise ; quelles ont été vos sources documentaires ?

    Six mois de recherches, trois semaines d’écriture, un marathon qui est passé par le village de Camarón où j’ai séjourné l’an dernier, par l’envoûtante Veracruz, par la géométrique Puebla, par Mexico la fascinante que je pratique depuis plusieurs années, par des musées, des bibliothèques…

    Vos personnages sont-ils inspirés de la réalité ?

    Bien sûr ! Tout ce qui concerne la bataille est rapporté au détail près. Les inventions romanesques concernent la pathétique entreprise d’Ollin qui veut que surgissent du passé les pyramides des sacrifices, et que renaissent l’esprit et la culture du peuple Aztèque. A vrai dire, ce n’est pas tout à fait une invention romanesque…

    Certains passages flattent particulièrement notre pouvoir d’imagination et donnent une dimension cinématographique à Camarón. Le sujet s’y prête, et si on compare avec l’écriture de votre précédent roman, Café grec, il semble également que l’image ait une place différente dans votre récit…

    Dans Café grec, mes personnages évoluaient dans une cité close, la vieille ville de Rhodes ; cela donnait un caractère intimiste au récit ; je promenais mon lecteur dans le dédale des rues anciennes, j’avais même inventé une fausse légende pour Dédale et son fils Icare – j’espère que, par fantaisie, elle ne s’est pas glissée dans quelque ouvrage sérieux, ce qui ne me déplairait pas… Camarón, c’est l’espace immense et surprenant de la mata, ce sont des étendues singulières parcourues par des mustangs aux yeux de feu, c’est l’ombre immense de Montezuma, de Tlacaelel, c’est Cuauhtémoc que Cortès exécute, mais qui ne mourra jamais. Camarón, c’est comme la folie, indomptable et nécessaire.

    À travers votre écriture, la relation avec vos lecteurs est pleine d’humour et d’ambiguïté. Chez vous, l’écrivain semble s’inventer avec son roman…

    Je me situe aux antipodes de la gravité et de la componction, de l’onction suspecte des chapelains, des esprits formatés qui refusent d’aller plus loin. La forme romanesque de Camarón, c’est un coup d’audace, un défi, c’est ma bataille. Évidemment, je souhaite que mes lecteurs deviennent mes alliés…

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