• Café grec

    by  • 13 septembre 2003 • Entretiens

    Entretien réalisé en août 2003 à l’occasion de la création du site Internet de Jean-Joseph Julaud et de la parution de Café grec.

    Parlez-nous de Café grec. Quelle importance votre roman a-t-il dans votre parcours d’écrivain ?

    Je vous le disais : il résonne partout comme je le désirais. Dès que je l’écoute, il me donne l’harmonie que j’attendais, il me surprend comme je l’espérais. C’est un roman différent de ce qu’on peut lire par ailleurs. Ce n’est pas que je me compare à qui que ce soit, mais j’ai quand même voulu qu’il y ait du nouveau dans la structure, dans l’écriture, sans bousculer le lecteur pour autant, mais en l’installant étrangement dans sa condition de lecteur, en donnant aux personnages une existence ambiguë, paradoxale. Le lecteur ne sait plus à la fin quelle est la part de la fiction, et il peut même se demander si sa caution aux situations ne lui a pas été extorquée par un petit malin à qui il aimerait rendre des comptes. Aussi, j’attends sur ce site, les messages…

    Emmanuelle, votre personnage, est-elle une « Emma nouvelle » ? Et Jude Delator est un bien curieux personnage…

    Emma Bovary a tout raté par naïveté, parce que son esprit romanesque l’aveugle, elle est pitoyable dans sa défaite. J’ai toujours été sceptique face à cette oeuvre devant laquelle on se prosterne tant : chef d’oeuvre du style, roman absolu… Sans doute. Ironie sous-jacente, lucidité cruelle par rapport à la nature humaine, certes… Mais quel machisme ! la femme montrée dans ses faiblesses supposées, la femme vaincue par sa rêverie d’amours formidables, la femme pâmée jusqu’à en mourir dans le cliché du suicide par le poison ! Cette langueur flaubertienne passerait presque pour l’essence de la femme éternelle… Quel lieu commun désolant ! La femme triomphe presque toujours, et ce n’est pas une Emma Bovary qui doit vicier le jugement, occulter toute observation, asservir la pensée enquêtrice.
    Emmanuelle, mon Emmanuelle gagne sur tous les tableaux : elle est femme – et je ne peux guère vous en dire davantage sous peine d’en trop dévoiler. C’est une femme magnifique, qui a parfaitement réussi sa vie, elle a connu tous les bonheurs, sans tapage, engagée dans une situation ahurissante, un pari incroyable, elle satisfait tout son être, toute son âme, et toutes ses attentes, quelles qu’elle soient. Si je demeure évasif, c’est volontaire : Café grec ne se dévoile que dans les dernières pages… De Jude Delator, je ne peux rien vous dire non plus, et vous comprenez pourquoi. Sachez seulement que ce personnage m’est extrêmement sympathique, c’est un homme qui a compris que seule la morale de situation peut sauver, et que le mal absolu, c’est la morale absolue…

    Ne pensez-vous pas que jouer avec l’écriture comme vous le faites dans Café grec représente un risque ?

    Bien sûr ! Et c’est ce risque qui m’a tenté : le lecteur n’est plus à la remorque d’une histoire linéaire, il est appelé sans cesse à construire ou reconstruire la vie des personnages avec ce que je veux bien en dévoiler. Et voilà qu’il prend la distance que je souhaite lui voir adopter : l’écriture se dédouble, elle se laisse aller dans un jeu ou un enjeu où la perspective le fait douter de son rôle. A quoi sert-elle, ou qui sert-elle vraiment ? Le livre terminé, on n’a qu’un hâte : le relire pour comprendre la place réelle qu’on a occupée dans cette fiction, et comment on peut se sentir soi-même intégré dans le statut de personnage…

    Vous réhabilitez Judas, détournez les critères habituels de jugement, recréez la mythologie. Vous adressez-vous comme Stendhal « To the happy few » ? De quels lecteurs, à travers ces idées, souhaitez-vous la connivence ?

    Mais de tous les lecteurs, évidemment ! Tout ce que vous me dites est écrit pour éviter les chemins convenus. Je veux surprendre le lecteur, le conduire à remettre en question l’acquis, à prendre une distance personnelle par rapport à ce qui est admis sans autre forme de procès que celui de l’habitude trop souvent victorieuse, à sourire, à rire, à s’indigner peut-être, mais à vivre, oui, voilà, je veux qu’il vive mon roman, qu’il marche avec moi, que notre pas s’accorde, et que nous nous quittons amis, en nous promettant de nous relire…

    Quand vous n’écrivez pas, quelles sont vos occupations ?

    J’affûte mes crayons…

    Parution : 2 septembre 2003
    Editions du Cherche Midi
    ISBN-10: 2749101328
    ISBN-13: 978-2749101323

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