• « Les parterres », 4 février 1983

    by  • 19 juillet 2017 • Textes à lire • 0 Comments

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    LES PARTERRES

    L’herbe délaissée, en bataille dans les matins blancs qui la peignent en vain de leurs rayons obliques, cache souvent de brûlants parterres qu’évitent les traces zigzagantes des chiens insomniaques.

    Ils sont de forme ovale, entourés d’une petite allée de terre parcourue toute la nuit par des enfants étranges, enlevés dans les soirs de fièvre alors qu’ils couraient sans hâte après leur cerceau. Les traces de pas menus et rapides qu’ils laissent devant eux (parce qu’ils n’ont jamais eu de passé) invitent à la plus simple des rêveries, celle qui effleure le sillon clair du sourire.

    Ovales ou carrés, tapis dans leurs incertitudes, dépeuplés des sanguins géraniums, ils semblent avoir perdu la surface inviolable que leur donnèrent le hasard et la géométrie qui sauve de l’informe. Des pierres blanches, veinées de grenat, émergent comme les coudes d’un nageur enlisé depuis très longtemps dans ce qu’il prit à tort pour le mouvement des flots. Il faut dire que plus d’un s’est trompé à la vue des herbes folles qui sous le vent délirent et roulent des houles marines jusqu’aux plages des yeux où naissent les sirènes.

    Triangulaires parfois, il leur reste toujours de longues cicatrices de terre stérile à l’extrémité desquelles flambe la chevelure lilliputienne de quelque œillet d’Inde, unique héritage d’un vieux jardinier aux doigts paralysés depuis l’hiver passé trop près de la fenêtre.

    Tout près, en général, il y a un manoir gris comme une étoffe épaisse avec de hauts contours semblables à des épaules voûtées par des âges de sagesse, avec des fenêtres qui donnent toutes sur de longues allées dont la plus belle se perd dans la perspective d’ormes profonds comme la couleur des lacs. C’est toujours sur cette allée que l’on peut voir à la lueur du soleil qui naît et de la fleur qui flambe, des enfants dont les cascades de rires poursuivent et rattrapent des cerceaux parfois décorés de la dentelle des givres. Leurs pommettes brillent, leurs yeux scintillent sous le regard soucieux d’un vieux jardinier aux longues mains, qui écoute distraitement un paysan de passage, un brin d’herbe folle à la bouche, lui parler de la mer.

     

    Jean-Joseph Julaud – 4 février 1983.

    Texte paru dans « Le Sang des choses » publié en juin 1983 aux éditions Corps 9

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