• Février

    by  • 10 février 2016 • Textes à lire • 0 Comments

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    FÉVRIER

    Il me plaît que mon bois, dont personne ne sait qu’il deviendra un jour l’ample bruissement de mes poumons, projette pour un siècle de ramures. Tout s’engourdit sous les pas d’herbe épaisse, le souffle même, proche de l’effort, s’annule dans la somnolence rectiligne des branches dressées comme des flèches qui ne puniront jamais.

    Très loin, la rumeur simple des mers conjuguées épuise des saveurs salines jusqu’à la pointe des vents qui nous arrivent, insipides et coupants. En même temps, de fines escalades de guitares s’égrènent pour atteindre l’inévitable inutile qui tourbillonne, qui valse sur d’oisives phalanges.

    Ils m’apporteront, j’en suis sûr, ce qui manque à ma voix, mes arbres, timides racines que ma terre n’en peut plus d’attendre et que les terre voisines, emblavées à l’automne, soûlées de leurs futurs épis, humilient de leur vert éphémère.

    Février. Je m’amuse des mots qui ne sont que bois secs, incapables de feu parce que rien ni personne ne peut allumer l’absence des sèves. Les phrases s’alignent, inutiles cortèges sur les chemins creux du doute. Le vent les gomme avec sa conscience exemplaire, phrases sans sources mais qui prétendent quand même au sable fin des paroles définitives, usurpatrices, seules ressources entre terre et nuages, paroles qui s’envolent et pourtant demeurent toujours écrites aux lisières de l’oubli.

    Février qui se couche, se cache dans d’humides nuages, s’enroule et s’endort pour un froid sommeil sans rêves. Rien ne passe ni ne vit. Les doigts espèrent la lumière, les yeux s’excusent de leur brume. L’eau seule, entière dans les lits ourlés des glaises sans saisons, se fraie des chemins dont prennent soin les paumes ajoutées de mains assagies par d’inutiles moissons.
    Plus sûres que les décevants soleils qui s’abaissent derrière les pins, des couleurs insoupçonnées se fiancent dans l’intime respiration des terres. Promesse ivre et insonore pour les yeux fous.

    C. Vendredi 4 février 1983

    Jean-Joseph Julaud – Extrait de « Le Sang des choses », Corps9 éditions, 1983

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