Contre l’amnésie
by jjj • 2 juillet 2015 • Poème quotidien, Textes à lire • 0 Comments
Extrait de « ÇA NE VA PAS ?… Manuel de poésiethérapie », éditions Le cherche midi, 2001, et, version poche, 2012.
Vous rappelez-vous le prénom d’Alzheimer ? Non ? Eh bien, méfiez-vous, c’est comme ça que ça commence…
Mais n’exagérons rien, si votre mémoire est défaillante, vous n’en êtes peut-être pas encore là.
Afin de vous en assurer, nous vous proposons d’effectuer un petit examen clinique et poétique indolore : il s’agit de vous faire poser quelques questions que Paul Verlaine posa lui-même à une personne qui lui était chère ; celle-ci manifestement, souffrait de la maladie d’Alzheimer à un stade déjà avancé puisque l’amnésie caractéristique de cette affection semble totale dans le poème où se trouve relaté cet interrogatoire.
Les questions sont les suivantes : « Te souvient-t-il de notre extase ancienne ? » et « Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ? Toujours vois-tu mon âme en rêve ? ». Elles devront vous être posées par votre conjointe ou concubine, et par celle de vos maîtresses qui a le plus d’ancienneté. Si vous êtes une femme, il va de soi que seul votre amant doit intervenir.
Si vous répondez « Oui » à chacune des questions, vous n’avez aucun souci à vous faire et des tas de bons souvenirs à glaner encore.
Si vous répondez « Non », votre cas n’est pas forcément alarmant car vous n’avez peut-être jamais éprouvé d’extase ancienne, peut-être même pas d’extase du tout. Alors, ne vous inquiétez pas, tout peut encore arriver. Et si l’affaire est habilement conduite, vous vous en souviendrez !
Voici donc cette scène où le cœur se serre dès qu’on entend les réponses de la malheureuse personne qui a perdu la mémoire.
Colloque sentimental
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l’heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles,
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé.
– Te souvient-il de notre extase ancienne ?
– Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?
– Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? – Non.
– Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! – C’est possible.
– Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir !
– L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Paul Verlaine
Notre conseil : Si vous êtes célibataire depuis toujours, vous pouvez effectuer sur vous-même cet examen clinique, mais vous ne vous poserez alors que la question : « Te souvient-il de notre extase ancienne ? »
Jean-Joseph Julaud