Contre la surcharge pondérale : le régime minceur en poésie et en douceur
by jjj • 1 juillet 2015 • Textes à lire • 1 Comment
Extrait de « Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie », paru aux éditions du Cherche midi en janvier 2012.
Perdez en quinze jours cinq kilos ou davantage.
La surcharge pondérale provient souvent d’un manque d’attention au moment des repas : on s’assoit à table, on se sert, on se ressert tout en devisant, en observant les autres, en les écoutant.
La pensée ainsi occupée, le corps et ses instincts en profitent, les narines frémissent à l’aïoli, la bouche se fait palais entier pour l’aloyau, on salive à nouveau au parfum d’un Bleu, et le fraisier nous fait fondre.
Les calories en surnombre, les perfides lipides, les coupables glucides rejoignent dans tous les recoins du corps leurs semblables en débâcle qui se tassent dans les bourrelets, la culotte de cheval, le double menton…
Pourtant, une simple cure de poésiethérapie peut en deux semaines vous faire retrouver votre poids idéal.
Pour cela, nul régime. Quelques poèmes, tout simplement.
Voici la méthode dont les résultats sont garantis à condition qu’on la respecte scrupuleusement :
Le matin, prenez un copieux petit déjeuner. Le midi, avant le repas, isolez-vous quelques instants afin de lire lentement une ballade de François Villon qui va se substituer à l’entrée que vous auriez choisie. Le contenu de cette ballade dite des « langues cuisantes, flambantes et rouges » vous coupera pour un bon quart d’heure l’appétit, si ce n’est davantage. Jugez-en dès à présent :
Ballade des langues cuisantes flambantes et rouges
Que dans du realgar, dans de la poudre d’arsenic,
Dans de l’orpiment, du salpêtre et de la chaux vive,
Dans du plomb bouillant pour qu’elles soient mieux réduites en bouillie,
Dans de la suie et de la poix délayées dans une lessive
Dans de l’eau qui a lavé des jambes de lépreux,
Dans des râclures de pieds et de vieux houseaux,
Dans du sang d’aspic et des drogues venimeuses,
Dans du fiel de loups, de renards et blaireaux
Soient frites ces langues malfaisantes !
Que dans la cervelle d’un chat qui a horreur de l’eau,
Noir et si vieux qu’il n’ait pas une dent sur sa gencive,
Ou d’un vieux mâtin qui vaut bien aussi cher,
Tout enragé dans sa bave et salive,
Que dans l’écume d’une mule poussive
Coupée menu avec de bons ciseaux ;
Dans de l’eau où plongent leurs groins et museaux,
Rats, grenouilles, crapauds et bêtes dangereuses
Serpents, lézards et tels nobles oiseaux,
Soient frites ces langues malfaisantes.
Que dans du sublimé dangereux à toucher
Et sur le nombril d’une couleuvre vivante,
Dans le sang qu’on voit sécher sur les palettes
Chez les barbiers, quand la pleine lune arrive,
Dont l’un est noir, l’autre plus vert que cive,
Dans un ulcère cancéreux, une tumeur suintante
Et dans des cuvettes sales
Où les nourrices décrassent leurs langes,
Dans de petits « bains » de filles qui font l’amour
(Qui ne me comprend point n’a point fréquenté les bordels)
Soient frites ces langues malfaisantes !
Prince, passez tous ces friands morceaux
Si vous n’avez pas d’étamine, de sacs ou de bluteaux
A travers le fond d’une paire de braies embrenées
Mais auparavant que dans des étrons de pourceaux
Soient frites ces langues malfaisantes
François Villon
Si vous avez bien imaginé tout ce qui est évoqué, vous pouvez rejoindre la table où on vous attend. Vous ne prenez donc pas d’entrée et si quelqu’un s’en étonne, vous dites que vous vous réservez pour le plat de résistance.
Lorsque celui-ci arrive, vous vous servez sans excès et, tout en mangeant, vous faites revenir quelques images de la ballade de Villon (l’eau qui a lavé les jambes de lépreux, les râclures de pieds…). Vous verrez, l’aloyau ou la gelinotte passe difficilement. Et le fromage, lui, passera sans que vous en preniez.
Ah ! Voici le fraiser ! Funeste véhicule de centaines de grammes superflus. Pourtant, vous êtes très tenté, et vous en prendriez bien une tranche. Non ! Un effort de volonté, et vous voilà isolé de nouveau – vous partez vous laver les mains par exemple – ; vous sortez de votre poche la délicieuse recette qu’on trouve dans Cyrano de Bergerac (Acte II, scène 4) : les tartelettes amandines.
Comment on fait les tartelettes amandines
Recette du pâtissier Ragueneau
Battez, pour qu’ils soient mousseux
Quelques œufs ;
Incorporez à leur mousse
Un jus de cédrat choisi ;
Versez-y
Un bon lait d’amande douce
Mettez de la pâte à flan
Dans le flanc
De moules à tartelettes ;
D’un doigt preste, abricotez
Les côtés ;
Versez goutte à gouttelette
Votre mousse en ces puits, puis
Que ces puits
Passent au four, et blondines,
Sortant en gais troupelets,
Ce sont les
Tartelettes amandines !
Edmond Rostand
Fermez les yeux, évoquez puissamment ces tartelettes toutes chaudes. Vous pouvez vous accorder ce petit plaisir sans conséquences sur votre poids. Dites-vous alors que déjà, vous êtes plus léger, c’est presque un kilo en moins. Et, pour terminer, pour n’être point tenté par les restes de fraisier, n’oubliez pas : « jambes de lépreux et râclures de pieds. » !
Votre menu du midi pendant quinze jours se présente donc ainsi :
Entrée : François Villon
Plat de résistance : la viande et ses légumes
Fromage : extraits de François Villon
Dessert : Edmond Rostand
Pour le dîner, pendant ces deux semaines, procurez-vous, en édition de poche, « Exil » de Saint-John Perse. Vous devez en lire chaque soir, avant le repas, un extrait, et le comprendre. Vous constaterez qu’il vous restera seulement le temps de préparer une petite salade avant d’aller dormir. Voici donc votre menu du soir :
Entrée : Saint-John Perse
Plat principal : Salade
Pas de dessert (pas le temps !)
Voici à titre d’exemple, un extrait d’ « Exil » :
« Relations faites à l’Edile ; confessions faites à nos portes…Tue-moi, bonheur !
Une langue nouvelle de toutes parts offerte ! une fraîcheur d’haleine par le monde
Comme le souffle même de l’esprit, comme la chose même proférée,
A même l’être son essence ; à même la source sa naissance :
Ha ! toute l’affusion du dieu salubre sur nos faces, et telle brise en fleur
Au fil de l’herbe bleuissante, qui devance le pas des plus lointaines dissidences ! »
Notre conseil : Vous pouvez poursuivre ce régime pendant quinze jours supplémentaires. Vous remplacerez alors avec bénéfice Villon par Baudelaire dont le poème « Une charogne » constitue un puissant coupe-faim. Si, au moment du dîner, vous revêtez une longue robe pourpre pour aller dans la rue déclamer des phrases incompréhensibles en tendant les bras comme à la Comédie française, arrêtez tout de suite Saint-John Perse.
Excellent billet.
J’aimerais seulement porter un petit commentaire sur l’importance de faire très attention lorsque l’on mange. En effet, une toute petite faute d’inattention peut être très néfaste à notre corps. Donc vaut mieux rester toujours vigilant.