8 juin 1945 : le poète Robert Desnos meurt au camp de concentration de Terezin
by jjj • 21 avril 2015 • Jadis ou naguère, Poème quotidien • 0 Comments
Le prophète Desnos
« Le surréalisme est à l’ordre du jour et Desnos est son prophète » Qui donc écrit cela dans le Journal littéraire du 5 juillet 1924 ? André Breton lui-même ! Ce n’est pas un mince compliment pour Robert Desnos qui se détache cependant du mouvement en 1930, Breton décrétant que Desnos n’est plus à l’ordre du jour, trop libre, si peu enclin à emboîter le pas aux mules du « pape »…
Artaud bouleversé
D’autres compliments remplacent ceux de Breton. Ils sont écrits par Antonin Artaud dans une lettre au critique Jean Paulhan (1884 – 1968), à propos d’un recueil qui vient de paraître, dédié à « la mystérieuse » dont on sait aujourd’hui qu’elle s’appelle Yvonne George et ne répondit jamais à l’amour que lui vouait le poète :
Je sors bouleversé d’une lecture des derniers poèmes de Desnos. Les poèmes d’amour sont ce que j’ai entendu de plus entièrement émouvant, de plus décisif en ce genre depuis des années et des années. Pas une âme qui ne se sente touchée jusque dans ses cordes les plus profondes, pas un esprit qui ne se sente ému et exalté et ne se sente confronté avec lui-même. Ce sentiment d’un amour impossible creuse le monde dans ses fondements et le force à sortir de lui-même, et on dirait qu’il lui donne la vie. Cette douleur d’un désir insatisfait ramasse toute l’idée de l’amour avec ses limites et ses fibres, et la confronte avec l’absolu de l’Espace et du Temps, et de telle manière que l’être entier s’y sente défini et intéressé. C’est aussi beau que ce que vous pouvez connaître de plus beau dans le genre, Baudelaire ou Ronsard.
La Complainte de Fantomas
Poète, Robert Desnos ? Oui, mais aussi employé dans une droguerie, vendeur en publicité, secrétaire d’un journaliste mondain, journaliste lui-même, ce que Breton ne lui pardonne pas. Robert Desnos est né à Paris le 4 juillet 1900. Incarnation du « lyrisme nouveau » selon les critiques du temps, il s’adonne à l’écriture automatique, écrit des œuvres où le langage devient jeu, multiplie les significations, se perd dans un onirisme bizarre, fascinant pour Breton jusqu’en 1924, année de la rupture pour indocilité. Qu’importe Breton ! Desnos poursuit sa route en multipliant poèmes et chansons : en 1933, c’est lui qui écrit La Complainte de Fantomas pour le lancement sur Radio Paris d’un nouvel épisode des aventures du héros créé par Pierre Souvestre et Marcel Allain.
Terezin, en Tchéquie
Pendant la seconde guerre mondiale Robert Desnos cache une activité de résistant au sein d’un réseau très actif. Il continue d’écrire, publie en 1944 ses Chantefables et Chantefleurs où les mots s’en donnent à cœur joie, mais, la même année, le 22 février, on l’avertit que la gestapo va venir l’arrêter. Il s’y attend depuis longtemps. Plutôt que d’exposer sa femme Youki à la torture en disparaissant, il se laisse capturer. Il est déporté au camp de Flöha, en Saxe, puis transféré au camp de concentration de Terezin (aujourd’hui en République tchèque) ; c’est là qu’il meurt du typhus le 8 juin 1945.
Un peu de technique
Chantefable
Voici, extrait des Chantefables et Chantefleurs, un poème que vous avez peut-être appris dans votre lointaine ou proche jeunesse. Sinon, il n’est jamais trop tard pour se mettre en mémoire ce Pélican qui joue avec son auteur à multiplier les son « an », pur rire, seulement…
Plaisir de lire
Le Pélican
Le Capitaine Jonathan,
Etant âgé de dix-huit ans
Capture un jour un pélican
Dans une île d’Extrême-orient,
Le pélican de Jonathan
Au matin, pond un œuf tout blanc
Et il en sort un pélican
Lui ressemblant étonnamment.
Et ce deuxième pélican
Pond, à son tour, un œuf tout blanc
D’où sort, inévitablement
Un autre, qui en fait autant.
Cela peut durer pendant très longtemps
Si l’on ne fait pas d’omelette avant.
Robert Desnos – Chantefables, 1944