• Molière amuse le roi et les siècles, première partie

    by  • 22 février 2015 • Extraits • 0 Comments

    Portrait de Molière (1622 - 1673) par Pierre Mignard (1612 - 1695)

    Portrait de Molière (1622 – 1673) par Pierre Mignard (1612 – 1695)

     

    Extrait de La Littérature française pour les Nuls, éditions First, 2005.

    Molière, c’est un univers, notre univers, quelle que soit l’époque, la classe sociale : la nature humaine qu’il décrit avec malice et justesse demeure étonnamment fidèle à elle-même. Louis XIV est l’un des plus fervents admirateurs du créateur de Tartuffe, Harpagon ou Monsieur Jourdain.

    Le pavillon des singes

    À l’angle de la rue Saint-Honoré et des Vieilles-Étuves (rue Saural aujourd’hui) existait une maison nommée le Pavillon des Singes. Curieux nom qui s’explique à cause d’un poteau en cormier, variété de sorbier, placé à l’angle de la maison, et portant une sculpture de bois représentant six singes dans un oranger, se passant des fruits de la main à la main, cependant que le septième ramassait ceux qui étaient tombés. Cette sculpture fut conservée précieusement jusqu’au début du XIXème siècle dans un grenier des Invalides où un gardien la découvrant un jour se dit qu’elle ferait un bon feu. Ainsi disparut ce que le jeune Jean-Baptiste Poquelin – dit Molière – avait regardé sans doute avec une curiosité amusée pendant toute son enfance, et revu sa vie entière, chaque fois qu’il regagnait la maison familiale.

    Les ravages de la petite vérole

    Jean-Baptiste Poquelin naît en janvier 1622, dans le Pavillon des Singes. Il est le fils de Jean Poquelin, bon bourgeois commerçant qui va acheter en 1631 la charge héréditaire de tapissier du roi, et de Marie Cressé, issue d’une famille fortunée. C’est l’aîné de la famille. Son frère Louis naît en 1623, sa sœur Marie, en 1625. Le malheur s’abat sur le Pavillon des Singes, de la même façon qu’il s’abat sur toutes les familles de l’époque : Marie meurt de la petite vérole – la variole –  à cinq ans, en 1630. Sa mère que le chagrin a rongée meurt de tuberculose en 1632, à trente et un ans.

    Jean-Baptiste sauvé !

    L’année suivante, Jean-Baptiste et Louis sont atteints eux aussi d’une sorte de petite vérole qui emporte neuf malades sur dix. Louis en meurt, Jean-Baptiste, considéré perdu par les médecins, en guérit. Jean Poquelin se remarie en 1633 à Catherine Fleurette, dix-neuf ans. Elle met au monde Catherine-Espérance, le 11 janvier 1634, puis, le 9 janvier 1635, un fils : Nicolas, qui meurt trois jours plus tard. Le 8 janvier 1636, Catherine met au monde son troisième enfant. Il meurt en naissant. Quelques heures plus tard, sa mère succombe.

    Molière en prison !

    Jean-Baptiste grandit, jalousement surveillé par son grand-père Louis Cressé qui l’emmène voir, sur le Pont-Neuf, les comédiens italiens. Ils sont si drôles que l’enfant ne cesse de rire et d’en entretenir son grand-père ravi que cet enfant épargné par le malheur soit si gai. Il fait de bonnes études chez les jésuites du collège de Clermont (actuellement Louis-le-Grand), se spécialise en droit, mais aime tant le théâtre qu’il s’en ouvre à son père, en 1643. Celui-ci non seulement accepte que son fils devienne comédien, mais lui donne de quoi financer sa première troupe : l’Illustre théâtre. L’année suivante, les affaires de l’Illustre théâtre vont si mal que Molière échoue en prison à deux reprises ! Mais, sa troupe a déjà attiré l’attention de Gaston d’Orléans, le frère du roi Louis XIII, qui la prend sous sa protection.

    Dans l’intimité des écrivains

    Riche, Molière !

    Molière et les comédiens qui l’accompagnent partout en France ne sont pas comme on a pu le croire des sortes de bohémiens sans le sou qui dressent leurs tréteaux, soir après soir dans les petites villes et les villages pour survivre. Ce ne sont pas non plus des libertins qui ne pensent qu’à se vautrer dans le stupre. Lorsqu’ils arrivent dans une ville, Molière et sa troupe louent une grande maison, y séjournent plusieurs mois, mettent de côté des sommes considérables qu’ils savent placer et faire fructifier ! Toujours protégé des Grands, jamais Molière n’a vécu dans la misère. Au contraire, mis à part la faillite de son Illustre théâtre, il conduit ses affaires avec habileté et amasse une fortune que traduit le luxe extrême de sa maison d’Argenteuil.

    Le roi rit !

    Deux théâtres seulement accueillant les troupes à Paris, Molière et la famille de comédiens avec laquelle il s’est associé, les Béjart, partent en Bretagne. La troupe joue dans de nombreuses villes. On la trouve ensuite en Languedoc (1647), puis à Lyon (1657), enfin à Rouen où Molière prépare avec les conseils de Corneille, son arrivée à Paris (1658). Là, devant la cour, au Louvre, il joue Nicomède, de Corneille. Louis XIV bâille, s’ennuie. Molière joue alors une farce de sa composition : Le Docteur amoureux. Louis XIV rit à gorge déployée… C’est gagné ! Les succès vont s’enchaîner dès que Molière comprend que le genre noble de l’époque, la tragédie, ne lui réussit pas, et que son domaine est la comédie.

    Le fiel des jaloux

    Les tragédies – le genre noble – sont jouées à l’Hôtel de Bourgogne. Molière, qui avait d’abord joué au théâtre du Petit-Bourbon – démoli pour faire place à la colonnade du Louvre – s’installe au théâtre du Palais-Royal. Les poètes dramatiques – auteurs de tragédies – ne supportent pas la gloire naissante de Molière et déclenchent leur haine contre lui : ses pièces, disent-ils, sont vulgaires, pleines d’irrégularités ; et il y a plus grave : en épousant Armande Béjart, de vingt ans sa cadette, après avoir eu pour maîtresse la mère de cette jeune actrice, il a commis un inceste – Armande étant peut-être sa fille ! L’affaire s’envenime tant que Louis XIV lui-même doit intervenir pour faire tarir le fiel des jaloux : en 1664, il devient le parrain du premier fils de Molière ! Puis, la troupe de Molière acquiert le nom prestigieux, et sans appel, de troupe du roi.

    Allons plus loin

    Dévots, bêtes féroces

    Le parti dévot est particulièrement puissant et agressif à la cour du jeune roi Louis XIV qui a fort à faire pour le combattre. Les dévots rassemblent les anciens frondeurs, ceux qui se sont révoltés contre le pouvoir au temps de Mazarin, et qui ont même menacé le roi enfant, dans sa chambre, un jour de février 1651 ! Ils pratiquent une piété ostentatoire, mais hypocrite. Lorsque paraît la pièce de Molière Le Tartuffe (1664), qui dénonce leurs manigances et les ridiculise, leur fureur atteint son comble. Ce sont eux, bêtes féroces, qui accusent Molière d’inceste…

    Le roi danse, le roi joue !

    Molière est célèbre. Ses pièces sont traduites et jouées dans toute l’Europe. Il invente alors un genre qui va ravir le roi : la comédie-ballet. En effet, Louis XIV adore danser, et parfois, il lui arrive de jouer la comédie sous un déguisement. Molière lui offre cette union réussie de la danse et du théâtre ; elle va l’obliger à créer souvent dans l’urgence, car le roi multiplie les spectacles. Ainsi naissent : L’Amour médecin (1665), George Dandin (1668), Monsieur de Pourceaugnac (1669), Le Bourgeois Gentilhomme (1670), Psyché (1671). En revanche, Les Fourberies de Scapin (1671), Les Femmes Savantes (1672). Don Juan (1665), Le Misanthrope (1666), L’avare (1668) sont des comédies pures dont certaines n’ont pas été vues par le roi, la danse n’en réjouissant pas la forme.

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