• « La fenêtre », 3 mars 1983

    by  • 14 février 2015 • Textes à lire • 0 Comments

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    LA FENÊTRE

    La fenêtre, avant tout, est un refus de la lumière qu’augmentent encore les larges tulles froncés par d’ignorantes mains aveugles et ménagères. Insulte au jour et à sa transparence, la vitre  oppose son absence froide au visage mouillé de tristesse, à la chaleur des pommettes, à la tendresse entrouverte des lèvres silencieuses.

    Car trop souvent, la fenêtre invite, perfide amante des désespérances, elle tend jusqu’à l’âme, des pas lents, rectilignes, inévitables pièges qui conduisent à l’immobile. Réjouie quand elle tient à sa portée le regard égaré, elle donne au front las le bras de sa croix  pour adoucir les longues rides que la main dépose et façonne en soucieux labyrinthes.

    Parfois c’est elle qui se déplace, avec la lenteur extrême et calculée des patients prédateurs. Elle atteint vers le soir quelque miroir circulaire accroché au hasard et qui, dans l’instant, décoche en pleine pupille des flèches de soleil.

    Maternelle cependant, elle tend les bras avec une plainte qui s’effile, pleine de tendresse, puis s’immobilise face à d’amples flots de senteurs tièdes qui déferlent dans la poitrine prévenue du printemps. Elle s’entrouvre aux inévitables confidences puis se referme avant de s’étendre, nonchalante, sur les lattes blondes, bercée par des parfums de cire, jusqu’au sommeil.

    Il suffit que la nuit se lève pour que la fenêtre devienne triste. L’agonie des bleus d’abord assombrit ses contours car l’image qui souffre est pour elle un miroir, tout empressée qu’elle est de s’approprier des chagrins qu’elle ne peut créer seule. Puis, les ténèbres l’étoffent, l’habillent pour la nuit, la drapent de raideur, la masquent à la courte respiration qui s’épanouit et triomphe dans sa course effrénée vers la multitude séductrice du rêve.

    C’est enfin que tout passe à travers elle, enfin qu’on peut la dire inutile puisque les lèvres rejoignent les soupirs, les fronts s’atteignent et, porteurs d’étoiles, s’effleurent entre ciel et terre, puisque les doigts se retrouvent, que les mains se nouent.

    Car, toujours, devenue invisible, la fenêtre s’ouvre.

     

    Jean-Joseph Julaud – 3 mars 1983. Texte paru dans le recueil « Le Sang des choses » publié en juin 1983

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