• Arrêt

    by  • 31 janvier 2015 • Textes à lire • 0 Comments

    250px-France_road_sign_AB4.svg

     

    Arrêt

     

    Arrêt ! On pourrait, à première vue, rapprocher ce terme de son alter ego anglais : stop. On ferait alors finement remarquer que l’accent circonflexe du mot arrêt a remplacé au XVIIIe siècle le « s » qui précédait son « t ». On ajouterait ensuite avec l’assurance des spécialistes,

    qui parfois confine à l’arrogance, que le couple « st » retrouvé dans « arrest » ressemble comme un jumeau au couple « st » du mot stop. Et comme chacun sait (bien sûr), ce couple émigré des racines indo-européennes se trouve présent dans des centaines de mots de la langue française en rapport avec l’idée d’immobilité : stable, station, rester, institut, instant… Et stop ?

    Stop ! C’est une fausse route : ce mot vient du vieil anglais stoppian, lui-même hérité du grec stuppé, désignant la partie rugueuse d’une étoffe, stuppé devenant l’estupe au XIIe siècle (l’étoupe) utilisée pour boucher les fissures d’une digue, donc arrêter l’eau…

    Quittons donc le stop pour mieux parler de l’arrêt ! Eh bien voici : son père est né vers l’an mille. Il avait pour ancêtre le latin populaire arrestare, lui même formé de ad (à) et restare (rester) où l’on retrouve le prolifique couple indo-européen « st ». C’est au XIIe siècle qu’apparaît le mot « arest ». On le découvre au fil du roman de Chrétien de Troyes Le Chevalier à la charrette qui s’empresse de galoper vers la dame de ses pensées : « Li chevaliers sanz nul arest s’en vet poignant par la forest ». Sans arrêt, c’est-à-dire en ce temps-là, sans délai, sans retard, le chevalier asticote sa monture dans la forêt. Quand on connaît la reine Guenièvre, on le comprend… Sans doute fait-il halte dans un lieu accueillant pour tous les repos, lieu qui, par métonymie, porte lui-même ce nom : arrêt, à partir du XVIe siècle.

    Le chevalier, en son temps, n’est pas un être sans arrêt, c’est-à-dire sans volonté, sans courage, c’est un homme de caractère, ferme et résolu. De cette acception particulière est né au XIVe siècle l’arrêt d’une cour de justice qui désigne une décision ferme, et sans appel, comme un arrêt du destin avec le même sens. Aujourd’hui, les arrêts du Conseil d’Etat, de la Cour de Cassation sont irrévocables.

    Au XIVe siècle, l’arrêt, c’est aussi la capture du brigand, du sacripant ou du fripon. De ce sens nous est échu le mandat d’arrêt, et pour les militaires indociles ou rétifs, la mise aux arrêts simples, voire aux arrêts de rigueur (XIXe siècle).

    Dans l’actualité, l’arrêt effectue de multiples haltes au fil des colonnes de faits divers : tel accidenté est en arrêt cardio-respiratoire, tel cycliste fait un arrêt cardiaque au cours de sa promenade dominicale, arrêts temporaires si quelque défibrillateur se trouve à portée de main. L’accidenté, le cycliste, bénéficieront d’un arrêt de travail, et remis sur pied, pourront, pourquoi pas, emmener à la chasse leur chien d’arrêt (fin XVIIIe siècle) qui, portant grelot discret au cou, interrompt sa marche à quelques mètres du gibier, le chasseur à l’affût du silence peut alors approcher.

    Arrêt… Arrêt des soins pour… Ces titres se multiplient dans l’information. C’est une mère qui le demande pour son fils tétraplégique ; c’est une famille qui le souhaite pour éviter la cruelle souffrance d’un père, d’une mère en fin de vie. Notre conscience se torture, sans arrêt. Dernièrement, ce sont de jeunes parents qui ont souhaité cet arrêt des soins pour leur prématuré. Quand on sait que le mot soin à pour ancêtre lointain le mot songe, on se dit que leur petit Titouan a regagné le rêve bienheureux d’où il est né.

    Terminons par cette question : étant donné que les Québécois, grands défenseurs de la langue française, ont fort justement substitué sur leurs panneaux routiers le mot arrêt au mot stop, peut-on considérer que ledit stop en France qui signifie étoupe peut n’être pas strictement respecté ? Du Conseil d’état peut-être viendra la réponse. Sous la forme d’un arrêt

     

     

    Jean-Joseph Julaud

     

    Article paru dans un magazine médical du groupe Edimark

    About

    Laisser un commentaire

    Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *