• Des grandes orgues à Georges

    by  • 16 décembre 2014 • Textes à lire • 0 Comments

     

    Grandes orgues, église Saint-Roch, Paris

    Grandes orgues, église Saint-Roch, Paris

    Organe

     

    Pleins jeux ! Dans quelque église ou quelque cathédrale, les grandes orgues délivrent leurs fusées de cristal, la subtile alchimie de leur métallurgie semble s’accorder à la présence de quelque démiurge, qu’il soit dieu pour Platon ou diable chez Rabelais, quelque thaumaturge célébré dans une liturgie, presque une orgie de sons, une énergie telle que votre organisme se sent frôlé par l’allergie au sacré…

    Diable ! Quel tournis ! Pourquoi avoir créé cette courte dramaturgie ? Quel est son objectif ? Peut-on espérer qu’une clé, autre que musicale, nous délivre son mystère ? Oui ! Et cette clé, double clé même, la voici : werg ou worg. Qu’est-ce ? Werg ou worg font partie de ces petites unités de sens communes aux langues indo-européennes qui ont donné naissance à des termes possédant le même gène.

    La racine indo-européenne werg ou worg signifie travail. Elle a donné work en anglais, werk en allemand. En grec, werg et worg ont produit ergon, ourgos, associées à l’idée de production. Organon apparaît ensuite et désigne un instrument de travail ou de chirurgie, et pour Aristote, un élément du corps. Les ouvrages de logique du même Aristote sont rassemblés depuis des siècles sous ce titre : Organon. Bel instrument pour l’esprit !

    Paresse ou manque d’imagination ? Au IIIe siècle av J.-C., lorsque les Grecs inventent un instrument de musique composé de tuyaux reliés à une soufflerie, ils le nomment tout simplement l’organon, l’instrument – l’orgue actuel !

    En ancien français, vers 1200, l’organe désigne la voix humaine, sens qui ne se dément pas au fil des siècles – Balzac, dans Les Petits Bourgeois mentionne un jeune homme « dont l’organe indiquait un Provençal ». Au XVIe siècle, l’organe devient l’intermédiaire ou le porte-parole – de nos jours, par métonymie, l’organe est aussi un journal (l’organe du parti), une institution (l’Etat, organe de la société) ou une fonction (le juge, organe de la justice).

    En médecine et physiologie, la Renaissance permet de renouveler, d’affiner et de prolonger l’approche du corps humain. Renouant avec Aristote, on considère alors que le corps, plutôt que le tout obscur du Moyen Âge, se compose d’un ensemble identifiable de parties aux fonctions déterminées : les organes – l’œil, organe de la vue, la peau, organe du toucher, les organes du système de digestion, de reproduction… Chacun d’eux n’est-il pas un instrument de travail, ou de distraction ? C’est selon…

    L’évolution de la biologie conduit au XIXe siècle à forger le sens moderne du mot organisme désignant l’ensemble fonctionnel de tous ces organes. Nourris à la même racine, des termes spécialisés se multiplient alors : organogénèse (formation des organes) ; organographie (description des organes) ; organopathie, organothérapie, organodynamisme (terme liant la maladie mentale à un trouble organique), etc.

    Et nos grandes orgues dans tout cela ? Pleins feux sur les termes de ce premier paragraphe dont la plupart des mots reposent, vous l’avez compris, sur la racine ergon : métallurgie, démiurge, thaumaturge, liturgie, orgie, énergie, allergie, et même dramaturgie. On pourrait y ajouter chirurgie (la main qui travaille), et même Georges : travailleur de la terre (gê : terre, organ : travail).

    Que reste-t-il encore, qui contiendrait la racine organ ? L’orgasme ? Oui, mais ce terme (dans les deux sens du mot) est né d’une autre source grecque à la même orthographe : le verbe organ qui signifie être plein de sève, d’ardeur, bouillonner d’énergie. Aucun rapport avec ergon, organ – travail. Pas si sûr, vous diront certains…

     

    Jean-Joseph Julaud

     

    Texte publié dans un magazine médical du groupe Edimark Santé

    About

    Laisser un commentaire

    Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *