• Madame Bovary (1)

    by  • 7 juillet 2014 • Extraits • 0 Comments

    Le bureau de Gustave Flaubert à Croisset, près de Rouen. Aquarelle de Georges Rochegrosse.

    Le bureau de Gustave Flaubert à Croisset, près de Rouen. Aquarelle de Georges Rochegrosse.

    Extrait de « La Littérature française pour les Nuls », éditions First, 2005

    Madame Bovary

    Un succès jamais démenti : celui de Madame Bovary. Inspirée d’un fait divers, son aventure pitoyable est celle de tant de cœurs et d’âmes en peine… La littérature de Flaubert, comme un miroir !

    Achille Cléophas, puis Caroline…

    Pleins feux maintenant dans la forge de l’écriture de Flaubert, en 1852. Cette forge, c’est son bureau situé au premier étage de la maison familiale de Croisset – maison dont ne subsiste aujourd’hui qu’un petit pavillon carré, à grandes fenêtres. Caroline, qui a épousé en 1841, Émile Hamard, est morte, en mars 1846, en mettant au monde sa fille baptisée… Caroline. Deux mois plus tôt, en janvier 1846, Achille-Cléophas, père de Gustave et Caroline, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen, a été emporté par une maladie foudroyante. Entre 1846 et 1848 Gustave a entretenu une correspondance abondante avec sa maîtresse qui est aussi celle de beaucoup d’artistes à Paris : Louise Colet. Et puis ils ont rompu. En 1851, ils ont renoué (toutes…) leurs relations.

    La seconde cataracte du Nil 

    31 janvier 1852. Dix heures. La lumière grise de Croisset semble venir du plus triste des mondes. Gustave s’est installé dans sa forge, dans son bagne, son lieu de torture : son bureau. Il a travaillé, comme il le fait souvent, jusqu’à quatre heures du matin. Bovary ! Madame Bovary ! C’est le titre du roman qu’il a décidé d’écrire. Il se rappelle le moment où il a trouvé le nom de son héroïne, tout près de la seconde cataracte du Nil, lors de son voyage en Orient qui a duré de 1849 à 1851. Pourquoi ce voyage ? Parce que les médecins le lui ont conseillé à la suite de sa première crise nerveuse grave, une sorte d’épilepsie qui l’a terrassé en janvier 1844.

    Ce sera triste à lire…

    « Chère Louise, tu n’as point, je crois, l’idée du genre de ce bouquin. Autant je suis débraillé dans mes autres livres, autant dans celui-ci je tâche d’être boutonné et de suivre une ligne droite géométrique. Nul lyrisme, pas de réflexions, personnalité de l’auteur absente. Ce sera triste à lire ; il y aura des choses atroces de misère et de fétidité » Voilà ce qu’écrit Gustave à Louise Colet, en ce matin du 31 janvier 1852. Ce sera triste à lire ! L’idée de ce roman l’ennuie depuis que ses amis Maxime du Camp et Louis Bouilhet la lui ont suggérée, afin qu’il abandonne un lyrisme qu’ils jugent excessif – celui de La Tentation de Saint Antoine, œuvre lue en trois jours devant lesdits amis consternés… C’est Maxime qui a lancé à Gustave : Et si tu racontais l’histoire de Delamare !

    Le saviez-vous ?

    L’histoire vraie d’Emma Bovary

    Eugène Delamare, ancien élève du père de Gustave, est devenu officier de santé – médecin, sans le titre de docteur en médecine. Veuf d’une femme plus âgée que lui, il a épousé, en secondes noces, la jeune Delphine Couturier. Dès leur installation dans la petite commune de Ry, Delphine, qui rêve de grandes amours, s’éprend de l’aristocrate local. Leur courte liaison se termine de façon humiliante pour la jeune femme qui tombe ensuite dans les bras d’un clerc de notaire, Louis Campion. Mais, toujours insatisfaite, malgré la naissance de sa fille, Delphine dépense des sommes folles en toilettes, en mobilier, jusqu’à sa mort – que sans doute elle se donne -, à vingt-sept ans. Cette histoire, publiée dans les journaux, va devenir, sous la plume de Gustave Flaubert, celle de Madame Bovary.

     

    Journal de création

    Un calvaire ! La rédaction du roman Madame Bovary est un véritable calvaire pour Gustave Flaubert. On en découvre les principales stations à travers sa correspondance avec sa maîtresse du temps : Louise Colet (celle qui est dans le fiacre, place de la Concorde, lorsqu’une forme titubante surgit de la nuit tombante : Alfred de Musset – vous rappelez-vous ?…)

    Chienne de chose que la prose !

    Gustave s’est mis au travail, le 19 septembre 1851. Et dès les premières lignes, il a senti qu’il lui faudrait du temps, beaucoup de temps avant d’atteindre la dernière. Il se fixe des règles d’écriture extrêmement rigoureuses : Je veux qu’il n’y ait pas dans mon livre, un seul mouvement, une seule réflexion de l’auteur (lettre à Louise, le 8 février 1852) ; Bovary m’ennuie : Cela tient au sujet et aux retranchements perpétuels que je fais (lettre à Louise, le 13 juin 1852) ; Quelle chienne de chose que la prose ! Ça n’est jamais fini ; il y a toujours à refaire. Une bonne phrase de prose doit être comme un vers, inchangeable, aussi rythmée, aussi sonore (lettre à Louise, 22 juillet 1852) ;

    Je perds un temps incalculable

    Je suis, en écrivant ce livre, comme un homme qui jouerait du piano avec des balles de plomb sur chaque phalange (lettre à Louise, 26 juillet 1852) ; Je perds un temps incalculable, écrivant quelquefois des pages entières que je supprime ensuite complètement, sans pitié (lettre à Louise, 7 octobre 1852) ; Je suis gêné par le sens métaphorique qui décidément me domine trop. Je suis dévoré de comparaisons comme on l’est de poux, et je ne passe mon temps qu’à les écraser ; mes phrases en grouillent (lettre à Louise, 17 décembre 1852) ; J’ai été cinq jours à faire une page (lettre à Louise, 15 janvier 1853) ; Comme je vais lentement ! Et qui est-ce qui s’apercevra jamais des profondes combinaisons que m’aura demandées un livre si simple ? Quelle mécanique que le naturel, et comme il faut de ruses pour être vrai (lettre à Louise 6 avril 1853) ?

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