• Musset et sa muse, première partie

    by  • 6 juin 2014 • Poème quotidien • 0 Comments

    Alfred de Musset (1810 - 1857) par Charles Landelle (1821 - 1908)

    Alfred de Musset (1810 – 1857) par Charles Landelle (1821 – 1908)

    Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2005.

    Il était grand, il était beau, il sentait bon le génie des mots, il a livré toutes les guerres contre celui qui l’assaillait jour et nuit : lui ! Musset ! Malheureux mariage d’un romantique et des abysses du tourment, aux splendides enfants : ses poèmes, feux follets, agités, turbulents, désinvoltes, des « Nuits » d’adolescent, diamantines, enflammées, scintillantes, inutiles comme les étoiles, des « Nuits »  qui ont tant énervé Rimbaud par certains côtés si rustaud…

    Beau, spirituel, mélancolique…

    Vous rappelez-vous Cassandre Salviati (ou Vous souvenez-vous de… mais surtout pas : Vous rappelez-vous de… le verbe se rappeler étant transitif direct, c’est-à-dire qu’il doit être suivi d’un complément d’objet direct, lequel se passe de la préposition « de ») ? Donc, vous souvenez-vous de Cassandre Salviati ? Mais si, voyons, cherchez bien… Voilà, vous avez trouvé : c’est elle qui, dansant, à treize ans, un délicat branle de Bourgogne le 21 avril 1545 à la cour de Blois émeut tant Pierre de Ronsard que ses sonnets en seront à jamais nostalgiques. Eh bien, elle occupe l’une des branches de l’arbre généalogique d’Alfred de Musset. On trouve aussi, sur ces branches de prestige pleine de promesses nouvelles, une certaine Catherine du Lys, nièce de Jeanne d’Arc, ce qui fera dire à Musset l’approximatif : « Jeanne d’Arc, mon arrière-grand-tante… » ! On trouve encore dans l’arbre des Musset la branche du Bellay, cousine de celle de Joachim. Du beau, du spirituel, du mélancolique, voilà ce qui circule dans les veines du fruit que produit le mardi 11 décembre 1810, l’union de Victor Donatien de Musset-Pathay, grand spécialiste de Rousseau, et Edmée Charlotte Guyot Desherbiers : Alfred !

    Alfred l’étrange

    Du beau, du spirituel, du mélancolique, certes, nous le verrons à travers la production étonnante du poète, mais du bizarre aussi : Paul de Musset son biographe et frère raconte qu’à huit ans, Alfred fut pris d’accès de manies ; il brisa en un seul jour une grande glace de leur salon avec une bille d’ivoire, puis s’empara de ciseaux et découpa des rideaux neufs, enfin, il prit de la cire à cacheter rouge et l’écrasa sur une carte d’Europe, au beau milieu de la Méditerranée… Il s’en montre si consterné qu’on ne le réprimande pas. Etrange Alfred !

    La vie facile

    Le voici au lycée Henri IV où il fait l’émerveillement de ses professeurs, terminant toujours aux places d’honneur et fondant en larmes si par hasard il n’y figure pas. Présenté au concours général de dissertation latine, il termine à la seconde place. Il aime la musique, sait dessiner. Il est svelte, il est  riche et beau, il aime rire… La vie s’annonce facile. Peut-être l’aurait-elle été s’il avait poursuivi ses études de droit, ou bien celles de médecine, également abandonnées. Pourquoi ? Parce que Musset, comme tout adolescent a tenté d’ajuster ses premières émotions aux exigences du vers et de la rime. Parce que, remarquant ses dons, son camarade au lycée Henri IV, Paul Foucher, lui a proposé de faire lire ses premiers textes au mari de sa sœur Adèle…

    Alfred le simulateur

    Le mari d’Adèle ? L’avez-vous reconnu ? Oui, c’est Hugo ! Et Hugo ne s’y trompe pas : tant de facilité dans l’écriture, tant de virtuosité, d’audace… Cet Alfred de  Musset peut aller loin ! Bien vu, Hugo ! Alfred va même trop loin. Lorsque paraît sa première œuvre en vers, Les Contes d’Espagne et d’Italie, fin 1829, la plupart des critiques se déchaînent : a-t-on jamais vu cela, un mélange de tout et n’importe quoi, immoral, outré ! Dans la Revue française, on peut lire, à propos de ces contes : On s’y perd, Monsieur Musset  devient tout à fait inintelligible ! Mais, que lui reproche-t-on exactement ? Tout simplement, un ton, une façon d’écrire qui se dégage du romantisme sans le quitter vraiment, qui semble le simuler, et parfois même le singer… Voilà : on sent Musset plein de malice pour ses pairs qui se prennent au sérieux, on le devine plein d’ironie, et surtout – cela ne pardonne pas – plein de génie !

     

    Musset la tendresse

    L’homme est un apprenti, la douleur est son maître / Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert.

    Poète, prends ton luth, et me donne un baiser – La Nuit de Mai.

    Le seul bien qui me reste au monde / Est d’avoir quelquefois pleuré – Tristesse.

    Ah ! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie – Premières Poésies.

    C’était dans la nuit brune / Sur le clocher jauni / La lune / Comme un point sur un i – Ballade à la lune.

     

    La mort du père

    Pourquoi cette distance dans l’écriture, pourquoi cette désinvolture chez Musset ? Il a cru très tôt à l’amour. Il a cru que la première femme de sa vie serait aussi la dernière, la seule. Hélas, c’était une femme de partage, et lorsqu’il l’a compris, c’est toute sa vie qui a basculé dans la méfiance, la certitude que partout se tapit l’imposture. Des femmes, il en aura, des dizaines, davantage même. Il est beau, il le sait, on peut imaginer le reste. 1830 : sa pièce La Nuit vénitienne copieusement sifflée, il décide de ne plus jamais utiliser la scène. Deux ans plus tard, une épidémie de choléra fauche des milliers de vies dans la capitale. Le 8 avril, son père en meurt. Alfred l’insouciant s’effondre. C’est un adulte qui se relève, décide de vivre de la littérature et publie en décembre 1832 des pièces à lire : Spectacle dans un fauteuil. En 1833 paraissent dans La Revue des deux mondes, une pièce en deux actes Les Caprices de Marianne, et un long poème : Rolla où Musset met en vers sa génération désenchantée, orpheline de ses rêves, de sa foi idéale.

    Rolla

    La quatrième partie du poème Rolla commence par des vers de colère contre Voltaire – remarquez la variété dans la disposition des rimes (croisées, plates, embrassées) de ces alexandrins torrentiels…

     

     

    Dors-tu content…

     

    Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire

    Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ?

    Ton siècle était, dit-on, trop jeune pour te lire ;

    Le nôtre doit te plaire, et tes hommes sont nés.

    Il est tombé sur nous, cet édifice immense

    Que de tes larges mains tu sapais nuit et jour.

    La Mort devait t’attendre avec impatience,

    Pendant quatre-vingts ans que tu lui fis ta cour ;

    Vous devez vous aimer d’un infernal amour.

    Ne quittes-tu jamais la couche nuptiale

    Où vous vous embrassez dans les vers du tombeau,

    Pour t’en aller tout seul promener ton front pâle

    Dans un cloître désert ou dans un vieux château ?

    Que te disent alors tous ces grands corps sans vie,

    Ces murs silencieux, ces autels désolés,

    Que pour l’éternité ton souffle a dépeuplés ?

    Que te disent les croix ? que te dit le Messie ?

    Oh ! saigne-t-il encor, quand, pour le déclouer,

    Sur son arbre tremblant, comme une fleur flétrie,

    Ton spectre dans la nuit revient le secouer ?

    Crois-tu ta mission dignement accomplie,

    Et comme l’Eternel, à la création,

    Trouves-tu que c’est bien, et que ton œuvre est bon ?

    Au festin de mon hôte alors je te convie.

    Tu n’as qu’à te lever ; – quelqu’un soupe ce soir

    Chez qui le Commandeur peut frapper et s’asseoir.

     

    Alfred de Musset – Poésies nouvelles, Rolla, 1850

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