• Les dix commandements pour écrire un poème – première partie

    by  • 3 juin 2014 • Poème quotidien • 0 Comments

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    Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2010.

    Vous avez décidé d’écrire un poème, parce que vous voulez exprimer votre émotion, votre colère, votre admiration, parce que vous désirez célébrer la beauté de la nature, parce que vous venez de tomber amoureux d’un paysage, d’une jeune fille sage, ou d’une folie emballée pour la vie dans le corps d’un Apollon à votre goût… Ou bien parce que vous n’imaginez pas qui, mis à part vous, pourrait cumuler l’an prochain, le Prix Apollinaire, le Goncourt de la Poésie, et le Coquelicot d’or de Tripaton-sur-Mogette. Soit ! Avant de passer à l’acte, lisez les dix commandements à appliquer d’urgence en cas d’inspiration poétique.

    Mettez-vous en règles

    Si vous avez jugé qu’écrire de la poésie ne sert à rien, qu’un bon poète n’est pas plus utile à l’état qu’un bon joueur de quilles, ainsi que l’affirmait Malherbe, eh bien, fermez ce livre et allez jouer aux quilles. Dans le cas contraire, ou si vous ne disposez pas de quilles,  préparez-vous à réviser les règles d’écriture de la poésie classique, même si vous décidez ensuite de tout jeter aux orties, dans une attitude de révolté(e) romantique, symboliste, dadaïste, surréaliste – car le poète est d’abord révolté contre tous ceux qui le précèdent, il va faire mieux, lui, c’est sûr ! Et maintenant, au travail…

     

    1 – Premier commandement : choisissez votre genre

    Voici venue l’heure du choix…

    Êtes-vous classique ?

    Vous pouvez opter pour l’écriture classique, avec des vers qui ne dépasseront pas douze syllabes (l’alexandrin), des rimes, des rythmes étudiés, des césures – coupures dans le vers selon sa longueur, et toute une technique simple mais qui doit être respectée à la lettre si vous décidez d’écrire comme écrivaient Racine, Rousseau le Grand, Chénier, Hugo, Baudelaire…

    Sans rime, mais avec raison

    Vous pouvez opter pour une poésie libérée, votre vers ne se préoccupe pas de rimes, de décompte de syllabes, mais il demeure un vers, qu’il soit composé d’un mot ou de dix ou davantage, on reconnaît en le regardant que votre texte est un poème avec des vers volontairement distingués de la prose.

    Bouquet de prose

    Votre choix peut aussi aller vers le poème en prose qui se présente comme n’importe quel texte sans retours à la ligne qui puissent faire penser à des vers. Le poème en prose se compose d’un ou de plusieurs paragraphes de longueurs variables ; affranchi de toutes les règles d’écriture du vers classique ou moderne, c’est un espace de liberté pour la poésie que vous devez cependant éviter de diluer, au risque de livrer à vos lecteurs un brouet où ils espéraient des crèmes (comme dit qui, à qui, dans quoi ? Comme dit, à peu près, Roxane à Christian, dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand)…

    Mélanges

    Vous pouvez aussi mélanger tout cela et composer une œuvre où l’on trouvera une écriture classique modernisée, ou une écriture moderne qui accueille des éléments classiques, bref, la poésie, c’est aujourd’hui la liberté, et poète signifiant créateur, soyez poète !

     

    2 – Vous avez dit classique, choisissez votre forme

    La poésie classique, ce sont des formes variées qui se sont succédé (jamais d’accord au participe passé succédé, transitif indirect, et qui ne peut donc avoir de complément d’objet direct avec lequel on l’accorderait s’il était placé avant le verbe) tout au long de l’histoire de la poésie que vous avez parcourue. Dans les chapitres de ce livre, vous allez retrouver, en vous aidant de l’index, les formes qui ont été définies au fil des pages :

    la ballade – voyez Villon

    le rondeau – voyez Charles d’Orléans

    l’épître – voyez Marot

    le blason – voyez Marot

    le dizain – voyez Scève

    le sonnet – voyez Du Bellay, Baudelaire, Verlaine

    l’épigramme – voyez Voltaire

    la fable – voyez La Fontaine

    l’ode – voyez Ronsard,

    le pantoum – voyez Baudelaire

    le haïku – voyez le chapitre qui lui est consacré

     

    3 – Apprenez à compter les syllabes d’un vers

    Attention, voilà une partie fort délicate de votre apprentissage, celle qui consiste à compter les syllabes d’un vers, et qu’on nomme la prosodie. L’étude de l’ensemble des éléments dont sont formés les vers s’appelle la métrique. Si vous avez décidé décrire des vers classiques, respectez scrupuleusement les règles qui les gouvernent ; la moindre erreur, et vous voici classé dans les poétaillons de canton qui écrivent des vers de mirliton ! Attention voici les règles les plus importantes, avant de passer à l’étude approfondie de l’alexandrin

    Connaissances de base…

    Le vers classique ne dépasse pas douze syllabes

    Le « e » qui termine un vers ne compte pas pour une syllabe, ni le « es » de la conjugaison ou du pluriel

    Le « e » qui termine un mot à l’intérieur du vers ne compte pas s’il est suivi d’une voyelle.

    Vos premiers pas de compteur

    Dans cet hémistiche de Verlaine, on compte six syllabes, le « e » de « rêve » ne compte pas car il est suivi du « é » de « étrange » ; le « e » final de « étrange » ne compte pas car il est suivi du « e » de « et ».

    Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant = Je : fais / sou / vent / ce / rêv / étrang  /  et pé / né / trant = 12 syllabes

    Le « e » qui termine un mot à l’intérieur du vers compte s’il est suivi d’un « s » pluriel ou d’une consonne :

    Sur les crédences au salon vide nul ptyx = Sur / les / cré / den / ces / (z) au / sa / lon / vi / de / nul / ptyx = 12 syllabes

    L’alexandrin

    Etudions maintenant le vers le plus utilisé en poésie classique, l’alexandrin, ainsi nommé parce ses douze syllabes sont utilisées pour la première fois dans le Roman d’Alexandre, au XIIe siècle, écrit par Alexandre de Bernay. On ne sait trop si ce nom “alexandrin” honore Alexandre le Grand, le héros du roman, ou Alexandre de Bernay son auteur. Qu’importe, faisons mieux connaissance avec lui :

    L’alexandrin comporte douze syllabes

    Il est composé de deux parties de six syllabes appelées les deux hémistiches.

    Ces deux hémistiches sont séparés par une césure à la sixième syllabe, obligatoirement suivie d’une espace (en typographie, le mot espace est féminin)

    Si l’espace n’est pas respectée à la sixième syllabe, la césure est appelée « enjambante », et l’alexandrin est jugé fautif (par les puristes, non par les mirlitons)

    Si un “e” termine la sixième syllabe du premier hémistiche, la césure est (déconseillée) et dite lyrique

    Exemple de deux  alexandrins classiques avec césure à la sixième syllabe :

    Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,

    Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, (Baudelaire)

    Exemple d’un alexandrin avec césure enjambante :

    Et la tigresse épou / vantable d’Hyrcanie (Verlaine)

    Exemple de césure lyrique

    Périssez! Puissance, / justice, histoire, à bas! (Rimbaud)

    L’alexandrin doit être lu en respectant les coupes qui lui donnent son sens. En général, dans l’alexandrin classique, la coupe principale se situe à la césure. Mais à l’époque romantique, on découpe le vers de douze syllabes en trois parties de quatre syllabes chacune, c’est ce qu’on appelle pompeusement le trimètre romantique alors que ce n’est rien d’autre qu’un alexandrin normal avec une respiration différente… On peut aussi le couper en quatre fois trois syllabes

     

    Diérèse et synérèse

     

    Attention lorsque vous comptez vos syllabes, que ce soit dans un alexandrin ou dans un autre vers : le nombre de syllabes de certains mots peut varier selon qu’on utilise la diérèse qui sépare deux syllabes ou la synérèse qui unit deux syllabes :

    Exemple de diérèse

    Ex / pan / si / on : quatre syllabes en divisant la dernière syllabe en deux unités – diérèse ; elle permet un effet d’insistance.

    Li / on : deux syllabes

    Exemple de synérèse

    Ex / pan / sion : trois syllabes – synérèse : les deux sons vocaliques de « sion » fusionnent en une seule syllabe.

    Lion : une syllabe

    4 – Identifiez le vers

    Le décompte des syllabes s’effectue pour les autres vers de la même façon que pour les alexandrins. Leur nom varie selon leur longueur :

    Une syllabe : monosyllabe : Mur

    Deux syllabes : dissyllabe : Tout dort

    Trois syllabes : trisyllabe ou trimètre : Monotone

    Quatre syllabes : tétrasyllabe ou tétramètre : Les sanglots longs (Verlaine)

    Cinq syllabes : pentasyllabe ou pentamètre : Quoi ? – L’éternité (Rimbaud)

    Six syllabes : hexasyllabe ou hexamètre : Elle dort toute blanche (Charles Cros)

    Sept syllabes : heptasyllabe : Le papillon ! Fleur sans tige (Nerval)

    Huit syllabes : octosyllabe : Dans une escale mal famée (Catulle Mendès)

    Neuf syllabes : ennéasyllabe : De la musique avant toute chose (Verlaine)

    Dix syllabes : décasyllabe : Les grands nénuphars entre les roseaux (Verlaine)

    Onze syllabes : hendécasyllabe – son emploi est très rare : Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses (Verlaine)

    Douze syllabes : alexandrin, ou dodécasyllabe : J’étais las d’un beau ciel et d’un lit amoureux (Pétrus Borel)

     

    A suivre…

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