• Là-haut sur la montagne… Ronsard et Du Bellay à Coqueret

    by  • 23 juin 2014 • Extraits, Jadis ou naguère • 0 Comments

    Impasse Chartière à Paris, une plaque indique la situation du collège de Coqueret.

    Impasse Chartière à Paris, une plaque indique la situation du collège de Coqueret.

    Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2010

    Grimpons sur la montagne Sainte-Geneviève, à Paris. Soixante et un mètres au-dessus du niveau de la mer, Paris est vraiment la ville de tous les miracles : on y entre colline, on en ressort montagne ! Donc, nous voici tout en haut de cette élévation naturelle sur laquelle s’installèrent les Romains, occupée maintenant, en 1547, par l’enclos Saint-Geneviève et une dizaine de collèges parmi lesquels celui de Coqueret où nous sommes attendus…

    Dinemandi, l’érudit

    Entrez, entrez ! Vous êtes bien au collège de Coqueret, à Paris. C’est moi, Jean Dorat, qui suis le supérieur de Coqueret. Mon collège a été fondé par un prêtre d’Amiens, Nicolas Coqueret, au siècle dernier. Siècle sans ambition :  l’étude des textes y était limitée, tout reposait sur de de vieux commentaires pleins d’erreurs ; on ne pouvait écrire, créer que soumis à des obligations étouffantes. De l’air, de l’air ! Et cet air, moi, Jean Dorat, je le trouve en puisant aux sources vives des cultures grecques et latines. Je suis devenu le plus grand helléniste, le plus grand latiniste de France – mais, soyez tranquille, je demeure modeste, je n’ai pas oublié que je suis né à Limoges en 1508, de parents pauvres, les Dinemandi (du lorrain Disnamandy : mange matin), et qui m’ont poussé vers la ville où j’ai commencé par devenir correcteur chez les plus grands imprimeurs avant de faire de solides études.

    Une anecdote

    Pédagogie à l’ancienne…

    Heureux êtes-vous si vous faites vos études au collège de Coqueret. Si vous les aviez faites dans le collège voisin, celui de Montaigu, vous auriez connu l’enfer que décrit l’humaniste néerlandais Erasme (1466 – 1536) qui y séjourna :

    « Le supérieur de Montaigu, Jan Standonck contraignit les élèves pauvres à un régime si rude que plusieurs d’entre eux, pourtant doués et qui donnaient les plus belles espérances, moururent ou devinrent, par sa faute, aveugles, fous ou lépreux, dès la première année d’essai. Aucun ne resta sans courir quelque danger pour sa vie. Non content de ces rigueurs Standonck leur interdit absolument l’usage de la viande… Au cœur de l’hiver, on les nourrissait d’un peu de pain, on leur faisait boire l’eau du puits, corrompue et dangereuse, quand le froid du matin ne l’avait pas gelée. J’en connais beaucoup qui, même aujourd’hui, ne peuvent se guérir des infirmités contractées au collège de Montaigu. Il y avait quelques chambres basses dont le plâtre était moisi, et qu’empestait le voisinage des latrines. Personne ne les habita jamais sans y mourir ou prendre quelque maladie grave. Je ne parle pas de la cruauté avec laquelle on fouettait les écoliers, même innocents. On prétendait abattre ainsi l’orgueil; entendez par orgueil toute noblesse de nature, que l’on s’ingéniait à ruiner, pour rendre les adolescents aptes à la vie monastique… Combien on y dévorait d’œufs pourris ! Combien on y buvait du vin gâté ! »

    Et qui donc, outre Erasme, est sorti de ce collège d’enfer – d’où les élèves brisés sortent avec un niveau plus qu’excellent, s’ils survivent ? Rabelais qui affirme qu’il vaut mieux être chien qu’élève à Montaigu ; Calvin, le réformateur, qui fit brûler à Genève le philosophe Michel Servet qui l’avait contredit ! Et puis Ignace de Loyola, fondateur de l’ordre des jésuites…

     

    Coquet Coqueret…

    Sans doute êtes-vous intéressés par mon programme pédagogique ? Le voici : le matin, lecture, explication des auteurs grecs et latins, le midi et l’après-midi lecture, explication des auteurs latins au moyen des auteurs grecs, le soir et une partie de la nuit, lecture des … Certes, mais est-ce là tout votre programme, Jean Dorat ? Non, bien sûr, je leur donne aussi en lecture les auteurs italiens, Dante, Pétrarque… Tout cela leur permet de s’imprégner des genres littéraires pratiqués par les Anciens, de les étudier, et plus tard, de les imiter.

     

    Allégories

    J’aime surtout leur faire comprendre que les œuvres des Anciens sont des allégories destinées à nous faire comprendre le sens de notre passage sur terre : l’Odyssée, par exemple, c’est l’annonce de toutes les embûches qui nous attendent dans l’existence, et chaque aventure d’Ulysse lors de son voyage, correspond à l’une des nôtres dans notre vie. Pensez aux chants des sirènes, pensez aux compagnons d’Ulysse, à la belle, la fatale Circé qui les transforme en cochons…

    Ils iront loin…

    Approchez, je vais vous présenter trois de mes élèves les plus prometteurs : voici Jean-Antoine de Baïf dont le père vient de mourir en cette année 1547 – il m’appointait généreusement pour l’éducation de son fils – ; voici Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay. Trois amis inséparables qui ont de grands projets pour la langue française. Ils ont même donné un nom à leur trio : la brigade ! Et je puis même vous révéler qu’ils ont l’intention de déclencher une révolution ! Rassurez-vous : il s’agit seulement d’une révolution en poésie. Cela m’amuse et m’intéresse. S’ils réussissent, je suis sûr qu’on parlera longtemps de cette « brigade » dans les siècles à venir…

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