Désir de Labé
by jjj • 20 mai 2014 • Poème quotidien • 0 Comments
Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2010.
Que n’a-t-on raconté à propos de Louise Labé (1520 – 1566). On a même prétendu qu’elle n’a jamais existé, que ses poèmes ne sont qu’inventions de versificateurs en mal de distraction. Ils auraient créé ce personnage de fiction pour lui attribuer de brûlants sonnets qu’ils n’eussent osé publier tels et d’eux signés… Et tout cela se serait passé autour de Maurice Scève. Quand on connaît, à travers sa Délie et sa vie l’amoureux – ou l’amant. – de Pernette du Guillet, on l’imagine mal en inspirateur de ce genre de mystification. Mais quand on sait que, par ailleurs, on nous suggère que Jeanne d’Arc n’aurait qu’une existence incertaine alors que sa contemporaine, Christine de Pisan, vous l’avez lu en ces pages, écrit à son adresse des vers qu’on peut encore lire : Le Ditié de Jehanne d’Arc, on peut faire un sort à ces assertions du doute de tout, parfois pernicieuses…
Envie de baisers
Donc, Louis Labé a bel et bien existé et de son héritage incandescent, nous portons tous quelques braises. Non ? Ne lûtes-vous point, ou n’entendîtes vous point quelque jour de naguère ou jadis : Baise m’encor, rebaise-moi et baise ? Alors, vous le voyez bien que vous possédez, peut-être sans le savoir, une braise de Louise Labé !
Hardie Louise !
Louise, née vers 1520, est la fille de Charly – Charly, Pierre Charly, un cordier lyonnais qui a fait fortune. Elevée chez les sœurs, puis mariée à un cordier, Louise gagne le surnom de « La Belle cordière ». Cet adjectif, en soi, est presque une biographie… Si on y ajoute les qualificatifs hardie et conquérante, on trace le programme de toute sa vie. Hardie, Louise l’est lorsqu’elle exige d’apprendre le maniement des armes et de participer à des tournois. A cette époque, pour une femme, cela ne se fait pas. Plus hardie encore : on raconte qu’en 1542, parmi les combattants qui assiègent la ville de Perpignan, on remarque une silhouette qui galvanise le courage des soldats : Louise déguisée en homme ? Oui, la légende le raconte, et on est bien tenté de le croire.
Conquérante aussi…
Conquérante Louise ? Sans aucun doute : d’abord elle s’installe hardiment dans les cercles culturels, habituellement interdits aux femmes, auprès de Maurice Scève. Conquérante ? Bien sûr, lorsqu’elle revendique sa liberté après que des bruits courent sur ses liaisons avec un bel Italien, notamment, ou bien avec Olivier de Magny, poète, ami de Du Bellay. Magny entretient une correspondance amoureuse avec Louise, se vante même de sa bonne fortune dans l’un de ses odes, se moquant des complaisances du mari, le cordier Ennemond Perrin. Conquérante enfin, Louise, lorsqu’elle réussit à faire publier son œuvre, de son vivant, par le meilleur éditeur de son époque.
Jouir de son art
Alors, évidemment, toutes ces conquêtes, attestées, vérifiées, sûres et certaines, ont irrité les misogynes de ce temps-là, de tous les temps, de notre temps… Voilà pourquoi sans doute, certains ne lui pardonnent pas aujourd’hui d’avoir existé, la nient dans sa vie, dans son art. Laissons à leurs lubies ces douteurs grognons. Il est l’heure, il est toujours l’heure, de jouir de l’instant en dégustant de Louise la spécialité : le sonnet. Attachez – presque toutes – vos ceintures, les décasyllabes que vous allez lire voyagent à la vitesse de la lumière, une vitesse qui convient parfaitement aux transports amoureux…
De Louise, trois sonnets
Les sonnets de Louise Labé ont passé sans difficulté la barrière des âges : l’universelle passion amoureuse les imprègne tout entiers, bâtie sur une sincérité qui fait l’économie d’allusions érudites, de références pour initiés. Epithètes riches, variées, précises, invocations, énumérations, tout cela s’ajoute à une écriture qui emprunte à la musique les secrets de l’harmonie pure. Chaque sonnet de Louise est un ravissement.
Plaisir de lire
Baise m’encor…
Baise m’encor, rebaise moy et baise:
Donne m’en un de tes plus savoureus,
Donne m’en un de tes plus amoureus :
Je t’en rendrai quatre plus chaus que braise.
Las, te plein tu ? ça que ce mal j’apaise,
En t’en donnant dix autres doucereus.
Ainsi meslans nos baisers tant heureus
Jouissons nous l’un de l’autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soy et son ami vivra.
Permets m’Amour penser quelque folie :
Tousjours suis mal, vivant discrettement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moy ne fay quelque saillie.
Oh ! si j’étais en ce beau sein ravie
Oh ! si j’étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant ;
Si avec lui vivre le demeurant
De mes courts jours ne m’empêchait envie ;
Si m’accolant, me disait : Chère Amie,
Contentons-nous l’un l’autre, s’assurant
Que jà tempête, Euripe, ni courant
Ne nous pourra déjoindre en notre vie ;
Si, de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l’arbre encercelé*,
La mort venait, de mon aise envieuse,
Lors que souef* plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.
Louise Labé – Sonnets
Encercelé : encerclé. Souef : doucement
Je vis, je meurs, je me brûle et me noie
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.