• À une Madone

    by  • 13 avril 2014 • Poème quotidien • 0 Comments

    orient-blades.com

     

    Poème de Charles Baudelaire, qu’aimait dire avec passion Stéphane Hessel

     

    Ex-voto dans le goût espagnol

    Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
    Un autel souterrain au fond de ma détresse,
    Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur,
    Loin du désir mondain et du regard moqueur,
    Une niche, d’azur et d’or tout émaillée,
    Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
    Avec mes Vers polis, treillis d’un pur métal
    Savamment constellé de rimes de cristal,
    Je ferai pour ta tête une énorme Couronne ;
    Et dans ma jalousie, ô mortelle Madone,
    Je saurai te tailler un Manteau, de façon
    Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
    Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes ;
    Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes !
    Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
    Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
    Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
    Et revêt d’un baiser tout ton corps blanc et rose.
    Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
    De satin, par tes pieds divins humiliés,
    Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte,
    Comme un moule fidèle en garderont l’empreinte.
    Si je ne puis, malgré tout mon art diligent,
    Pour Marchepied tailler une Lune d’argent,
    Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles
    Sous tes talons, afin que tu foules et railles,
    Reine victorieuse et féconde en rachats,
    Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
    Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges
    Devant l’autel fleuri de la Reine des Vierges,
    Étoilant de reflets le plafond peint en bleu,
    Te regarder toujours avec des yeux de feu ;
    Et comme tout en moi te chérit et t’admire,
    Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
    Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,
    En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

    Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,
    Et pour mêler l’amour avec la barbarie,
    Volupté noire ! des sept Péchés capitaux,
    Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux
    Bien affilés, et, comme un jongleur insensible,
    Prenant le plus profond de ton amour pour cible,
    Je les planterai tous dans ton Coeur pantelant,
    Dans ton Coeur sanglotant, dans ton Coeur ruisselant !

    About

    Laisser un commentaire

    Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *