Léon-Paul Fargue : « Le Piéton de Paris »
by jjj • 19 décembre 2013 • Extraits, Poème quotidien • 0 Comments
Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2010.
Qui se promenait dans le Paris des années 1900 pouvait croiser cent mille piétons bien sûr, mais un seul parmi eux accordait à son cœur le rythme de son pas afin d’en nourrir la cadence des vers que nous aimons lire aujourd’hui : Léon-Paul Fargue.
Professeur Mallarmé
On n’a jamais accepté, dans la famille Fargue ? le mariage de Léon, le brillant ingénieur sorti de l’Ecole centrale et de Marie Aussudre, la petite couturière du Berry. Il a fallu seize ans avant que Léon reconnaisse leur enfant, Léon-Paul, né rue Coquillère à Paris le 4 mars 1876. Léon-Paul s’isole de cette triste histoire en confiant son vague à l’âme aux vers à soie et au rat blanc qu’il élève dans sa chambre. Au collège, il a pour professeur d’anglais un certain Stéphane Mallarmé… Au lycée, il bénéficie des cours de l’écrivain et critique Emile Faguet (1847 – 1916). Quelle orientation choisir ? Normale sup, pourquoi pas. Léon-Paul se retrouve sur les bancs du Lycée Henri IV où Bergson lui-même lui déconseille de poursuivre son projet. C’est décidé : Léon-Paul consacrera ses jours à la littérature.
Paris au coeur
A vingt ans, il côtoie les mardistes de Mallarmé. La poésie devient son viatique et son vecteur pour traverser de long en large Paris qu’il découpe en quartiers dans ses poèmes. Humour et mélancolie conduisent sa plume, tendresse aussi. Des kiosques, des squares, des odeurs et de petits hôtels. En 1939, paraît son ouvrage le plus connu : « Le Piéton de Paris ». Fargue porte en son cœur la capitale reconnaissante qui a donné son nom à une place située à la frontière commune de trois arrondissements, station de métro Duroc.
La céramique Fargue
Parcourez tranquillement – à la Fargue – quelques centaines de mètres et vous voici boulevard Saint-Germain. Entrez dans la brasserie Lipp : les carreaux de céramique que vous y découvrez proviennent tout droit de la fabrique Léon Fargue, le père de Léon-Paul… En 1943, dînant en compagnie de Picasso à la terrasse d’un café, il est victime d’un accident vasculaire cérébral qui la laisse hémiplégique. Il passe les quatre années qui lui restent à vivre dans son appartement du boulevard Montparnasse, il y meurt le 24 novembre 1947.
Sans rimes
Voici, de Fargue, Nocturne, où le vers flâne sur douze syllabes sans rimes et sans déraison, s’ajustant seulement à la fin, après avoir fait alterner des alexandrins, des octosyllabes, un hexamètre, et même un vers de deux syllabes, comme pour retomber sur ses pieds…
Plaisir de lire
Nocturne
Un long bras timbré d’or glisse du haut des arbres
Et commence à descendre et tinte dans les branches.
Les feuilles et les fleurs se pressent et s’entendent.
J’ai vu l’orvet glisser dans la douceur du soir.
Diane sur l’étang se penche et met son masque.
Un soulier de satin court dans la clairière
Comme un rappel de ciel qui rejoint l’horizon.
Les barques de la nuit sont prêtes à partir.
D’autres viendront s’asseoir sur la chaise de fer.
D’autres verront cela quand je ne serai plus.
La lumière oubliera ceux qui l’ont tant aimée.
Nul appel ne viendra rallumer nos visages.
Nul sanglot ne fera retentir notre amour.
Nos fenêtres seront éteintes.
Un couple d’étrangers longera la rue grise.
Les voix,
D’autres voix chanteront, d’autres yeux pleureront
Dans une maison neuve.
Tout sera consommé, tout sera pardonné,
La peine sera fraîche et la forêt nouvelle,
Et peut-être qu’un jour, pour de nouveaux amis,
Dieu tiendra ce bonheur qu’il nous avait promis.
Léon-Paul Fargue – Poèmes, 1912