• Evariste de Parny, le Madécasse imaginaire

    by  • 31 décembre 2013 • Poème quotidien • 0 Comments

    Maison du frère d'Evariste Parny à La Réunion. Le poète Léon Dierx (1838 - 1912) et l'homme politique Raymond Barre (1924 - 2007), y sont nés.

    Maison du frère d’Evariste Parny à La Réunion. Le poète Léon Dierx (1838 – 1912) et l’homme politique Raymond Barre (1924 – 2007), y sont nés.

    Evariste-Désiré de Forges, chevalier, puis vicomte de Parny, est né à Saint Paul, le 6 février 1753, dans la plus fortunée des familles de l’île Bourbon- île de la Réunion. Il vient en France faire ses études au collège de Rennes, chez les oratoriens ; celui qui le remplacera dans son lit de pensionnaire s’appelle François-René de Chateaubriand…. Parny embrasse la carrière militaire aux Gendarmes de la Garde de Versailles en 1772. L’année suivante, il regagne son île, y tombe amoureux d’une jeune beauté de treize ans, Esther Lelièvre. Mais Parny père refuse l’union avec une roturière, si jolie soit-elle. Parny fils, la mort dans l’âme retourne à Paris.

    Premiers poèmes en prose

    Quelques années plus tard, Parny père meurt. Evariste-Désiré fend le flot vers l’île Bourbon pour régler la succession, mais surtout pour proposer à Esther le mar… Hélas, depuis 1777, Esther est l’épouse d’un médecin. Paris de nouveau. Parny publie ses Opuscules poétiques où il célèbre Esther sous le nom d’Eléonore, puis ses Elégies, ses Œuvres érotiques. En 1787, il innove et donne à la poésie ses premières pages en prose avec les Chansons madécasses, adaptées et traduites de textes malgaches – et mises en musique en 1925 par Maurice Ravel. Il prend le parti de ceux qui subissent le colonialisme dans l’île de Madagascar où il n’est jamais allé et dont il restitue la magie et le mystère.

    Plaisir de lire

     

    Chanson V – Méfiez-vous des blancs…

    Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage. Du temps de nos pères, des blancs descendirent dans cette île. On leur dit : Voilà des terres ; que vos femmes les cultivent. Soyez justes, soyez bons, et devenez nos frères.

    Les blancs promirent, et cependant ils faisaient des retranchements. Un fort menaçant s’éleva ; le tonnerre fut renfermé dans des bouches d’airain ; leurs prêtres voulurent nous donner un Dieu que nous ne connaissons pas ; ils parlèrent enfin d’obéissance et d’esclavage : plutôt la mort ! Le carnage fut long et terrible ; mais, malgré la foudre qu’ils vomissaient, et qui écrasait des armées entières, ils furent tous exterminés. Méfiez-vous des blancs.

    Nous avons vu de nouveaux tyrans, plus forts et plus nombreux, planter leur pavillon sur le rivage. Le ciel a combattu pour nous ; il a fait tomber sur eux les pluies, les tempêtes et les vents empoisonnés. Ils ne sont plus et nous vivons, et nous vivons libres. Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage.

     

    Chanson VIII – Il est doux…

     

    Il est doux de se coucher, durant la chaleur, sous un arbre touffu, et d’attendre que le vent du soir amène la fraîcheur.

    Femmes, approchez. Tandis que je me repose ici sous un arbre touffu, occupez mon oreille par vos accents prolongés. Répétez la chanson de la jeune fille, lorsque ses doigts tressent la natte ou lorsqu’assise auprès du riz, elle chasse les oiseaux avides.

    Le chant plaît à mon âme ; la danse est pour moi presque aussi douce qu’un baiser. Que vos pas soient lents, qu’ils imitent les attitudes du plaisir et l’abandon de la volupté.

    Le vent du soir se lève ; la lune commence à briller au travers des arbres de la montagne. Allez, et préparez le repas.

     

    Evariste de Parny – Chansons madécasses, 1787

     

    Ecriture souple, simple, sensuelle…

    Sous la terreur en 1794, Parny fuit la capitale, est ruiné par les assignats, écrit des pamphlets où il attaque la religion. Ceux-ci indignent Chateaubriand qui prétend publier son Génie du christianisme pour répondre aux blasphèmes de Parny – mais le même Chateaubriand affirme connaître par cœur les Elégies de Parny qu’il admire… Evariste-Désiré vit dans le constant souci d’argent, mais continue de se laisser aller à la facilité d’une écriture souple, simple, sans apprêt, sensuelle, sans grand projet, gouvernée dans ses pages comme dans sa vie par le plaisir qu’il déclare « toujours légitime ». En 1802, il se marie ; en 1803, il entre à l’Académie française. Dix ans plus tard, l’empereur lui accorde une pension dont il n’a pas le temps de profiter, il meurt en 1814.

    Sans doute désirez-vous lire l’un des mille et cent poèmes érotiques qu’a composés Evariste Parny, souriants et légers, nimbés de ces flous et vapeurs dont certains photographes de notre temps se plaisent à couvrir leur sujet pour mieux le dévoiler. Ainsi écrit Parny :

    Plaisir de lire

     

    Le Songe

    Le sommeil a touché ses yeux ;

    Sous des pavots délicieux

    Ils se ferment, et son coeur veille.

    A l’erreur ses sens sont livrés.

    Sur son visage par degrés

    La rose devient plus vermeille ;

    Sa main semble éloigner quelqu’un :

    Sur le duvet elle s’agite ;

    Son sein impatient palpite

    Et repousse un voile importun.

    Enfin, plus calme et plus paisible,

    Elle retombe mollement,

    Et de sa bouche lentement

    S’échappe un murmure insensible.

    Ce murmure plein de douceur

    Ressemble au souffle de Zéphyre,

    Quand il passe de fleur en fleur ;

    C’est la volupté qui soupire.

    Oui, ce sont les gémissements

    D’une vierge de quatorze ans,

    Qui dans un songe involontaire

    Voit une bouche téméraire

    Effleurer ses appas naissants

    Et qui dans ses bras caressants

    Presse un époux imaginaire.

     

    Le sommeil doit être charmant,

    Justine, avec un tel mensonge ;

    Mais plus heureux encor l’amant

    Qui peut causer un pareil songe !

     

    Evariste de Parny – Poésies érotiques, 1778

    About

    Laisser un commentaire

    Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *