• XVe siècle au théâtre : « Revenons à nos moutons ! »

    by  • 25 novembre 2013 • Extraits • 0 Comments

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    Extrait de la Littérature française pour les Nuls, éditions First, 2005.

    De bien bonnes farces !

    An 1470. Place centrale d’une petite ville où vous venez de louer une chambre en l’hostellerie du coin de la rue. Vous entendez des bruits de planches qui se heurtent, des coups de maillet de bois, des cris et des voix. Que dresse-t-on sur la place ? Un gibet pour pendre quelque malandrin ? Vous vous approchez, vous demandez. On vous informe : cette haute vesprée, avant le déclin du soleil, on vous promet que vous allez rire, rire comme jamais vous n’avez ri, parce que devant vous, sur les tréteaux qui s’élèvent, on va jouer La Farce du cuvier !

    Le cuvier et son rolet

    Le programme, demandez le programme. Vous pouvez aussi acheter aux imprimeurs qui vous les proposeront après le spectacle, les textes que vous aurez entendu jouer…

    Un cry pour hors d’oeuvre

    Le spectacle va commencer. Vous vous dites : oui, la farce désormais est sortie de tout contexte liturgique. On l’a rencontrée vers 1200, sous forme de diableries dans le jeu d’Adam. Nous sommes  maintenant en 1470. C’est la pleine éclosion du genre…  Et puis foin d’analyses ! Laissez-vous aller – puisque la vesprée s’annonce – au plaisir d’entendre le cry ! Autour de vous, la foule bigarrée et rigolarde des ouvriers, des bourgeois, des paysans, des étudiants, des nobles même ! Le cry, c’est la première pièce, elle fait environ cent vers. C’est le hors d’œuvre. Souvent un monologue. Mais qui sont-ils ces joyeux acteurs qui s’en donnent à cœur joie ? C’est une confrérie, peut-être les Cornards de Rouen, ou bien les Clercs de la Basoche de Paris, ou leur sous-section : les Enfants sans souci, ou bien encore les Sots.

    Par ici la sottie

    Les Sots vont vous jouer, après le cry, une sottie où sont attaquées les idées politiques, où on vous invite à la critique, à découvrir les causes du malaise social. Les Sots qui jouent ce genre intellectuel ont deux meneurs qu’ils ont élu : le Prince des Sots et la Mère Sotte. Ils portent des habits à grelots et tiennent en main un sceptre coiffé d’une tête garnie elle aussi de grelots : la marotte, attribut symbolique de la folie.

    « Ce n’est pas sur mon rôlet… »

    Après le cry et la sottie, voici le point culminant du spectacle : la farce ! Aujourd’hui, c’est la Farce du Cuvier. Voici l’histoire : la femme et la belle-mère de Jacquinot sont toujours sur son dos. Afin de ne rien oublier des mille tâches qui lui sont imposées, il finit par accepter de les inscrire sur un rôlet, une longue feuille de papier. La femme de Jacquinot, satisfaite, tombe aussitôt dans une grande cuve remplie d’eau. Elle suffoque, supplie Jacquinot de la tirer de ce mauvais pas, mais il refuse : ce n’est pas écrit sur son rôlet… Finalement, il va accepter de sauver sa femme, à condition que soit jeté ce rôlet et qu’il devienne maître chez lui !

    Maître Pathelin et son « Bèèèe »

    Le spectacle vous a plu ? Savez-vous que, sur les mêmes tréteaux, vous pourrez voir bientôt la Farce de Maître Pathelin (vers 1465), la plus longue de toutes les farces de l’époque avec 1599 vers ? De quoi parle-t-elle ?

    Guillaume berné

    Eh bien voilà : Maître Pathelin est un avocat sans clients, sans cause à défendre, et forcément, sans argent. Il s’en va chez un drapier nommé Guillaume, et le persuade de lui vendre six aunes de drap à crédit. Guillaume viendra se faire payer chez Pathelin qui lui promet, en plus, un bon repas. Mais lorsque Guillaume se présente chez l’avocat, il le trouve malade et délirant dans son lit. La maladie n’est bien sûr qu’une supercherie pour ne pas acquitter la dette.

    Thibault l’aignelet rend la monnaie…

    Un peu plus tard, Guillaume découvre que son berger Thibault l’Aignelet lui a volé des brebis pour les manger. Thibault qui va comparaître devant le juge fait appel à l’avocat… Pathelin ! Celui-ci recommande à son client de ne répondre au juge du tribunal et à toute question qu’on lui posera, qu’en langage mouton… : Bêêêe ! Lors du procès, Guillaume reconnaît Pathelin. C’est une source de quiproquos qui troublent tant le juge qu’il renvoie tout le monde. Pathelin est très content, mais, au moment où il réclame le prix de ses services à Thibault l’Aignelet, celui-ci ne lui répond plus que Bêêêe, bêêêe, bêêêe…

    Le saviez-vous

    Revenons à nos moutons !

    Pendant le procès, le juge interroge Guillaume sur ses brebis. Celui-ci se trompe et croit qu’il s’agit de l’étoffe achetée par Pathelin, il s’embrouille dans les deux friponneries dont il est victime. Le juge s’y perd, n’y comprend plus rien et doit ramener le procès sur le terrain initial, celui des brebis volées et mangées. Il lance cette réplique qui aujourd’hui est toujours bien vivante : « Revenons à nos moutons ! »

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