• Bossuet : « Madame se meurt… »

    by  • 30 novembre 2013 • Extraits • 0 Comments

    Jacques-Bénigne Bossuet (27 septembre 1627 à Dijon - 12 avril 1704 à Paris) prédicateur et écrivain, par Hyacinthe Rigaud (1649 - 1753).

    Jacques-Bénigne Bossuet (27 septembre 1627 à Dijon – 12 avril 1704 à Paris) prédicateur et écrivain, par Hyacinthe Rigaud (1649 – 1753).

     

     

    Extrait de La Littérature française pour les Nuls, éditions First, 2005

    21 août 1670 : «Madame se meurt ! Madame est morte ! » Point d’enregistreur électronique, à l’époque, et pourtant, on croit entendre tonner, sous les voûtes de l’église, la voix terrible de l’aigle de Meaux ! C’est lui qui a assisté dans son atroce agonie Henriette d’Angleterre, la cousine germaine de Louis XIV. C’est lui qui l’a vue se tordre de douleur, déchirer la nuit de ses cris affreux – elle est morte à deux heures du matin. Dans l’après-midi précédent, elle a bu un verre de chicorée glacée. Est-ce cela qui l’a fait mourir ? A-t-elle été empoisonnée ? Non, les médecins qui examinent son corps découvrent qu’elle a été emportée par une péritonite foudroyante !

    Le rempart de la logique

    En cette occasion où le courage a déserté toute la cour – il n’y fait pourtant pas de si fréquents séjours – c’est l’aigle de Meaux qu’on va chercher. Devant le désastre de la mort, face au chaos où sombrent de toute façon l’humain, ses chimères et ses prétentions à l’immortalité, Bossuet – vous l’aviez reconnu –  construit ! Bossuet charpente la parole afin de donner de l’intelligible à l’inconnaissable. Son oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, le 21 août 1670, oppose à la débâcle des âmes, le rempart de la logique – surtout l’artifice de phrases pour lesquelles l’esprit mobilise toute ses ressources afin d’en saisir la complexité, gagnant ainsi une sorte de plénitude si facile à prendre pour une certitude.

    Une curiosité littéraire

    La phrase en voûte

    « Bossuet organise sa phrase, qui parfois s’édifie en voûte, se soutient de propositions latérales distribuées à merveille autour de l’instant, se déclare et repousse ses incidentes qu’elle surmonte pour toucher enfin à sa clé, et redescendre après des prodiges de subordination et d’équilibre jusqu’au terme certain et à la résolution complète de ses forces. »

    C’est Paul Valéry qui juge ainsi l’écriture de Bossuet dont voici un exemple de voûte : Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté, l’indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux Rois et de leur donner quand il lui plaît de grandes et de terribles leçons…. Avez-vous repéré la clé de voûte de cette phrase typique du style de Bossuet ? Elle se situe dans ces quatre mots : est aussi le seul, de part et d’autre desquels les autres s’organisent en acmé (montée) et apodose (descente) – encore deux mots savants pour étonner votre entourage…

    Bos suetus aratro

    Jacques-Bénigne Bossuet est né à Dijon le 27 septembre 1627 dans une famille de la noblesse de robe qui compte toutes sortes de gens importants. Pourvu très jeune de bénéfices ecclésiastiques qui assurent son avenir matériel, il est façonné par les jésuites chez lesquels il montre tant d’ardeur au travail que ses amis forment sur son nom le calembour latin : bos suetus aratro – le bœuf toujours attelé à la charrue ! Arrivé à Paris en 1642, il se détend quelque peu à l’hôtel de Rambouillet où il découvre la douceur de vivre. Mais, dix ans plus tard, on le trouve ordonné prêtre après avoir suivi l’enseignement et surtout l’exemple de Vincent de Paul – qui se comporte comme le saint qu’il va devenir !

    L’évêque de Meaux

    Bossuet prêche de plus en plus, de mieux en mieux, de plus en plus fort, au point que le roi entend parler de lui, puis l’entend, et enfin l’engage comme précepteur du dauphin (de 1670 à 1680) – qui se fût contenté, d’après les témoins de l’époque, d’un bon professeur de cinquième… Il tente de s’adapter à la cour, sans y faire de trop longs séjours. Élu à l’Académie française en 1671, il est nommé à la tête de l’évêché de Meaux – la métaphore de l’aigle révèle l’homme au faîte de sa gloire, qui domine les questions de son temps, et peut, de toute sa puissance, fondre sur ses adversaires… Il l’administre jusqu’à sa mort en 1704. Il lègue à la langue française une écriture remarquable, élégante dans sa syntaxe, rigoureuse et dense. Les dix dernières années de son existence sont occupées par l’affaire du quiétisme.

    Allons plus loin

    L’affaire du quiétisme

    Autant avoir affaire directement à Dieu, plutôt qu’à ses saints, ou à ses ministres sur terre, qu’ils soient prêtres, évêques ou pape ! Telle est, en raccourci, la doctrine pensée par le prêtre espagnol Molinos, le quiétisme, et adaptée en France par Madame Guyon qui y gagne l’archevêque de Cambrai : Fénelon ! Elle précise : l’union parfaite à Dieu, par la contemplation, qui aboutit à l’état d’oraison, ne nécessite plus le recours à la prière, à la confession, à la réflexion même sur Dieu ; dans l’état d’oraison, l’âme est sortie du corps qui se débrouille pour ne pas commettre de faute pendant ce temps, et même s’il en commet une, on peut considérer que ce n’est pas sa faute.

    Non ! Non et non, dit Bossuet ! Alors, on veut se passer de prêtres, on rejette le dogme ? On n’a plus qu’à démolir les églises ! Pourquoi ?  réplique Fénelon, sainte Thérèse d’Avila a connu des extases totales, et saint François de Sales aussi ! La querelle s’envenime à coup de brochures, d’injures, de calomnies – quel spectacle pour la postérité, Bossuet et Fénelon, qui n’affichent alors pas plus de bon sens que deux gamins ! Finalement, après l’arbitrage de Rome, c’est -évidemment – Bossuet qui l’emporte. Fénelon est mis à la porte de Versailles par Louis XIV lui-même ! La religion catholique peut continuer sa route. En toute quiétude…

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