• Agrippa : Le Bouc Du Désert (suite et fin)

    by  • 3 septembre 2013 • Extraits • 0 Comments

    Terrasse Agrippa d'Aubigné à Genève

    Terrasse Agrippa d’Aubigné à Genève

    Le bonheur en famille ?

    Torrent roulant luttes, combats, débordements, furies, la vie d’Agrippa trouve-t-elle sur la rive, douce consolation au sein de sa famille ? Point du tout : sa femme Suzanne de Lezay, meurt en 1595. Son fils Constant a le tempérament rebelle – il a de qui tenir… En 1608, ce fils épouse sans le consentement de son père Anne Marchant qu’il estourbit d’un coup en 1619, l’ayant surprise dans une auberge de Niort avec un expert en galipettes ! Peu de conséquences pour l’outragé protégé par son père, malgré de multiples trahisons, fripouilleries et friponneries.

    Quatre fois condamné à mort

    Agrippa dans la peine ne trouve de soutien qu’en la page et la plume. Il écrit une Histoire universelle où éclatent ses convictions calvinistes. Evidemment, cette Histoire est condamnée à Paris. Le voici de nouveau en danger de mort ! Il doit fuir. Il gagne Genève où un accueil triomphal lui est réservé, un instant de bonheur dans cette existence brute… Le 24 avril 1623, à soixante et onze ans, autre instant de bonheur, il se remarie avec Renée Burlamacchi. Ses ennemis n’acceptant pas ce mariage le font condamner à mort – pour la quatrième fois dans son existence ! Il s’en moque, épouse Renée, leur union est heureuse. Mais, fidèle, le malheur veille : Marie, fille aînée d’Agrippa, meurt trois ans plus tard. Constant le trahit une dernière fois au profit des catholiques. Agrippa a tout juste le temps de mettre un point final à ses mémoires : Sa vie à ses enfants. Le jeudi 9 mai 1630, à Genève, le poète, le soldat, l’engagé, l’enragé d’Aubigné Agrippa, rend son dernier soupir.

    Constant, le faux-monnayeur

    Constant d’Aubigné… Parlons un peu de ce fils d’Agrippa. Né en 1585, il abjure le protestantisme en 1618, au grand désespoir de son père. Dans son château de Maillezais en Vendée, il se livre à des excès de toute sorte. Après avoir assassiné sa femme adultère en 1619, il est emprisonné quelque temps. Libéré, il se remarie en 1627 à Jeanne de Cardihac qu’il a rencontrée… en prison ! Multipliant les séjours en cachots pour violences, fausse monnaie et fripouilleries diverses, il dilapide rapidement la dot que Jeanne lui a apportée, tout en lui faisant trois enfants prénommés Constant comme papa, né en 1628, Charles, né en 1634, et Françoise, née en 1635 – à la prison de Niort où maman vivait près de papa incarcéré pour dettes ! Françoise ? Françoise d’Aubigné ? Cela vous fait sursauter, vous vous dites : ne serait-ce point ?… Eh bien si : cette petite Françoise qui grandit entre ses deux parents tourmentés épousera le poète Scarron, puis deviendra madame de Maintenon, l’ultime épouse de Louis le Grand, Louis XIV !

    Une anecdote

    “Francine ! Elle vit encore…”

    Digne petite-fille de son grand-père Agrippa pour ce qui est des flirts avec la mort, Françoise d’Aubigné, la petite Francine comme on l’appelle lorsqu’elle part avec ses parents pour la Martinique – Constant a décidé d’aller y vivre après avoir purgé toutes ses peines de prison en 1645. Francine, pendant la traversée se trouve si mal qu’on la croit morte. Sa mère Jeanne, au désespoir, veut la revoir une dernière fois avant qu’on lance par dessus bord son corps enveloppé dans une toile. « Elle vit encore, elle vit… » s’écrie-t-elle. Le canon déjà prêt pour marquer l’immersion se tait, Francine est sauvée ! Elle survit et brille encore de toute sa beauté dans notre mémoire du grand Siècle.

    Plaisir de lire

     

    O France désolée, ô terre sanguinaire…

    Observez le vocabulaire qu’emploie Agrippa dans cet extrait des Tragiques : sang, pleurs, rage, poison, venin, pourriture… Quel spectacle !

    « O France désolée ! ô terre sanguinaire !

    Non pas terre, mais cendre : ô mère ! si c’est mère

    Que trahir ses enfants aux douceurs de son sein,

    Et, quand on les meurtrit, les serrer de sa main.

    Tu leur donnes la vie, et dessous ta mamelle

    S’émeut des obstinés la sanglante querelle ;

    Sur ton pis blanchissant ta race se débat,

    Et le fruit de ton flanc fait le champ du combat. »

    Je veux peindre la France une mère affligée,

    Qui est entre ses bras de deux enfants chargée. (…)

    Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,

    Ni les pleurs réchauffés, ne calment leurs esprits ;

    Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,

    Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble.

    Leur conflit se rallume et fait si furieux

    Que d’un gauche malheur ils se crèvent les yeux.

    Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte,

    Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ;

    Elle voit les mutins tous déchirés sanglants,

    Qui, ainsy que du cœur, des mains se vont cherchant (…).

    Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté

    Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté ;

    Or, vivez de venin, sanglante géniture.

    Je n’ay plus que du sang pour votre nourriture ! »

     

    Les Tragiques – Livre premier – Misères

     

    Ce qu’ils en ont dit

    Le type vivant, l’abrégé de son siècle – Sainte-Beuve (1804 – 1869)

    Bonne lame, bonne plume, mauvais compagnon, sans peur, sans scrupules, poète et brigand, honneur des lettres, peste publique, avec des poussées de rude honnêteté qui lui donnent une mine d’homme antique, de héros de Plutarque – Anatole France (1844 – 1924)

     

     

    Agrippa en œuvres

    1576 – Le Printemps

    1616 – Les Tragiques

    1629 – Sa Vie à ses enfants

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