• Beaumarchais, sans la liberté de blâmer…

    by  • 18 juillet 2013 • Extraits • 0 Comments

    Comédie française, la salle Richelieu

    Comédie française, la salle Richelieu

    Deuxième partie

    Le Mariage de Figaro

    Figaro, son mariage est la grande affaire de la fin de l’Ancien Régime ! Louis XVI, après avoir entendu la pièce en lecture s’en méfie : il comprend que le message qu’elle contient est dangereux pour le système aristocratique. Mais la satire de la noblesse plaît tant – même parmi les nobles… – que Le Mariage de Figaro, ou La Folle Journée est représenté le 27 avril 1784. Ce jour-là, tout le monde sait qu’un événement d’importance se prépare : l’insolence conquérante va occuper la scène, des vérités vont être portées avec une audace inimaginable par des répliques que beaucoup connaissent déjà par cœur – Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus…

    Une récolte imminente…

    Avant le lever du jour, les spectateurs se précipitent vers le théâtre, créant une file d’attente jamais vue ! Les duchesses, les harengères, les marquis et les charretiers y sont traités à égalité ! Lors de la représentation, le public ovationne les répliques, longuement ; des femmes s’évanouissent, d’autres pleurent ; des hommes pâlissent, d’autres s’échauffent. Le lendemain, tout Paris, abasourdi de tant d’audace, se prépare aux nouvelles représentations – soixante-sept, en 1784, un nombre record à cette époque – pendant que dans les pensées, dans les cœurs, les esprits, germe la petite graine de l’espoir pour une récolte que chacun sent quasiment imminente…

    Figaro se marie

    L’intrigue du Mariage de Figaro est assez simple. Ne cherchez pas dans les événements la raison du succès de la pièce. Lisez-la ! Vous verrez, au fil des répliques naître le théâtre moderne, celui de la sincérité, celui des idées. Vous voulez quand même savoir ce qui se passe dans le Mariage de Figaro ? Voici : le comte Almaviva est amoureux de Suzanne, la servante de la comtesse Rosine – il l’a épousée dans le Barbier de Séville. Figaro aime aussi Suzanne qui le lui rend bien. Mais l’imprudent valet a contracté auprès de Marceline – une femme légèrement décatie… – une dette de dix mille francs, lui promettant de lui rendre l’argent, ou de l’épouser ! Almaviva qui est au courant va tout faire pour obtenir les faveurs de Suzanne qui en avertit la comtesse et Figaro.

    Le saviez-vous ?

    Sans la liberté de blâmer…

    Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. Vous êtes sûr d’avoir déjà lu cette phrase, quelque part, et ce n’était pas dans la pièce de Beaumarchais ! Où était-ce, alors ? Ah ! vous y êtes : c’était sur la première page d’un quotidien. Et ce quotidien, quel est donc son titre ?… Le voici qui vous revient en mémoire : son titre, mais c’est bien sûr, c’est Le Figaro ! Si vous n’aviez pas encore remarqué cette devise sous la bannière de l’un des premiers quotidiens nationaux français, précipitez-vous au kiosque…

    Ô femme ! femme ! femme !…

    Un jeune page, Chérubin, apporte sa candeur, sa fraîcheur, dans cette intrigue qu’il contribue à emmêler pour le déplaisir du comte, contrarié dans son projet. Afin de démasquer le comte, Suzanne décide de se rendre à un rendez-vous nocturne qu’il lui a fixé, mais c’est la comtesse qui prendra sa place, déguisée. Figaro qui n’est pas au courant de l’affaire apprend incidemment la nouvelle du rendez-vous. Désespéré, il croit que son aimée, Suzanne, s’apprête à le trahir. Sa plainte résonne longuement dans la scène III de l’acte V : Ô femme ! femme ! femme… Lisez la suite ci-dessous. Tout finit bien : on découvre que… Et puis, après tout, lisez donc aussi toute la pièce, jusqu’à la fin ! Vous ne le regretterez pas !

    Plaisir de lire

    Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier !

    Dans la scène III de l’acte V, Figaro attend, caché, sa bien aimée. Il croit qu’elle va le tromper avec le comte Almaviva, son maître. Il est seul en scène : Ô femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !… nul animal créé ne peut manquer à son instinct : le tien est-il donc de tromper ?… […] Non, monsieur le comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire; tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes […] Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ? Fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs moeurs, je m’en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d’un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! – Las d’attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! […] Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours; que sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits…

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