Beaumarchais, du Bois Marchais… (première partie)
by jjj • 17 juillet 2013 • Extraits • 0 Comments
Extrait de La Littérature française pour les Nuls, éditions First, 2005.
Le Barbier de Séville
Plaisir de lire
Paresseux comme un âne et travaillant toujours, en butte à mille calomnies, mais heureux dans mon intérieur. Libre au milieu des fers, serein dans les plus grands dangers, n’ayant jamais été d’aucune coterie ni littéraire, ni politique, ni mystique, faisant tête à tous les orages, un front d’airain à la tempête, les affaires d’une main et la guerre de l’autre. N’ayant fait de cour à personne, et partant, repoussé de tous. N’étant membre d’aucun parti et surtout ne voulant rien être, par qui pourrais-je être porté ? Je ne veux l’être par personne… Signé Pierre-Augustin Caron, seigneur de Beaumarchais
Le fils chassé
Il est né le 24 juin 1732, seul survivant des cinq garçons de la famille, choyé par ses cinq sœurs – Marie-Joseph, Marie-Louise (Lisette), Madeleine-Françoise (Fanchon), Marie-Julie et Jeanne-Marguerite. Aux études, il préfère l’atelier de son père, maître horloger. Dès quinze ans, il prend l’habitude de fréquenter les cabarets du quartier des Halles, tout près de la rue Saint-Denis, sa rue natale. Le père André-Charles Caron supporte difficilement ce fils qui veut toujours avoir le dernier mot, traîne de plus en plus dans les tripots où il fait déjà de galantes rencontres… Un jour de 1749, André-Charles chasse son fils qui doit trouver refuge chez des amis. Leur diplomatie et leur patience conduiront à la réconciliation du père et du fils, mais à la condition que ce dernier dissipé respecte une charte de comportement extrêmement sévère !
L’inventeur volé
Pierre-Augustin rentre dans le droit chemin – ou du moins il se montre plus malin, et dissimule mieux les petites aventures de son quotidien. Assidu au travail, il invente un système d’échappement pour les montres. Tout fier, il l’emporte au célèbre horloger Le Paute. Celui-ci juge la nouveauté si intéressante qu’il court la présenter à l’Académie des sciences, affirmant qu’il en est l’auteur ! Pierre-Augustin rédige alors, à la hâte un mémoire qu’il envoie à cette même Académie, où il dénonce, preuves à l’appui, la malhonnêteté de Le Paute. En 1754, l’Académie condamne le fraudeur et couronne Pierre-Augustin qui se fait une solide réputation dans l’horlogerie, au point qu’il a pour meilleur client le roi Louis XV lui-même !
Dans l’intimité des écrivains
Naissance du seigneur de Beaumarchais…
26 novembre 1756. Pierre-Augustin Caron épouse Marie-Catherine Aubertin, veuve Franquet, de dix ans son aînée. Il emménage rue de Braque, chez sa belle-Famille. L’année suivante, sa femme hérite d’un petit bois ayant appartenu à un sieur Marchais, de sorte qu’on l’appelle le Bois Marchais. Bois Marchais ? Pierre Augustin soude les deux mots, démonte la première syllabe, lui assujettit un ressort de son cru, remonte le tout, contemple son ouvrage : Beaumarchais. L’horloger de la rue Saint-Denis ajoute à sa création un rouage essentiel pour circuler dans le grand monde : la particule ! Pierre-Augustin Caron devient le seigneur de Beaumarchais ! Hélas, Marie-Catherine, son épouse, meurt le 30 septembre 1757. Il s’en est fallu d’une semaine pour qu’il puisse hériter de sa fortune. Son seul héritage est le procès que lui fait sa belle-famille, le chassant même de sa demeure. Il va s’installer en novembre rue Basse-du-Rempart (aujourd’hui, boulevard des Capucines et de la Madeleine) C’est là qu’il fait la connaissance du banquier Le Normand d’Étiolles, rencontre capitale qui va, de fil en aiguille, le conduire auprès de l’épouse dudit banquier, devenue la maîtresse de Louis XV : la marquise de Pompadour !
Dans l’intimité des filles du roi…
Beaumarchais est un génie touche à tout. Il connaît le tic-tac des horloges, mais aussi celui des métronomes : sa grande passion pour la musique lui permet de devenir maître de musique des filles du roi – Adélaïde, Victoire, Sophie et Louise. Il leur enseigne la harpe dont il vient de perfectionner le mécanisme. Il leur rend aussi de multiples services – on ne sait trop lesquels -, mais, en retour, les quatre filles du roi obtiennent de leur père qu’il visite l’École Militaire, fondée en 1751, et qu’entretient le banquier Pâris-Duverney. Celui-ci, fort satisfait d’être reconnu par le pouvoir royal, associe Beaumarchais à ses affaires et fait sa fortune. En 1761, Beaumarchais achète la charge de conseiller secrétaire du roi, charge qui lui confère la noblesse. Le petit Bois Marchais a bien grandi…
Trafic d’esclaves
1764, Beaumarchais est en Espagne. Officiellement, il va venger sa sœur qui a été abandonnée par son fiancé Clavijo – cette histoire inspire à Goethe un drame… : Clavijo ! Moins officiellement, les objectifs de Caron de Beaumarchais sont moins sentimentaux. Et pour cause : il est chargé de mettre sur pied un commerce d’esclaves noirs pour les colonies espagnoles, il tente de monter une compagnie d’exploitation de la Louisiane. Dernier point : il doit prendre en charge les fournitures des armées. Tout cela au moyen de sommes considérables dont il est porteur ! Tout échoue pourtant, mais il s’est révélé habile en affaires, possédant, de surcroît toutes les qualités et l’efficacité d’un bon agent secret ! L’histoire de sa sœur devient une comédie qu’il écrit et fait représenter en 1767. C’est un échec complet.
Échecs…
Il se remarie en 1768 avec Geneviève-Madeleine Wattebled, veuve du garde général des Menus-Plaisirs à Versailles. Elle possède une immense fortune en rentes viagères – Beaumarchais a toujours lié son destin à des veuves fortunées ; le hasard, sans doute… Il reprend la plume en 1770, écrit un fort mauvais drame, pleurnichard comme ceux de Diderot : Les Deux Amis. Échec total ! Échec aussi lorsque après la mort de Pâris-Duverney, Beaumarchais tente de récupérer la part de l’héritage qui lui revient par testament. Échec encore lorsque, courtisant l’actrice Mademoiselle Ménard, en 1773 il se fait rosser par le duc de Chaulnes dont elle est la maîtresse. Le duc est emprisonné à Vincennes, Beaumarchais au For-l’Évêque ! Échec encore lorsque le conseiller Goëzman qui instruit l’affaire de l’héritage Pâris-Duverney, révèle que l’emprisonné du Fort l’Évêque a tenté de corrompre Madame Goëzman en lui offrant de l’argent et des montres… L’affaire tourne mal : Beaumarchais, malgré une série de libelles vengeurs qui le rendent célèbre, est ruiné !
Allons plus loin
Figaro, barbier à Séville
D’Espagne, Beaumarchais a rapporté une atmosphère, une couleur, un mouvement, et tout cela tourbillonne gaiement et dangereusement dans le Barbier de Séville : le comte Almaviva est un gentilhomme espagnol, fou amoureux d’une jeune fille, Rosine, promise au vieux docteur Bartolo. Il les suit jusqu’à Séville où il retrouve son ancien valet Figaro. Celui-ci lui promet son aide pour approcher la belle dans la maison où la tient cloîtrée le vieux docteur. Déguisé, Almaviva s’assure que Rosine répond à son amour. Quelques péripéties encore, et, avec la complicité d’un vénal Basile, le mariage d’Almaviva et de Rosine a lieu au nez et à la barbe de Bartholo, dans sa propre maison, et avec le notaire qu’il avait dépêché pour épouser sa belle captive !
Triomphe !
1773, c’est aussi l’année où il fait répéter sa nouvelle Pièce : Le Barbier de Séville – multipliant les attentions pour Mademoiselle Ménard, avec les conséquences que l’on sait… Le 23 février 1775, Le Barbier – accepté par le censeur Crébillon fils que vous avez déjà rencontré en compagnie de Louis-Sébastien Mercier – est enfin représenté à la Comédie Française : échec ! Beaumarchais remanie son texte en trois jours et le transforme en chef d’œuvre. Pendant des semaines, le public se presse au théâtre pour entendre et voir un étonnant Figaro qui commence à faire trembler les cloisons sociales, préparant certains effondrements, quatorze ans plus tard ! Rien d’inquiétant pourtant aux yeux de la reine Marie-Antoinette qui adore la pièce au point d’en décider la représentation dans son théâtre du Trianon. Et qui joue le rôle de Figaro ? Le comte d’Artois, frère du roi, futur Charles X ! Et qui joue le rôle de Rosine ? La reine Marie-Antoinette ! Soi-même !…
Le saviez-vous ?
Pour Pierre-Augustin : Reconnaissance éternelle. Signé : les auteurs dramatiques…
Lorsqu’une pièce de théâtre était acceptée par la Comédie-Française, la majeure partie des bénéfices allait tout droit dans ses caisses, évitant soigneusement les poches des auteurs où ne tombait qu’une misère ! Fort du succès du Barbier de Séville, Beaumarchais réclame des comptes aux comédiens, qui ne veulent rien entendre. Il se fâche, puis entame des discussions qui aboutissent à la parution, en août 1780, du Compte rendu de l’affaire des auteurs dramatiques et des Comédiens-Français. Conséquence : le 9 décembre de la même année, les droits des auteurs sont fixés par un arrêt du Conseil d’État. La reconnaissance légale du droit d’auteur est entérinée par l’Assemblée constituante, le 13 janvier 1791. La loi précise que la plus sacrée, la plus inattaquable et la plus personnelle de toutes les propriétés est l’ouvrage, fruit de la pensée de l’écrivain. La société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) naît officiellement le 7 mars 1829 – aujourd’hui, elle est située rue Ballu, dans le 9ème arrondissement, à Paris. Merci, Pierre-Augustin…
L’aide aux insurgents d’Amérique
Cinq ans avant la représentation du Barbier, la femme de Beaumarchais est morte brutalement – certaines bonnes langues répandent autour de ce décès, et de celui de la précédente épouse fortunée, certains bruits… complètement infondés ! L’héritage ? Il est en viager ! Il faut bien vivre : Beaumarchais qui a montré son savoir faire d’agent secret se met au service du roi. Il est envoyé en missions ultra-secrètes en Hollande, en Angleterre, notamment avec le fameux chevalier d’Éon – homme ? femme ? homme-femme ? En 1777, il dispose de sommes importantes pour acheter des bateaux et des armes destinés aux insurgents d’Amérique. il devient le créancier du Congrès – les sommes qu’il a engagées ne lui seront remboursées que dix ans plus tard… par le roi de France !
Le saviez-vous ?
Beaumarchais éditeur de malchance
Beaumarchais est un fervent admirateur de Voltaire dont il entreprend l’édition des œuvres complètes en 1780. Cette édition, effectuée à Kehl, en Allemagne, comprend soixante-dix volumes. Elle est terminée en 1790. C’est un gouffre financier ! Il aurait fallu, pour qu’elle fût rentable, des dizaines de milliers de souscripteurs. Malchance : il n’y en eut que deux mille cinq cents…
Une immense demeure
Financier, trafiquant, intrigant, agent secret… auteur dramatique ! Comment Beaumarchais trouve-t-il le temps de tout faire ? Mystère. Son œuvre se poursuit avec Le Mariage de Figaro, pièce donnée en lecture à la censure qui la refuse. Elle n’est jouée que le 27 avril 1784, à la Comédie-Française. c’est un triomphe ! Figaro atteint les cœurs de cible de l’époque : la noblesse si jalouse de ses prérogatives, et qui est en train de clore, sans le savoir, des siècles de domination. 1786 : Beaumarchais se remarie avec Marie-Thérèse de Willer-Mawlaz – il vivait avec elle depuis douze ans. L’année suivante, il achète, près de la Bastille, un terrain sur lequel il fait construire une immense et fort luxueuse demeure.
Les fusils de Valmy
En 1789, il est député à la Commune de Paris. Le lendemain du 14 juillet, il pénètre dans la Bastille, à la recherche d’armes – le trafiquant qu’il est a toujours un marché en cours… En 1792, c’est lui qui procure à l’armée révolutionnaire les fusils de Valmy ! Bien peu reconnaissants – et jaloux de son immense demeure, de sa fortune… – les membres du Comité de Salut public le considèrent comme suspect. Il doit émigrer. Ruiné encore une fois, il ne rentre en France qu’en 1795. Amer, il meurt en 1799, à soixante-sept ans, bien vite oublié par le Consulat, par l’Empire, par la Restauration, bref, par tous ceux qui supportaient mal que Figaro, l’apôtre de la vraie liberté, pût les regarder en face.