Zola, le reporter – première partie
by jjj • 6 juin 2013 • Extraits • 0 Comments
Extrait de La Littérature française pour les Nuls, éditions First, 2010.
Lorsque Zola termine sa lecture de tout Balzac, sa décision est prise : il fera mieux ! À vous décider s’il a réussi !
Une origine vénitienne
Gervaise, dans l’Assommoir, se laisse glisser dans la fange, Coupeau en fait autant, les Lantiers glissent aussi… Que de destins qui sombrent chez Zola, comme Venise qui s’enfonce, tout doucement, dans sa lagune…
Rue Saint-Joseph
Le 16 mars 1839, à la mairie du 1er arrondissement, à Paris, François Zola, ingénieur civil, fils de Francesco-Antonio Zolla (avec deux l), officier vénitien – lui-même fils de Carlo Zolla, officier vénitien – épouse Émilie Aubert, fille de Louis-Étienne Aubert, vitrier-peintre originaire de Dourdan. Des gens simples, les Aubert, qui voient d’un bon œil ce mariage entre un homme d’âge mûr – quarante-cinq ans – et leur charmante fille de vingt ans. Ce n’est pas n’importe qui, pour eux, François Zola : il a été reçu par le roi Louis-Philippe à qui il a exposé ses projets de constructions industrielles. Le couple s’installe rue Saint-Joseph. Moins de deux cents ans auparavant, ce lieu n’était encore qu’un cimetière où avaient été portés en terre Molière et Jean de La Fontaine!…
Un petit sourire ?
Les puissantes Mânes des deux grands auteurs lentement évaporées depuis le XVIIème siècle, stagnant sans doute en brumes diffuses par les nuits de pleine lune dans la rue Saint Joseph, et s’infiltrant sournoisement par les fenêtres mal fermées, ont-elles visité François Zola et sa jeune Émilie, au moment crucial, au milieu de l’été 1839 ? Quand on connaît aujourd’hui la fortune littéraire de celui qui naquit neuf mois plus tard, le 12 avril 1840, on peut supposer qu’il y eut effectivement une influence surnaturelle. Mais, quand on pense à la franche gaieté de Molière, à la malice de La Fontaine, on peut revenir aussi sur cette supposition et la trouver saugrenue : s’il y avait filiation spectrale, il existerait au moins un portrait de Zola où on le voit sourire. Or, il n’en existe pas un, pas un seul ! Zola boude partout !
D’Aix à Paris
Tout aurait pu sourire aux Zola, la réussite, la fortune. Mais l’ingénieur meurt…
Le barrage Zola
On peut lui trouver des excuses. Tout va bien, pourtant, dans les premières années d’Émile. L’ingénieur François Zola projette de faire construire à Aix-en-Provence, un canal et un barrage – qui existent encore aujourd’hui. La famille va s’établir dans la petite ville ensoleillée en septembre 1843. Mais, depuis janvier, l’ingénieur semble fatigué. Son médecin a diagnostiqué une maladie de poitrine. François s’épuise en démarches administratives, en voyages à Paris pour réunir les fonds, et dans l’exploration des sites.
Émile orphelin
Un jour, alors que les ouvriers viennent de donner enfin les premiers coups de pioche dans le vallon de l’Infernet, François prend froid. Il doit partir pour Marseille. Émilie tente de l’en dissuader. Il ne l’écoute pas, passe trois heures dans une diligence glacée. À l’arrivée, il doit s’aliter, victime d’une pleurésie. Émilie le veille, affolée, pendant une semaine. François Zola expire en plein printemps 1847. Le petit Émile, sept ans, est orphelin. Les Zola sont ruinés.
Émile, Paul et Jean-Baptiste
La disparition de François prive Émile d’un père aimé, admiré. Le chagrin de l’enfant est immense, et demeurera intact chez l’adulte. Sa mère le met à la pension Isoard, à Aix. Il y reste jusqu’à douze ans, en 1852. Lorsqu’il en sort, son lit est conservé en gage, pour compenser une dette non payée… Il entre au collège Bourbon à Aix. Il y compose avec Jean-Baptiste Baille qui deviendra polytechnicien, scientifique de haut niveau, et Paul Cézanne – oui, le peintre de la Sainte-Victoire ! – un trio inséparable, admirateur de Lamartine, de Victor Hugo. Les trois complices s’en vont souvent au bord de la vallée de l’Arc. Ils aiment se baigner nus dans la rivière – que de baignades dans la peinture de Cézanne ! -, déclamer des vers dans quelque grotte, ou bien se créer un théâtre de verdure pour jouer leur pièce préférée : Lorenzaccio, de Musset !
Le douanier de Paris
Hélas, les amis doivent se séparer : en 1857, les Zola reviennent à Paris. Émile s’inscrit au lycée Saint Louis. Ses résultats scolaires chutent au point que l’année suivante, il échoue au baccalauréat ! Sa bourse n’est pas reconduite. En septembre, le voici chômeur ! Sa mère n’a plus d’argent. Elle se prive pour Émile qui ne le supporte pas, et décide de trouver n’importe quel travail pour survivre. Pendant cinq mois, il attend et trouve enfin un poste de… douanier. Qu’importe ! Le travail n’est pas trop difficile, il occupe ses loisirs à lire les œuvres de celui qu’il admire : Jules Michelet (auteur d’une histoire de la Révolution, de l’Histoire de France, de romans, professeur au Collège de France, 1798 – 1874)
Zola face au réel
L’année 1861 est celle d’une expérience capitale qui va sans doute déterminer la vision du monde qu’il adopte dans tous ses romans : rien n’y est atténué, le réel le plus trivial y côtoie sans complexe les observations les plus délicates. Zola, dans sa page, livre tout. Dans une noce, il décrit la finesse d’une dentelle puis se penche, sans transition, sur la vomissure d’un invité qui a trop bu ! Il semble qu’incessamment, il mime dans sa création l’événement qui l’a dessillé, qui lui a fait entendre l’affreux grincement de la mécanique du monde, son sarcasme.
La fièvre de Berthe
L’affaire est simple : dans une misérable chambre voisine de la sienne, vit et travaille une prostituée, Berthe. Elle tombe malade, a la fièvre, délire. Pris de pitié, le bon Zola, vingt ans, pur et vierge, et bien décidé à le rester par idéal personnel, veille cette femme toute une nuit. Au petit matin, elle est guérie ! Le bon Zola s’apprête à la quitter, mais Berthe veut le remercier. Par quel moyen ? Devinez…
Dehors, Émile !
Émile est atterré ! Tout bon, tout pur qu’il soit, il a perdu son cap moral, lâché le gouvernail, dérivé…. Le voici échoué dans les bras de Berthe ! La première femme s’était-il juré, ce serait la seule, il lui consacrerait toutes ses forces, ses ressources, jusqu’à la mort ! Soit ! Mais, à bien y regarder, Berthe n’est pas de la dernière récolte : son cou est gras, elle souffre d’une sorte de pelade et ses dents se comptent sur les doigts d’une main ! Qu’à cela ne tienne : l’intègre Zola, le bon jeune homme de vingt ans, dévoile à Berthe son projet : il veut la faire sortir de l’enfer qu’elle vit ! Il va tout lui donner – lui qui n’a rien. Il lui propose de redevenir la couturière qu’elle fut. Berthe croit d’abord qu’il plaisante. Mais il insiste. Elle le repousse. Il recommence. Elle lui rit au nez, puis l’insulte, et enfin, le met dehors !
Le filon du vécu
La poésie façon Musset, c’est fini ! Les alexandrins romantiques, terminé ! La littérature où les petites femmes ont un grand cœur, quel mensonge ! Et ces chansons qu’elles égaient de leur silhouette désirable, une escroquerie ! Désormais, le réel, seulement le réel ! Et pour commencer, il raconte son aventure avec Berthe. Tout y est réel ! Ou presque : Berthe y devient Laurence. Zola a trouvé sa voie : il va exploiter le filon de son vécu, le travestissant juste assez pour que les intéressés ne s’y intéressent pas trop, au risque de s’y découvrir dévoilés ! Ce procédé va lui coûter, en 1886, son meilleur ami : Paul Cézanne qui se reconnaît dans le portrait sans concession du peintre Claude Lantier !
Un apprentissage sur le terrain
Zola exerce de petits métiers qui vont lui fournir une expérience précieuse pour ses romans futurs.
Chef de publicité
L’écriture ! Zola ne pense qu’à cela ! Sa devise ? Nulla dies sine linea (pas un jour sans une ligne) ! Entré à la librairie Hachette en 1862, il s’y fait apprécier. On lit dans les journaux les articles qu’il publie, on le sait ami des peintres en vue – Pissaro, et plus tard Monet, Sisley, Manet, Renoir. Peu à peu, le journaliste et l’écrivain l’emportent sur le chef de la publicité qu’il est devenu. En 1866, un an après s’être mis en ménage avec Alexandrine Meley, il quitte Hachette.
Libre !
Le voici libre d’écrire tous les jours autant de lignes qu’il le veut ! Il ne se prive pas. Récits, nouvelles, contes sont déjà sortis de son encrier, ont été publiés dans des journaux, rassemblés en un volume : les Contes à Ninon (1864). En 1865, paraît son premier roman : La Confession de Claude – en réalité, la confession d’Émile qui raconte ses déconvenues avec Berthe, devenue Laurence dans la fiction. En 1866, il rassemble en un volume – Mes Haines – les critiques littéraires qu’il a écrites pour les journaux.
La naissance des Rougon-Macquart
Vivre de sa plume ? C’est possible pour Zola qui prévoit d’écrire au moins deux romans par an.
Thérèse Raquin, premier succès
Les premières publication$s d’Émile sont encourageantes, mais ne rapportent pas grand-chose. Il doit faire vivre sa mère, sa compagne – qui ne devient sa femme qu’en 1870. En 1866, il publie un deuxième roman : Le Vœu d’une morte. Il s’en vend quelques dizaines d’exemplaires… Heureusement que les journaux lui commandent des romans feuilletons, rémunérés juste ce qu’il faut pour faire bouillir la marmite – selon son expression. 1867 : Thérèse Raquin. Enfin ! Il s’en vend suffisamment pour que le mot succès puise être employé ! Voilà, Zola vient de trouver : il lui suffit d’écrire deux romans par an, lui garantissant chacun trois mille francs, et le tour est joué ! Émilie, sa mère, qui élève des lapins dans le petit jardin de leur modeste maison, aux Batignolles, pourra ajouter du beurre dans les épinards qu’elle sert à Alexandrine !
Histoire naturelle et sociale…
Oui, mais quoi écrire ? Soudain, c’est l’illumination : Émile vient de trouver ! Il va faire la même chose que Balzac, mais en mieux ! Qu’est-ce à dire ? Eh bien voici : ce que Balzac a pensé après avoir écrit ses romans – les rassembler sous un même titre avec retour des personnages – lui, Zola, va le penser avant. Source d’inspiration, la plus vaste et la plus simple qui soit : L’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire. On y trouvera des ascensions fulgurantes d’hommes d’affaires, des chutes tout aussi vertigineuses, des bourgeois corrompus, sans cœur, des ouvriers dans la misère, nouveaux esclaves de l’ère moderne. Ainsi, le roman va se faire le reflet d’une époque, montrer que le monde n’est qu’une lutte injuste, perpétuelle et cruelle, de forces inégales.
Allons plus loin
Le naturalisme à Médan
L’écrivain n’est pas un prophète dans son siècle, son rôle ne consiste pas à lancer aux foules de grandes déclarations exaltées si chères aux romantiques ! L’écrivain est un scientifique, un analyste froid, un observateur lucide et soucieux du détail, à l’image de Claude Bernard (1813 – 1878) dans le domaine de la médecine – c’est le modèle de Zola ! L’écrivain cherche à connaître les lois de la nature et à s’effacer devant elles. Ce sont elles qui conduisent le roman de l’écrivain – voyons, quel nom lui donner si son seul souci est la loi naturelle… – naturaliste. Le terme naturalisme apparaît pour la première fois en ce sens en 1877, employé par Zola et les frères Goncourt (c’est Baudelaire qui l’a inventé en 1855, avec une acception voisine).
En 1880, dans la propriété de Médan que Zola vient d’acheter, Maupassant, Huysmans, Céard, Hennique et Paul Alexis se réunissent régulièrement autour du maître des lieux. Afin de lutter contre la littérature revancharde de l’époque, ils décident de publier Les Soirées de Médan, un recueil où chacun d’entre eux – Zola compris – a écrit une nouvelle. À cause de leur souci du réel, du détail, des faits, on leur applique le qualificatif de naturalistes, ce qu’ils ne cherchaient pas, mais qui promeut le genre… et le recueil de nouvelles où se trouve celle qui eut le plus de succès : Boule de suif. Elle était signée Guy de Maupassant !
Le saviez-vous ?
Cézanne fâché
Paul Cézanne, l’ami qui rompt avec Zola en 1886, après s’être reconnu dans le roman L’Oeuvre, est issu d’une famille très pauvre, devenue très riche, comme Zola sait si bien en décrire… Louis Cézanne, le père de Paul commence sans un sou, ouvrier dans une fabrique de laine. Puis il travaille dans une chapellerie. Après avoir trouvé deux associés, il monte sa propre affaire de chapeaux : La Maison Martin, Coupin et Cézanne. Le triumvirat se dissout, Louis Cézanne demeure seul maître de l’affaire. Un peu plus tard, il la vend pour acheter, avec un ancien caissier – Cabassol – la seule banque d’Aix. À la mort de Louis Cézanne, en 1886, la banque Cézanne et Cabassol représente une valeur colossale ! Voilà le genre de destin qui fascine Zola ! Tout cela ancré dans le réel, le réel seul !