• Zola, le reporter – deuxième partie

    by  • 10 juin 2013 • Extraits • 0 Comments

     

    Nana, Edouard Manet, 1877

    Nana,
    Edouard Manet, 1877

    Dix romans prévus

    Dès 1868, pendant une conversation avec les frères Goncourt, Zola a ébauché son projet. Il le présente à l’éditeur Lacroix : la famille décrite s’appelle les Rougon-Macquart. La grande nouveauté est de considérer que le capital de qualités et de tares se transmet de génération en génération, et que ce capital est plus ou moins bien géré selon l’environnement familial, les conditions sociales, le métier exercé. Zola a prévu de raconter tout cela en dix romans. Lacroix est séduit. Il vendra d’abord les textes aux journaux, et s’ils ont du succès, les transformera en livres. Un système compliqué de rémunération va conduire l’éditeur à la faillite, en 1872, et l’écrivain aux portes de la saisie, malgré son travail acharné, les centaines d’articles qu’il écrit en plus !

    Les succès moyens de la série Rougon-Macquart

    L’idée est bonne, mais elle ne fait pas les ventes : jusqu’au sixième volume, les lecteurs ne se ruent pas sur les histoires sorties de la mécanique Zola. La plupart des ventes se situent entre 1500 et 2000 exemplaires. Pas vraiment de quoi manger autre chose que du lapin dans la maison des Batignolles…

    La Fortune des Rougon (1871) – La paysannerie enrichie fait sa mue et devient petite puis grande bourgeoisie, après le coup d’état de 1851

    La Curée (1872) – La spéculation immobilière va bon train dans les milieux corrompus du second Empire

    Le Ventre de Paris (1873) – Le monde des Halles !

    La Conquête de Plassans (1874) – Le clergé en province, ses ambitions politiques

    La Faute de l’abbé Mouret (1875) – L’abbé Serge Mouret abandonne la femme qui porte leur enfant, mais se rachète par la suite…

    Son Excellence Eugène Rougon (1876) – le monde politique du second Empire

     

    Le succès de l’Assommoir, 1877

    Le contexte politique va beaucoup compter dans le succès de l’Assommoir. Les républicains qui sont en train de reprendre la main y voient une façon d’attirer le regard de la droite sur la misère des pauvres. Mais le scandale est aussi fort que le succès : les républicains trouvent que Zola a eu la main lourde dans sa vision du peuple…

    Coup de tonnerre !

    1877, coup de tonnerre : le succès  est là ! Il débarque presque sans prévenir, dans les journaux, chez les libraires, et surtout par le bouche à oreille ! Zola en demeure comme assommé ! Son Assommoir fait un tabac ! C’est l’histoire de Gervaise, dans le Paris populaire de la Goutte d’Or – quartier qui n’était pas vraiment rattaché à Paris, à cette époque. Elle vient de Plassans à Paris, accompagnée d’Auguste Lantier, un ouvrier chapelier – son amant – et de ses deux enfants (Claude, le héros du roman  L’Oeuvre où Cézanne se voit comme dans un miroir, et Étienne, le personnage principal de Germinal).

    L’assommoir

    Lantier l’abandonne, emportant l’argent du ménage. Elle fait face à la situation, courageusement, se laisse courtiser par l’honnête ouvrier zingueur Coupeau. Ils ont une fille qu’ils prénomment Anna, l’héroïne du roman à suivre : Nana. Mais Coupeau chute d’un toit, se blesse, et commence à fréquenter l’Assommoir du père Colombe ! Dans ce café où trône la monstrueuse machine à fabriquer l’eau de vie – l’assommoir – les ouvriers glissent peu à peu dans l’alcoolisme.

    Une anecdote

    Le bon Charpentier

    Depuis 1872, Zola est édité chez Georges Charpentier. Un nouveau contrat est établi. Mais, conscient du déficit creusé par son ancien éditeur, Zola demande à Charpentier de patienter : il le remboursera. Alors, l’éditeur disparaît devant l’homme généreux, compréhensif, sûr du génie de son auteur. Il fait ses comptes devant Zola et lui annonce qu’il augmente de moitié ses droits d’auteur. Zola est éberlué. Il ressort de chez Charpentier, non seulement sans dette, mais avec dix mille francs en poche !

    Résumer, c’est trahir

    Gervaise parvient malgré tout à réaliser son rêve : s’acheter une blanchisserie, grâce à l’honnête ouvrier Goujet qui est amoureux d’elle. Mais voici que Lantier revient. Il tourne autour du ménage qui ne tourne plus rond… Maintenant allez dans le roman ! Le résumer ainsi, c’est le trahir. Tout est dans l’écriture de Zola qui restitue avec habileté le langage qu’il est allé pêcher dans le monde de misère qu’il décrit. Tout est dans la somme incroyable de détails qu’il fait se succéder dans une page ! Et puis, l’utilisation du style indirect est si astucieuse qu’on se retrouve au milieu de l’action, on se sent presque la peau moite lorsqu’il nous emmène dans la blanchisserie de Gervaise, on sourit aux soupçons des Lorilleux, on a des haut-le-cœur en voyant Lantier dans son ordure…

    Le saviez-vous ?

    La mort de Zola : un acte criminel ?

    Zola s’attire la haine de tous ceux qui n’acceptent pas sa façon de révéler la misère humaine, de montrer le monde dans ses détails les plus triviaux. Est-ce cela qui l’a tué ? Le 29 septembre, 1902, on découvre le couple Alexandrine et Émile inanimés dans leur appartement. Pour Émile, il est trop tard : il a succombé à une asphyxie due au mauvais tirage de la cheminée. Alexandrine est ramenée à la vie. Que s’est-il passé ?  Zola a voulu, avant d’aller dormir, allumer un feu qui n’a pas pris, ou du moins qui a couvé toute la nuit. La veille, des ouvriers avaient travaillé sur le conduit d’évacuation. Faut-il croire ce que, depuis on a appris ? L’un des ouvriers aurait dit, avant de commencer son travail : On va enfumer le cochon ! La mort de Zola ne serait donc pas accidentelle.

    Nana : 50 000 exemplaires en deux jours !

    Les Rougon-Macquart devaient être racontés en dix livres. Il y en aura vingt. En 1878 paraît Une Page d’amour, roman psychologique qui contraste avec l’Assommoir et fait taire ceux qui s’étaient déchaînés contre Zola, l’accusant d’être le prince de l’ordure ! Mais, en 1879, la rumeur précède la parution du nouveau livre de Zola : Nana ; On sait que c’est la fille de Gervaise dans l’Assommoir ; on a compris le système naturaliste de l’écrivain à succès ; on s’attend à tout. On est servi ! Voici le monde de la prostitution ! Zola met la superbe Nana sur le trottoir. Pour elle se suicident des grandes fortunes. Elle parvient à vivre dans le luxe d’un hôtel particulier, mais meurt à dix-neuf ans – Nana, avatar de Berthe…. Le premier tirage – cinquante mille exemplaires – est épuisé en deux jours !

    Les succès des Rougon-Macquart

    Pot-Bouille (1882) – La petite bourgeoisie déploie toute son énergie pour qu’on remarque ce qu’elle possède

    Au Bonheur des Dames (1883) – Octave Mouret, le génie du commerce, crée le premier grand magasin, et toutes les stratégies modernes pour vendre. Au Bonheur des Dames, c’est le Bon Marché…

    La joie de vivre (1884) – Pauline aime Lazare qui l’aime. Mais il épouse Louise…

    Germinal (1885)  – Le monde de la mine, la misère et l’épuisement de la classe ouvrière, sa révolte réprimée dans le sang

    L’œuvre (1886)  – La difficulté de créer aboutit au suicide

    La Terre (1887) – Les paysans sont attachés à leur terre, comme des bêtes.

    Le Rêve (1888) – Angélique, jeune fille pauvre, réalise son rêve : elle épouse un prince charmant

    La bête humaine (1890) – Jean Gabin qui pilote la Lison et Michèle Morgan qui a de beaux yeux, ont rendu cette histoire inoubliable…

    L’Argent – L’essor du capitalisme, du boursicotage à grande échelle

    La Débâcle – Les troupes de Napoléon III en débâcle devant les Prussiens, la IIIème république remplace, le 4 septembre 1870, le second Empire

    Le Docteur Pascal (1893) – Vingtième et dernier volume des Rougon-Macquart, il en donne une sorte de conclusion et se termine sur une note d’espoir.

    Dans l’intimité des écrivains

    Une page d’amour

    1888. Zola connaît la gloire depuis quelques années. C’est l’écrivain le plus lu en France et même en Europe. Lui qui n’avait pas un sou, au temps des civets de la maison des Batignolles, est aussi le plus riche ! Mais sa vie demeure incomplète : sa femme, Alexandrine ne lui a pas donné d’enfants. En 1888, elle engage une servante, une paysanne pauvre : Jeanne Rozerot. Elle a vingt et un ans. Zola en a quarante-huit. Il va aimer Jeanne dès le premier regard. Elle est fascinée par cet homme dont tout le monde parle. Elle laisse en elle cette admiration se transformer en amour tel que deux enfants vont naître de leur clandestinité passionnée : Denise, en 1889, et Jacques, en 1891. Alexandrine découvre bientôt la double vie de son mari. Sa révolte et son chagrin s’apaisent au fil des années. Après la mort de Zola, elle accepte que ses enfants portent son nom.

    Zola et l’affaire Dreyfus, 1898

    L’épisode majeur de la vie de Zola se situe au moment de l’affaire Dreyfus.

    Aux portes de l’Académie française

    Riche et célèbre ! Aux portes de l’Académie française après vingt-quatre refus ! Heureux père et heureux amant. Mari comblé par une femme qui accepte finalement sa situation d’épouse trompée. Tout va bien pour Zola, en cette année 1895. Pourtant, Zola l’honnête, Zola le juste, va compromettre toute sa renommée pour sauver le capitaine Alfred Dreyfus, injustement accusé d’avoir communiqué à l’Allemagne des documents secrets. Traduit devant le tribunal militaire, Dreyfus a été condamné à la dégradation militaire et à la déportation à perpétuité. Le 5 janvier 1895, dans la cour des Invalides, Dreyfus a été dégradé. Le 21, il a embarqué pour l’île du Diable, en Guyane. Zola est indigné.

    J’accuse !

    Mathieu Dreyfus, remue ciel et terre pour sauver son frère ! Trois ans plus tard, les preuves de l’innocence sont réunies. Zola, sollicité, prend sa plume, rédige un article cinglant où il donne le nom des vrais coupables, de hauts responsables de l’armée qui ont agi par antisémitisme. L’article paraît dans l’Aurore du 13 janvier 1898 sous le titre de Clemenceau : J’accuse. Au terme de deux procès, il est condamné à un an d’emprisonnement et 3000 francs d’amende alors que le coupable est acquitté ! Couvert d’injures, il doit s’exiler pendant onze  mois en Angleterre. mais la vérité est en marche, et rien ne l’arrête ! Alfred Dreyfus n’est complètement acquitté que le 12 juillet 1906, quatre ans après la mort de Zola.

     

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