• Styles et stylets de Boileau

    by  • 20 juin 2013 • Poème quotidien • 0 Comments

    C'est ici que souvent, errant dans les prairies, Ma main, des fleurs les plus chéries Lui faisait des présents si tendrement reçus...

    C’est ici que souvent, errant dans les prairies,
    Ma main, des fleurs les plus chéries
    Lui faisait des présents si tendrement reçus…

    Extrait de La Littérature française pour els Nuls, éditions First, 2005

    Boileau, c’est un style, celui du vers sentencieux, forgé pour durer des siècles à l’image des vérités qu’il énonce, c’est aussi un stylet que certains reçoivent en pleine page lorsque leur œuvre jugée oeuvrette ne plaît pas au maître Nicolas, c’est enfin l’auteur pris entre deux feux : celui d’historiographe du roi absolu et celui du vœu, dans ses épîtres, que les pouvoirs se tempèrent…

     

    Mutilé à vie

    Orphelin, à vingt mois, en 1638, avec quinze frères et sœurs ! Pas facile de se faire une place dans toute cette famille interminable surtout si on est l’avant-dernier ! Pas facile de supporter la douleur incessante et croissante occasionnée par ce qu’on appelle la maladie de la pierre – un calcul rénal. Et comment se remettre d’une opération pour extraire le calcul, opération qui à l’époque tient davantage de la charcuterie que de la chirurgie – et qui laisse mutilé à vie ? Voilà le début de l’existence de Nicolas Boileau, dit Despréaux d’après le nom d’une terre de famille. Il fait de bonnes études ensuite, et devient avocat à vingt ans, en 1656.

     

    Nicolas le médisant

     

    Gilles Boileau, son frère aîné, académicien depuis 1659, va le pousser dans le monde. Dès qu’il prend la mesure de ce qui s’y trame, Nicolas dégaine, puis déchaîne sa plume, écrivant d’abord des satires, critiques ironiques, contre tout ce qui bouge – les embarras de Paris, par exemple – ou bien un repas qu’il a trouvé ridicule, ou une pièce qu’il ne trouve pas à son goût. Ou bien encore contre Chapelain, l’un des premiers académiciens qui a la réputation de surpasser Homère et Virgile, et publie la première partie d’un long chant sur La Pucelle ou la France délivrée. Boileau, dans la Satire VII, l’exécute : « J’ai beau frotter mon front, j’ai beau mordre mes doigts, / Je ne puis arracher du creux de ma cervelle / Que des vers plus forcés que ceux de la Pucelle ».

    Du Lutrin aux Epîtres

    Boileau tire, tire toujours – c’est un trait de famille : on aime médire chez les Boileau -, il jubile, et la pointe de sa plume égratigne, fait mal. Il tire sur la noblesse et cela ne déplaît pas à Louis XIV qui demeure traumatisé par la Fronde des Princes – Boileau est récompensé par une confortable pension. Les satires se succèdent, déclenchent encore mille polémiques, font s’enflammer ou s’esclaffer les salons, les mettent en révolution. On lui lance des défis : écrire sur le ton des plus grandes épopées, sur un sujet des plus minces qui soient. Ainsi naît Le Lutrin : en mille deux cent vingt-huit alexandrins répartis en six chants, Boileau  y narre les aventures du trésorier de la Sainte-Chapelle qui, jaloux du chantre, décide d’installer devant sa table un lutrin afin qu’on le voie moins bien… Le récit héroï-comique, ou burlesque nouveau, est d’un humour irrésistible !

    L’Art poétique en 1100 vers

    Boileau répond aussi à une autre demande : composer un Art poétique afin de préciser les règles de l’écriture classique. Les onze cents alexandrins de cette nouvelle œuvre sont bientôt lus dans les salons, et on se répète avec extase ceux qui commencent leur voyage à travers les siècles tant l’alliance des mots qui les composent atteint l’inaltérable. Voici par exemple quelques conseils utiles à tous ceux qui donnent à lire à leurs amis ce qu’ils ont écrit :

    Plaisir de lire

     

    Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?

    Soyez-vous à vous-même un sévère critique.

    L’ignorance toujours est prête à s’admirer.

    Faites-vous des amis prompts à vous censurer ;

    Qu’ils soient de vos écrits les confidents sincères,

    Et de tous vos défauts les zélés adversaires.

    Dépouillez devant eux l’arrogance d’auteur,

    Mais sachez de l’ami discerner le flatteur :

    Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue.

    Aimez qu’on vous conseille, et non pas qu’on vous loue.

     

    Nicolas Boileau – L’Art poétique, 1674

     

    Le rôle du poète

    Le président du parlement de Paris, Guillaume de Lamoignon provoque une rencontre entre Boileau et Grand Arnauld de Port-Royal, un janséniste qui le convainc de se montrer plus profond, moins papillonnant. Les Épîtres sont alors composées ;  ce sont des lettres d’environ cent alexandrins. Boileau tente de leur donner une portée politique et critique à l’égard du pouvoir. Il cherche aussi à définir le rôle du poète par rapport aux Grands, aux pouvoirs en place, un rôle qui doit substituer à la louange servile, le courage.

    Boileau et Racine, journalistes de guerre…

    En 1674 paraissent Le Lutrin et l’Art poétique, dans la première édition des œuvres complètes de Boileau. Cette même année, Madame de Montespan le fait entrer dans le cercle des proches du roi où il se lie d’une amitié fidèle avec Racine. Louis XIV les nomme tous deux historiographes de son règne en 1677. Racine et Boileau vont donc suivre Louis XIV dans ses chevauchées conquérantes vers les frontières – le roi  impose Boileau à l’Académie française en 1684. Ils sont chargés de raconter, comme des reporters de guerre, le déroulement des opérations militaires – mais surtout les exploits du grand Roi ! Vanité des vanités : en 1726, ces écrits qui leur demandent beaucoup de labeur et de bonne volonté disparaîtront dans un incendie !

     

    Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement :

    Voici quelques extraits de l’Art poétique, où se trouvent des conseils si avisés qu’ils sont valables aujourd’hui encore, et pour tout le monde…

    Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, / Et les mots pour le dire arrivent aisément.

    Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ; / Polissez-le sans cesse et le repolissez : / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

    Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable : / Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

    Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.

    Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée / Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée.

    Le Français, né malin, forma le vaudeville.

    Le temps, qui change tout, change aussi nos humeurs. / Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses moeurs.

    Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire

    De tous les animaux qui s’élèvent dans l’air, / Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer, / De Paris au Pérou, du Japon jusqu’à Rome, / Le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme.

     

    Le vieux ronchon et la jeune Silvie

    Foin de la satire, du lutrin, des médisances des Despréaux, foin du stylet… Beaucoup de style en peu de mots… Voici l’affaire : à seize ans, notre Nicolas est amoureux, il est fou de sa belle et lui cueillerait toutes les fleurs du monde si la fleur de sa pensée, la rose en son cœur, celle qu’il eût aimé épouser ne s’en allait, là, dans l’autre monde, emportée comme on l’était alors, du jour au lendemain. Jamais Nicolas ne s’en remettra. Fidèle jusqu’à ce qu’il rencontre Silvie… Vieux garçon ronchon, il écrira un jour, un soir de nostalgie cette merveille :

    Plaisir de lire

     

    Air

    Voici les lieux charmants où mon âme ravie

    Passait à contempler Silvie

    Les tranquilles moments si doucement perdus.

    Que je l’aimais alors ! Que je la trouvais belle !

    Mon cœur, vous soupirez au nom de l’Infidèle :

    Avez-vous oublié que vous ne l’aimez plus ?

     

    C’est ici que souvent, errant dans les prairies,

    Ma main, des fleurs les plus chéries

    Lui faisait des présents si tendrement reçus.

    Que je l’aimais alors ! Que je la trouvais belle !

    Mon cœur, vous soupirez au nom de l’infidèle :

    Avez-vous oublié que vous ne l’aimez plus ?

     

    Nicolas Boileau – Œuvres diverses

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