• Le point mort d’Apollinaire

    by  • 30 juin 2013 • Poème quotidien • 0 Comments

    Le pont Mirabeau

    Le pont Mirabeau

    Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2010.

    Apollinaire, deuxième partie.

    Point de points…

    Apollinaire fait paraître son œuvre majeure en 1913. Elle porte d’abord le titre Eaux-de-vie,  mais devient, sur le conseil de Blaise Cendrars : Alcools. En 1912, lorsqu’il relit les épreuves de son manuscrit, Apollinaire se trouve aux prises avec le délicat réseau de la ponctuation, tente de supprimer une virgule, d’ajouter un point, et puis, décide de tout supprimer ; cherchez dans les poèmes d’Alcools un signe de ponctuation, vous n’en trouverez pas ! Voilà expliqué, enfin, le titre « Le point mort d’Apollinaire »… Plus de cloisons entre les mots, les groupes de mots, plus de paravents, plus d’indication de direction pour le sens qui peut s’engager dans des sentiers parallèles sans perdre de vue sa voie principale. Chaque poème d’Apollinaire, de Zone à Vendémiaire, titres du premier et du dernier poème d’Alcools devient l’image d’une liberté d’écriture qui s’étend aussi au vers lui-même.

    Foin des contraintes !

    Si dans Le Pont Mirabeau la prosodie classique est respectée, le vers et la strophe s’en libèrent dans Zone et plusieurs autres poèmes. La poésie vie sa vie sans le souci de la rime précise – Christianisme rime avec Pie X, policières la féminine avec divers la masculine, bâtie sur des rythmes naturels, sans contraintes.

     

    Zone

     

    À la fin tu es las de ce monde ancien

     

    Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

     

    Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

    Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes

    La religion seule est restée toute neuve la religion

    Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

     

    Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme

    L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X

    Et toi que les fenêtres observent la honte te retient

    D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin

    Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut

    Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux

    Il y a les livraisons à vingt-cinq centimes pleines d’aventures policières

    Portraits des grands hommes et mille titres divers

     

    J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom

    Neuve et propre du soleil elle était le clairon

    Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes

    Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent

    Le matin par trois fois la sirène y gémit

    Une cloche rageuse y aboie vers midi

    Les inscriptions des enseignes et des murailles

    Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent

    J’aime la grâce de cette rue industrielle

    Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes (…)

     

    Guillaume Apollinaire – Alcools, 1913

     

    Peur du loup

    En 1914, Apollinaire séduit une Louise (Lou) et s’engage dans l’artillerie. Pour Lou, il écrit le fameux poème acrostiche Lou (la première lettre de chaque vers compose un mot qu’on lit verticalement) : Le soir descend / On y pressent / Un long destin de sang. Mais Lou soudain a peur du loup Guillaume, de son amour volcanique, imprévisible, possessif. Elle le quitte. En 1915, il rencontre, dans le train, une Madeleine qui le console de sa rupture avec Lou. Il devient officier d’infanterie en novembre. En 1916, le 9 mars, il est naturalisé Français.

     

    Le poète assassiné

    À Berry-au-Bac, dans l’Aisne, le 17 mars, à 16 h, un éclat d’obus pénètre dans sa tempe droite ; le 9 mai, il est trépané. En 1917, paraît son drame les mamelles de Tirésias dont le sujet fait scandale – une femmes quitte son foyer après s’être transformée en homme -, puis il compose ses Calligrammes, poèmes épousant la forme de ce qu’ils évoquent ou décrivent, qui paraissent en avril 1918. Son dernier amour, la jolie rousse Jacqueline Kolb, rencontrée en décembre 1917, devient sa femme le 2 mai 1918. Six mois plus tard, le 9 novembre, deux jours avant l’armistice, il meurt de la grippe espagnole.

    Avant de le quitter…

    L’adieu, Cors de Chasse, Marie, trois au revoir ou trois « au relire » pour Guillaume Apollinaire qui mourut à 38 ans en disant : « Je veux vivre, j’ai tout à faire ! »

     

     

    L’adieu

    J’ai cueilli ce brin de bruyère

    L’automne est morte souviens-t’en

    Nous ne nous verrons plus sur terre

    Odeur du temps Brin de bruyère

    Et souviens-toi que je t’attends

     

    Guillaume Apollinaire – Alcools, 1913

     

    Cors de chasse

     

    Notre histoire est noble et tragique

    Comme le masque d’un tyran

    Nul drame hasardeux ou magique

    Aucun détail indifférent

    Ne rend notre amour pathétique

     

    Et Thomas de Quincey buvant

    L’opium poison doux et chaste

    À sa pauvre Anne allait rêvant

    Passons passons puisque tout passe

    Je me retournerai souvent

     

    Les souvenirs sont cors de chasse

    Dont meurt le bruit parmi le vent

     

    Guillaume Apollinaire – Alcools, 1913

     

     

    Marie

     

    Vous y dansiez petite fille

    Y danserez-vous mère-grand

    C’est la maclotte qui sautille

    Toutes les cloches sonneront

    Quand donc reviendrez-vous Marie

     

    Les masques sont silencieux

    Et la musique est si lointaine

    Qu’elle semble venir des cieux

    Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine

    Et mon mal est délicieux

     

    Les brebis s’en vont dans la neige

    Flocons de laine et ceux d’argent

    Des soldats passent et que n’ai-je

    Un cœur à moi ce cœur changeant

    Changeant et puis encor que sais-je

     

    Sais-je où s’en iront tes cheveux

    Crépus comme mer qui moutonne

    Sais-je où s’en iront tes cheveux

    Et tes mains feuilles de l’automne

    Que jonchent aussi nos aveux

     

    Je passais au bord de la Seine

    Un livre ancien sous le bras

    Le fleuve est pareil à ma peine

    Il s’écoule et ne tarit pas

    Quand donc finira la semaine

     

    Guillaume Apollinaire – Alcools, 1913

     

     

    Ce qu’ils en ont dit

    L’œuvre entière d’Apollinaire est un témoignage d’amour. – Robert Desnos (1900 – 1945)

    Il avait choisi pour devise « J’émerveille » et j’estime encore aujourd’hui que de sa part ce n’était pas trop prétendre, muni des connaissances étendues qu’il était presque seul à avoir dans des domaines spéciaux.  – André Breton (1986 – 1966)

     

     

    Apollinaire en oeuvres

     

    L’Enchanteur pourrissant (Merlin l’enchanteur, victime de la fée Viviane qui l’enferme dans un cercueil, est le personnage principal de ce roman arthurien)– 1909

    L’Hérésiarque et Cie (vingt-trois nouvelles entre le fantastique et l’hétéroclite) – 1910

    Le Bestiaire ou cortège d’Orphée – 1911

    Alcools – 1913

    Le Poète assassiné – 1916

    Les Mamelles de Tirésias – 1917

    Calligrammes – 1918

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