• Maupassant, le bel amant, première partie

    by  • 28 mai 2013 • Extraits • 0 Comments

    Claude Monet, Etretat, plage et falaise d'Aval, 1884

    Claude Monet, Etretat, plage et falaise d’Aval, 1884

    Extrait de La Littérature française pour les Nuls, éditions First, 2005.

    Maupassant ? Le taureau normand ! La formule vient des frères Goncourt, toujours prompts à la caricature, surtout s’il s’agit d’un confrère qui a du succès !

    Une jeunesse en Normandie

    1868. Étretat. C’est l’été. L’air est doux. Guy de Maupassant, dix-huit ans, se promène en ville. Dans la matinée, il a quitté Les Verguies, la villa où sa mère a trouvé refuge, fuyant un mari déséquilibré, violent. Pourtant, Gustave Maupassant était fou amoureux d’elle au temps si proche encore de leur jeunesse. Il avait demandé en mariage cette jeune fille, Laure le Poittevin, sœur d’Alfred, l’ami de Flaubert.

    Gustave exhume sa particule

    Et Laure lui avait répondu : « Je vous épouserai à la condition que vous vous trouviez une particule. Cherchez dans le siècle passé, peut-être que Maupassant s’appelait de Maupassant ». Gustave avait cherché, et trouvé ! Et Laure Le Poittevin était devenue Madame de Maupassant. Mais, avec une particule, ne faut-il point un château ? Ce sera celui de Miromesnil – près de Tourvilles-sur-Arques – qu’achète le couple Maupassant, juste avant la naissance de celui dont Laure sait qu’il deviendra un génie, forcément : Guy, venu au monde le 5 août 1850.

    Pour Fanny…

    Guy de Maupassant se promène dans Étretat. Il est midi. Dans sa poche, une feuille de papier pliée en quatre, couleur parchemin. Un poème y est soigneusement calligraphié. Un poème d’amour. Dans quelques instants, il changera de poche. Et celle pour qui il l’a écrit le lira sans doute dans la soirée, sous la lampe, en regardant la mer, amoureusement. Tiens, la voici ! Salut plein de douceur, bref échange de paroles. La jeune fille, parisienne, élégante et superbe, est surprise. Elle rougit, prend le papier que lui tend ce jeune homme trapu, à la forte musculature, au regard dangereux. Ils se sont déjà rencontrés, ils se sont parlé. Elle n’imaginait pas que tout irait si vite ! Guy de Maupassant est déjà parti, le cœur battant. Elle le regarde s’éloigner, déplie la feuille, lit : Pour Fanny…

    Un mensonge en dentelles !

    Un chaud crépuscule enveloppe Étretat. Guy de Maupassant n’est pas encore rentré chez sa mère Laure. Il flâne sur le port, pense à Fanny. Soudain, il entend des rires. Il s’approche sans être vu. Cinq ou six jeunes homme entourent une jeune fille. Et cette jeune fille est en train de leur lire un texte. Et ce texte, Guy le connaît par cœur ! C’est celui qu’il a donné tout à l’heure à Fanny ! La voix de Fanny soulève jusqu’au ridicule, jusqu’à l’insoutenable les effets lyriques qu’il a tant soignés. Elle rit, Fanny, à perdre haleine, ravie, au milieu des garçons hilares ! Ce soir-là, le cœur de Maupassant meurt, foudroyé. La femme ! Un mensonge dissimulé dans les dentelles et dans la soie, un être faux, hypocrite, masqué sous des fards ! Guy de Maupassant va désormais transformer toutes les femmes qu’il rencontrera en objets de consommation. Sans aucun scrupule.

    La littérature en péril…

    Quelques jours plus tard. Guy de Maupassant promène sa peine sur les falaises d’Étretat. Soudain, il aperçoit un homme sur la plage. Et cet homme s’avance vers les flots, puis dans les flots ! Il va tout droit, et la houle commence à le faire tanguer. Il veut mourir ! Guy se met à courir sur un sentier qui le conduit au bas de la falaise, près d’un embarcadère. Des marins ont aussi vu la scène. Il grimpe dans leur barque qui bientôt se trouve près de l’homme qui suffoque. Maupassant plonge. mais l’homme ne veut pas être sauvé. Tous deux disparaissent sous le flot ! En cet instant, la littérature française court le risque immense de perdre l’un de ses plus grands auteurs – qui n’a encore rien écrit… – et la littérature anglaise court le même risque : celui qui a décidé de se noyer, après une nuit de beuverie, n’est autre que le plus grand poète anglais du XIXème siècle : Charles Swinburne ! Évidemment, l’affaire se termine bien !

    Une main d’écorché 

    Afin de remercier son sauveur, Swinburne emmène Maupassant dans la chaumière de son ami Powell, chaumière qui porte un nom emprunté à la littérature du marquis de Sade : Dolmancé. Swinburne et Powell vivent d’étrange façon. Ils prodiguent des marques d’affection ambiguë à un singe qui est retrouvé pendu le lendemain de la visite de Maupassant : le serviteur des deux Anglais en étant fort jaloux… Sur un meuble, traîne, parmi divers ossements, une main d’écorché dont la peau parcheminée, les muscles noircis fascinent et horrifient Maupassant – cette main est celle d’un criminel qui a été supplicié. Ses hôtes remarquent sa surprise, s’en amusent et lui offrent l’objet qui deviendra, en 1875, l’argument de sa première nouvelle : La main d’écorché.

    Un maître d’apprentissage : Flaubert

    Après avoir obtenu brillamment son baccalauréat en 1868, après s’être engagé lors de la guerre de 1870, Maupassant devient fonctionnaire au ministère de la Marine, puis de l’Instruction publique. C’est un employé de bureau peu assidu, dont la grande affaire demeure l’écriture. Il se croit destiné à la poésie. Le grand ami de sa mère – dont on a même pensé qu’il pouvait être son père… – Gustave Flaubert, le prend sous son aile, corrige ses vers, lui apprend la pratique du réalisme en écriture. Il lui présente Daudet, Huysmans, la princesse Mathilde, et surtout Émile Zola. Celui-ci demande à Maupassant d’écrire une nouvelle destinée à figurer dans le recueil collectif : Les Soirées de Médan (1880). En quelques jours, elle est écrite. Son titre, Boule de suif. C’est le début d’une série de chef d’œuvres de précision, de concision et de style, le début de dix années de travail acharné, avant la fin. Terrible !

    Une curiosité littéraire

    Du Maupassant ou du Flaubert ?

    Prenez un texte de Guy de Maupassant, un autre de Flaubert. Comparez-les. Cherchez par exemple, à la fin des paragraphes, ce que le maître de Croisset appelle le détail vrai. Observez chez l’un et l’autre l’abondance de ces détails vrais qui proposent au lecteur des images bien plus saisissantes que n’importe quelle illustration. Étudiez le fonctionnement – chez l’un et l’autre – de la conjonction de coordination et. Souvent, elle ne coordonne pas grand-chose, elle est là pour clore une séquence, pour donner le signal de la dernière phrase d’un paragraphe qui semble tiré du discours d’un conteur davantage que des rigueurs de la grammaire.  Une différence cependant : chez Maupassant, les paragraphes sont plus nombreux, plus courts que chez Flaubert. Et puis, amusez-vous à repérer, dans ses contes et nouvelles, dans ses romans, les rythmes ternaires : des groupes de trois adjectifs, trois noms, trois structures identiques, comme un tic…

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