• Le doux Racine, première partie

    by  • 19 mai 2013 • Poème quotidien • 0 Comments

    Jean Racine par Jean-François de Troy

    Jean Racine par Jean-François de Troy

    « Ariane, ma sœur, de quelle amour blessée / Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée… » (Phèdre). « Je passais jusqu’aux lieux où l’on garde mon fils. / Puisqu’une fois le jour vous souffrez que je voie / Le seul bien qui me reste, et d’Hector et de Troie, / J’allais, /Seigneur, pleurer un moment avec lui ; / Je ne l’ai point encore embrassé d’aujourd’hui. » (Andromaque)… Etudiâtes-vous ces pièces de Racine au temps de votre jeunesse ? En apprîtes-vous par cœur ces passages magnifiques ? Vous affirma-t-on alors que Jean Racine était le représentant majeur du grand style classique fondé sur la rigueur, l’équilibre, la mesure, la bienséance ? On eut raison ! Partons vers sa maison…

    Bérénice, Phèdre…

    Chemin faisant, des héroïnes presque toujours malheureuses vous reviennent en mémoire. Bérénice, Phèdre… Attention, nous arrivons chez l’un de nos plus grands poètes dramatiques classiques…

    Que se passe-t-il rue des marais Saint-Germain ?

    Passant d’un soir de printemps 1699 dans le Paris boueux du temps glorieux de Louis XIV, vous empruntez la rue de Seine laissant derrière vous le fleuve au cours tranquille. Vous décidez de tourner à droite et de vous engager dans la rue des Marais Saint-Germain, aujourd’hui rue Visconti, du nom de l’architecte italien qui a réalisé la tombeau de Napoléon et la Fontaine Saint-Sulpice. La nuit tombe. Vous marchez lentement vers la rue des Petits Augustins, devenue en 1852 rue Bonaparte. L’agitation qui règne dans la dernière maison à quatre étages de la rue des Marais Saint-Germain vous intrigue.

    Monsieur Racine est décédé

    A l’un des quatorze domestiques et gens de maison qui servent en cette demeure, vous demandez pourquoi ces pleurs qui vous arrivent étouffés. Et l’on vous dit sur le ton ajusté à celui de la veillée mortuaire qui commence : Monsieur Racine est décédé. Depuis, on n’a pas oublié qu’en ce mardi 21 avril 1699, Jean Racine mourut en cet endroit : une plaque sur la façade du lieu le rappelle. Il s’en alla d’érysipèle, de dysenterie, et surtout, d’un abcès au foie qui lui donnait dans les derniers temps de son existence ce teint sinistre, entre le jaune et le bistre, si ressemblant au parchemin.

    L’amante répudiée

    Racine ! Jean Racine, n’est-ce pas lui qui fait dire à Bérénice, reine de Judée vivant à Rome et renvoyée dans son pays par Titus son amant au prétexte qu’il doit prendre pour épouse une Romaine afin de plaire au peuple :

    Bérénice à Titus

    Pour jamais ! Ah, Seigneur! songez-vous en vous-même

    Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?

    Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,

    Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?

    Que le jour recommence et que le jour finisse,

    Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,

    Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?

    Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !

     

    Jean Racine – Bérénice, 1670 scène V, acte IV

     

    Ô Marie…

    Et tous les contemporains de Racine reconnurent dans la tragédie Bérénice, représentée en 1670, un épisode émouvant de la vie du Roi-Soleil, Louis XIV, qui dut abandonner son premier grand amour, Marie Mancini, nièce de Mazarin, pour épouser celle que la politique du temps lui destinait : Marie-Thérèse d’Autriche, infante d’Espagne, qui introduisit à la cour de Versailles l’oranger à fruit doux et le chocolat. Tous les contemporains de ce temps-là savaient reconnaître dans chaque tragédie de Racine la souveraine présence du roi, qu’il fût transposé en Alexandre le Grand (1665), ou qu’il s’y promenât en quelque vers, quelque passage encomiastique (conservez bien ce mot pour vos soirées en ville ; il signifie : excessivement élogieux) attestant que la soumission de l’homme de plume était aussi celle de tous les sujets du royaume jouant leur rôle dans la comédie de l’absolutisme, puisque toute littérature n’existe que par le bon vouloir du pouvoir.

     

    Extrait de « La Littérature française pour les Nuls », Jean-Joseph Julaud, éditions First, 2005

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