• Guillaume IX, el desdichado…

    by  • 19 mai 2013 • Extraits • 0 Comments

    Troubadours

    Troubadours

    Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2010

    Quel homme, ce Guillaume IX, comte de Poitiers, duc d’Aquitaine et de Gascogne ! Un géant blond à la tête de soleil, et les braises de l’enfer dans les yeux. Une voix si puissante qu’elle fait trembler les murs, et le pape lui-même, Urbain II qui fait chou blanc en Aquitaine et Poitou lors de la mobilisation générale pour la première croisade. Un domaine immense : Poitou, Gascogne, Limousin, Angoumois… Bien plus riche que le roi !

    Un joujou extra…

    Une présence incandescente, Guillaume IX, un chouchou de la nature avec son piège à filles, son piège tabou qui les fait instantanément tomber à ses genoux, dans son escarcelle à pucelles délurées ! Oui mais… Cette furieuse inclination vers le beau sexe n’est pas du goût de toutes les femmes qui préfèrent plutôt une approche par le rêve, par la douceur, une conquête par le cœur. Guillaume se moque bien de tout cela. Homme de toutes les envolées, poète, il vous trousse en quelques coups de plumes d’oie une petite pièce de ces vers dont il a le secret, gaillards et crus, où, par exemple, il est question de deux montures qu’il possède, mais qui ne se supportent pas, et qu’il voudrait dompter à cela. Comptable fanfaron, il révèle dans une chanson qu’en huit jours, il a servi ces deux-là cent dix-huit fois… Crac, boum, hue ! (ainsi que le chanta, en 1966 après J-C, l’un des plus grands trouvères du XXe siècle : Jacques Dutronc…)

    La raclée à Héraclée

    Guillaume le flamboyant, le roi de la fête, le somptueux, le triomphant ! Sans foi ni loi, ou presque, Guillaume : il profite du départ pour la croisade de Raymond de Toulouse en 1098 pour envahir ses terres. Pour cela, il prétexte le lien de parenté entre sa femme Philippa et Raymond. Puis, attiré par les récits fabuleux, par les exploits de chevaliers que rapportent des croisades les jongleurs nomades, tel Robert le Pèlerin, il lève une armée de trente mille hommes, en prend le commandement. En route pour Jérusalem, Guillaume ! En avant, vers l’aventure et la gloire ! Hélas : les Sarrasins l’attendent à Héraclée où il subit une cuisante défaite – une raclée… Quelques batailles plus tard, il a perdu presque tous ses compagnons. Il rentre en France, l’oreille basse, retrouve Poitiers. Et Philippa ?

    Un peu de technique

    Poésie lyrique, épique, dramatique…

    Les troubadours, un peu plus tard les trouvères, plus tard encore les poètes quels qu’il soient expriment leur vision du monde, des êtres, de l’amour, de la mort, de l’angoisse ou du rêve, ou de tout autre thème essentiel ou existentiel en utilisant  leur « moi » personnel. Cette vision des choses à travers la sensibilité du poète, son je, son moi et leur subjectivité porte le nom de lyrisme. Le mot lyrisme est issu lui-même du terme lyre qui désigne l’instrument de musique d’Orphée, le poète charmeur et chanteur dans la mythologie grecque, comblé de dons par le dieu Apollon, le brillant qui conduit les muses et joue lui aussi, à l’occasion, de la lyre.

    Mais  la poésie n’est pas seulement lyrique. Celle de Chrétien de Troyes que nous allons rencontrer se fait narrative à la naissance du roman. Econome ou ennemie du « je » lyrique, la poésie peut aussi se faire descriptive, objective, épique lorsqu’elle raconte les exploits guerriers, dramatique lorsqu’elle développe un dialogue. Elle peut même chasser ce « je » sensible, l’expression du sentiment qu’elle estime parasite, en devenant comme au XIXe siècle chez les parnassiens, soucieuse seulement de perfection formelle. Riche programme pour toutes ces gammes, versifiées ou non, du cœur et de l’esprit.

    Les chemins du coeur

    Parlons de Philippa. Mais parlons d’abord d’Ermengarde d’Anjou qui fut la première femme de Guillaume, épousée en 1089, à dix-sept ans. Guillaume en a dix-huit, mâle mateur, dominateur en diable. Ermengarde n’apprécie que modérément la situation, puis s’en lasse, s’en outre, s’en fâche, et s’enfuit ! Qu’importe, Guillaume épouse Philippa. Philippa supporte. Philippa s’emporte. Philippa s’en va. Déconfit, et d’autant plus penaud après sa croisade calamiteuse, Guillaume se sent soudain le cœur chagrin. Il devient « el desdichado », le malheureux (mais ce n’est pas celui de Nerval dans le poème El Desdichado qui désigne on ne sait trop quel « prince d’Aquitaine » ni quelle « tour abolie »…) Et lorsqu’il apprend où se sont réfugiées Ermengarde et Philippa, où elles ont trouvé leur bonheur, près d’Arbrissel à Fontevraud, il n’a plus qu’une idée : découvrir, plume à la main, tous les chemins du cœur.

    Un portrait

    Fontevraud, Arbrissel et les femmes

    Il s’appelle Robert d’Arbrissel. Fils et petit-fils de prêtre – le célibat des prêtres est peu respecté -, il est né en 1047 à Arbrissel au sud-est de Rennes. La méditation, les prières répétées, peut-être à l’excès, le conduisent à la conclusion que son corps n’est qu’une guenille. Il quitte sa petite ville, sa femme et s’en va nu-pieds sur les chemins, suivi par une foule de fidèles, des femmes surtout, qui apprécient son élévation spirituelle, à mille lieues des rudesses du temps. Le pape Urbain II qu’il rencontre en 1096 lui décerne même le titre de « semeur du verbe divin » ! Un semeur qui continue de mortifier son corps, ne le couvrant que d’un sac, imité en cela par ses fidèles, hommes et femmes, de sorte que, parfois, dans les forêts que la foule dévote et presque nue sillonne, les soupirs ont des accents suspects. Du moins, c’est ce que racontent les mauvaises langues qui voient le mal partout… Robert d’Arbrissel décide alors de fixer sa troupe dans un lieu retiré, Fontevraud, où il fonde une abbaye placée sous le signe de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance. Dans cette abbaye dirigée par une dame de haute vertu, les hommes doivent servir les femmes. C’est là que se sont réfugiées les épouses déçues de Guillaume d’Aquitaine, Ermengarde et Philippa, délivrées des misères de la chair, tout entières tournées vers l’esprit. Ainsi naquit le premier club Med (club médiéval).

     

    Jean-Joseph Julaud – La Poésie française pour les Nuls – First –  2010

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