• Heureux qui, comme Ulysse…

    by  • 10 avril 2013 • Poème quotidien • 0 Comments

    Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
    Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
    Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
    Vivre entre ses parents le reste de son âge !

    Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
    Fumer la cheminée, et en quelle saison
    Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
    Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

    Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
    Que des palais Romains le front audacieux,
    Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :

    Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
    Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
    Et plus que l’air marin la douceur angevine.

     

    Joachim du Bellay – Les Regrets, 1558

    *************************************

    Extrai du Petit Livre des grands écrivains, éditions First, 2007

    Joachim du Bellay

    Liré, 1522 – Paris, 1560

     

    Un doux mélancolique, Joachim du Bellay ? Un nostalgique plaintif ? Point du tout. Joachim du Bellay est un révolutionnaire ! On a peine à le croire en lisant les deux strophes ci-dessus. Et pourtant, ce qu’il écrit à Rome, regrettant son « petit village » est beaucoup plus un exercice à la mode à cette époque, que l’expression d’un véritable état d’âme. Joachim du Bellay souffre sans doute du mal du pays, mais il demeure, même en Italie, lorsqu’il écrit Les Regrets, en 1555, un militant au service d’une nouvelle poésie.

    Six ans plus tôt, en 1549, il a écrit, à la hâte, comme on édifie une barricade, la Deffence et illustration de la langue françoyse, afin de lutter contre ceux qui ne jurent que par la langue latine !

    Du Bellay n’est pas seul dans cette entreprise : il a rencontré en 1547 Pierre de Ronsard. Tous deux, au collège de Coqueret, à Paris ont suivi les cours du grand spécialiste de l’antiquité et de l’Italie, Dorat. Avec quelques autres, Jacques Peletier du Mans, Jodelle, Baïf, Bellaud, Pontus de Tyard, ils ont formé une brigade qui va devenir la Pléiade. Ils sont bien décidés à faire la révolution dans le genre poétique.

    Au feu les Charles d’Orléans, François Villon, Clément Marot… et Thomas Sébillet, avocat au Parlement de Paris qui les déclare parfaits ! Vive l’alexandrin si peu pratiqué alors, vive le sonnet si moderne à l’époque, vive la tragédie et la comédie à la façon des Grecs anciens !

    Révolution aussi pour ce qui concerne la langue française : elle doit devenir la langue nationale, s’enrichir de nouveaux mots puisés dans le langage des ouvriers, des laboureurs, dans les anciens romans, elle ne doit plus être dominée par les langues anciennes, mais s’en inspirer pour créer son propre vocabulaire.

    La Pléiade réussit sa révolution, au-delà de toute espérance, et même jusqu’à l’excès puisqu’au début du XVIIème siècle, François de Malherbe devra effectuer un tri rigoureux parmi les mots nouveaux apparus dans la langue française devenue foisonnante et presque brouillonne…

    Atteint de surdité, malade, perdant ses dents, ses cheveux, Du Bellay meurt subitement, à sa table de travail, le 1er janvier 1560, à Paris. Il était né en 1522, à Liré, près d’Ancenis.

     

    Les irrésistibles

     

    Défense et illustration de la langue française – 1549

    L’Olive (sonnets) – 1550

    Les Regrets – 1558

     

    Citons l’auteur 

     

    France, mère des arts, des armes et des lois

    Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle – Les Regrets

     

    Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis

    Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,

    Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante :

    Voilà pourquoi, Magny, je chante jour et nuit. – Les Regrets

     

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