• Le Cheval en cent poèmes

    by  • 5 décembre 2011 • Actualités

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Introduction

    Etrange image que celle du cheval.  Animal, certes, mais indécis dans son statut : essaie-t-on de l’approcher sans le connaître, il prend ses distances, vous fait comprendre qu’il vous juge impur dans l’étendue de son espace, obstacle à ses courses soudaines, ses roulements de tambour sur la terre durcie. Il vous devine voleur de saisons, capable de limiter son pas à l’utilité végétale, à la course tarifée, avant de le dépecer en unités comestibles… Il vous évalue, instruit votre cas, puis vous donne en ruades et pétarades son verdict. Ou bien, curieux, vaguement inquisiteur, et plus hardi que soupçonneux – presque humain – l’animal cheval vous fixe, de loin, vous attire, vous hypnotise et vous fait franchir vos propres limites en même temps que ses frontières. Vous voilà admis dans la portée de son regard, invité à l’approche soumise. Votre instinct vous dépouille en urgence de tout ce que l’humain possède de pataud, dans le pas ou l’esprit. Le cheval vous accueille, vous instruit de vous-même, vous devenez meilleur avec lui. Vous êtes son ami. Voyez son œil bienveillant, indulgent, lorsque vos impatiences s’emmêlent dans son harnais, ses guides et ses courroies, lorsque vous avancez, terrien lourd et lent, pendant que lui, même au pas semble encore tout ailé de sa course sans fin. Facile de monter un cheval, mais bien malin qui s’élève à la hauteur de son image. Faut-il pour cela s’emplumer et chercher dans cet attirail pour petits vols quotidiens, l’outil du romancier, de l’essayiste, du dramaturge, la griffe du journaliste ? Ou plutôt le pinceau du poète ? Peut-être… Ce livre tout entier tente de le démontrer.

    Voyez, lisez ces chevaux en défilé. C’est Jules Supervielle qui s’en irrigue : Quand les chevaux du Temps s’arrêtent à ma porte / Je ne puis m’empêcher de les regarder boire / Puisque c’est de mon sang qu’ils étanchent leur soif. C’est Antonio Ramos Rosa qui feint de capturer leur silhouette :Quelqu’un a-t-il déjà vu le cheval ? Je le dessine / dans le jeu des syllabes musculaires. / Haute respiration, volume de désir. C’est le conteur Prévert qui nous parle, en langage cheval, de guerre, d’œillères et de bifteck. C’est Paul Fort l’apitoyé, bras dessus, bras dessous avec Brassens, qui nous enchantent et nous bouleversent : Le petit cheval dans le mauvais temps, qu’il avait donc du courage ! C’était un petit cheval blanc, tous derrière et lui devant. C’est le coquin de Guillaume de Poitiers qui fanfaronne : J’ai pour ma selle deux chevaux et c’est fort bien / Tous deux sont bons, dressés au combat et vaillants. Et c’est le pas tranquille d’Albane Gellé : Marcher à côté, sur la route du retour, avec dans les oreilles le pas du cheval, qui va chaud dans le dos, tranquille, et respire.

    Le pinceau-plume s’encolère derrière le jockey du centaure sous la cravache de Marc Menant : En rebuffade l’impétueux devant la ferraille où deux lads débraillent à l’engouffrer. Les coursiers galopants du Coran font jaillir du feu sous leurs sabots. Les hongres  de Lavaur cisaillent le vallon / de leurs rauques appels. En voulez-vous encore ? Voici le blanc, le roux, le noir et le fauve de l’Apocalypse : Quand l’agneau eut ouvert l’un des sceaux, je regardai, et j’entendis l’un des quatre animaux – l’un des quatre chevaux… Voici le cheval mort d’Aloysius Bertrand : Celui-là, tué d’hier, les loups lui ont déchiqueté la chair sur le col.  Et puis s’avance le cheval inconnu, en déprime, de Maurice Carême : Comment pourriez-vous me connaître ? / M’a dit tristement le cheval. Et Sully Prudhomme se livre à son cheval fou : Cours, je rêve, et sur toi, les yeux clos, je me penche… Emporte, emporte-moi dans l’inconnu profond !

    Prince de l’ailleurs, distant, inaccessible sans doute, le cheval. Esclave ? Jamais ! Même celui qui tourne le manège ou tire la charrue ? Non. Son corps peut-être, mais son regard, avez-vous croisé son regard au cœur de l’effort le plus humble ? C’est celui d’une créature hors des chaînes, libre, souveraine, et pleine d’une pitié qui confine au mépris pour l’être à deux pieds qui le juge sa « plus noble conquête » et se prend pour le roi du monde.

    Lecteur, à cheval ! En selle sur les mots et leurs galops, sur les images qui s’emballent. Au pas, lecteur, au pas. Voyez comme vous êtes, en même temps, au bord du livre, impatient et sage ! Au fil des pages que voici, courant par là ou par ici, ou bien saisi dans une halte vespérale, le cheval vous devient familier. C’est comme si au fond de vous il se mettait à vivre et à ruer. Car le cheval en nous, rebelle et libre, c’est la pensée.

     

     

     

    Jean-Joseph Julaud

     

    Le Cheval en cent poèmes est paru aux éditions Omnibus le 13 octobre 2011

     

     

    En librairie actuellement, l’anthologie « Le Cheval en cent poèmes », aux éditions Omnibus, textes de La Fontaine, Victor Hugo, Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Tristan Corbière, Jules Supervielle, Aimé Césaire, Paul-Jean Toulet, Jean Orizet, Albane Gellé, Nolwenn Euzen, etc., rassemblés par JJJ

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