François Nourissier, le prince et la valetaille
by admin • 1 mars 2011 • Extraits, Le JJJ du jour
C’est toujours une fête d’entrer dans un livre de François Nourissier (attention, il détestait qu’on écrivît son nom avec deux « r »), c’est une fête de l’esprit. Nourissier ne copie personne, ne s’inspire ni des airs ni des styles à la mode, il n’en rajoute pas, il ne « surécrit » jamais, il ne braille pas des désespérances dans la salle d’attente de la beauté, comme certains prétendus stylistes qui prennent pour création les dissonances nées du mélange des partitions. Nourissier écrit, écrivait juste. Il suffit de lire ses titres comme l’armure, ou l’armature d’une clé, et l’on sait que tout se déroulera avec mesure, sans fausse note. Tant pis pour ceux qui aiment dérapages et surprises, excès gloutons de vies débridées.
Nourissier le sage conduit son lecteur sur les territoires de l’âpreté, la difficulté d’être, assumée, commentée, arpentée de long en large avec patience, résignation..
« Un petit bourgeois », publié en 1964 invite sans fard, presque platement, à suivre le narrateur dans le gris de son ennui, dans le refus têtu et pathétique des bonheurs simples. Mais quel délice, cette écriture de bien élevé qui ajuste et tue, ou mieux, torture, étouffe, mine de rien, les gardes-chiourme de la prison des bonnes manières.
« Je ne m’aime pas, je n’aime pas ma vie » écrit Nourissier. Le contrat est économe et sincère avec le lecteur. Nourissier est un parfait honnête homme. Il n’a jamais joué la comédie. Jamais menti. Sa voix dans Le Figaro a longtemps crié dans le désert des lettres en signalant ici ou là une oasis dont il savait analyser la qualité des eaux souvent troubles, identifier les sources et même prédire le tarissement. Ou bien, quitte à déroger à sa règle de mesure, il décidait que telle halte romanesque devenait incontournable si on ne voulait plus s’égarer en littérature. Ainsi naquit Houellebecq…
Nourissier, ce fut, longtemps, l’Académie Goncourt, de 1977 à 2008, le Grand prix du roman de l’Académie française en 1965 avec Une histoire française, le prix Femina en 1970 avec La Crève. Ce furent les confessions de Eau-de-feu, en 2008, où le personnage principal, l’alcool, porte le masque de celle qu’il a perdue. Ce fut enfin « la maladie au teint pâle, aux traits tirés, et sa grande faucheuse, sa rouleuse qui l’emmène bras dessus bras dessous, comme au bal du samedi » (Prince des berlingots, 2003), Miss P, la maladie de Parkinson qui le prend par la main et lui demande de la faire vivre de page en page, jusqu’à l’ultime qui tue.
Nourissier, c’était un prince de la langue, et grâce à lui, on en démasquait la valetaille. Lui absent, elle a désormais les mains libres. Libres comme les nôtres qui peuvent, qui doivent, afin que ne s’efface ce nom : Nourissier, tourner page après page, où se distille la lenteur élégante des grisailles bourgeoises, lire ou redécouvrir En avant, calme et droit (1987), Le gardien des ruines (1992), et surtout, parue en 2000, cette lettre admirable à tous ceux qui jugent mensonge la modestie : A défaut de génie. Ce titre clé, quelle armure !
Jean-Joseph Julaud