• L’écriture

    by  • 13 septembre 2005 • Entretiens

    L’écriture – août 2003
    Entretien réalisé en août 2003 à l’occasion de la création du site Internet de Jean-Joseph Julaud et de la parution de Café grec.

    Que signifie concrètement écrire pour vous ?

    Concrètement ? Écrire c’est s’installer dans l’abstrait. C’est quitter
    le visible, le palpable pour entrer dans le domaine du signe : la
    lettre, la métaphore, l’allégorie, et tout ce qui rend compte de
    l’existence d’une façon différente.

    Écrire, c’est faire quelque chose avec rien ! Attention, il n’y a
    rien là de paranoïaque qui ressemblerait au projet divin… Je veux
    dire simplement qu’on se trouve démuni, nu, quand on écrit, la page est
    blanche, ou bien l’écran de l’ordinateur, et il va falloir qu’existe
    un monde, que vivent des personnages. On peut objecter que tout cela,
    ce sont des paysages de terre et d’eau, des personnages de chair et de
    sang, que tout ce qui occupe un livre se rattache finalement au
    concret, eh bien non ! Ce qui s’anime au fil des pages résulte des
    choix effectués par celui qui écrit, il sélectionne, il expurge, et le
    mot qu’il retient n’est jamais choisi par hasard – ou du moins c’est
    ce qu’on est en droit d’attendre, d’exiger d’un écrivain ;celui qui
    laisse filer les mots sans effectuer un contrôle rigoureux de leur
    portée totale, sans juger de toutes les conséquences, les perspectives
    qu’ils développent, celui-là est un écriveur, non un écrivain.

    Ainsi, l’écriture est une naissance au monde, la naissance
    d’un regard singulier. On reconnaît Giono non pas en regardant une
    photo ou une carte postale de la Provence, mais en le lisant ; et, le
    lisant, on ne voit pas la région qu’il évoque, mais un univers qui est
    le sien. Le cynisme, la désespérance et la frénésie de sexe sont des
    options houellebecquiennes, ce n’est pas forcément le monde tel qu’on
    le lit soi-même à travers des observations qui peuvent être
    diamétralement opposées.

    Enfin, je voudrais dire que pour moi, l’écriture
    représente une sorte de confort peut-être égoïste dans la stratégie
    globale de la communication, parce que je m’éloigne des autres, je
    m’en isole, mais c’est pour mieux leur parler, leur parler sans le
    labeur de la discussion où se diluent et se perdent souvent dans une
    espèce de consensus mollasson les convictions les plus aiguisées.

    D’où vous viennent l’envie d’écrire et l’inspiration ?

    L’envie d’écrire ? L’envie de prendre pour un instrument de musique la
    langue française, d’écrire une partition, d’essayer les sons, de les
    marier, de faire en sorte que la phrase charme, qu’il y ait de la
    douceur dans les mots, ou du pittoresque, ou de l’inattendu, bref, que
    le langage se crée des perspectives – comme la musique qui se déploie
    dans l’insoupçonné de l’être.

    L’inspiration ? J’ai toujours trouvé étonnant ce mot, ou
    plutôt je trouve qu’il résume de façon simpliste pour ne pas dire
    simplette l’acte d’écrire. L’inspiration n’existe pas. Rien ne se
    déverse d’on ne sait quelle zone, de quelque éther secret, dans la
    tête de l’écrivain au moment où il décide de travailler. Ce qu’il
    écrit est en lui déjà et demeure en lui. Ce qu’il écrit, c’est lui. Rien
    ne lui est extérieur, il est sa propre planète, son propre espace, sa
    propre galaxie, et, s’il s’en donne la peine, ou plutôt, s’il accepte
    de se mettre en jeu sans tricher, c’est-à-dire s’il consent à
    supporter au-delà du dicible une espèce de souffrance impatiente –
    mais aussi à éprouver une exultation en proportion égale – on peut
    espérer le reconnaître dans la plupart des phrases qu’il aura forgées,
    dans des images qui portent sa marque de fabrique.

    En quoi votre stratégie d’écriture est-elle différente selon que vous écrivez des livres pratiques ou des pages littéraires ? Votre rapport avec le lecteur est-il également modifié ?

    Lorsque j’écris, que ce soit du littéraire ou du pratique, je suis toujours dans le même état d’esprit, j’ai toujours le même projet : ne pas abandonner la phrase avant qu’elle ne soit bâtie selon mes habitudes, davantage même, selon ma propre respiration ; je ne veux pas dire que j’ai inventé quoi que ce soit, j’ai plutôt supprimé ce qui me déplaît dans certaines cadences, certaines sonorités, certaines rencontres malheureuses qui font de la phrase parfois une séquence difficile à supporter, et même insupportable.
    Cependant, écrire du pratique c’est beaucoup plus facile : on peut se mettre au travail à cinq heures du matin, on est certain qu’à midi plusieurs pages seront là. Avec l’écriture littéraire, on peut rester deux heures sur une phrase, ou bien deux heures sans qu’elle vienne et même davantage. Parfois, c’est un jour entier qui s’écoule, pour rien ! Et même deux jours ou trois – pour Mallarmé, l’attente a duré dix ans ! Et puis, miraculeusement, alors qu’on ne l’attendait plus, la phrase magique arrive, celle qui ouvre la porte à toutes les autres…

    Quels sont vos rapports avec vos éditeurs ?

    Excellents ! mes éditeurs, aussi bien Le Cherche Midi que First ou Liv’Editions me laissent libre de conduire mes projets à ma guise. Parfois, nous redressons ensemble quelques petits détails, mais jamais je n’ai connu de censure ou de manoeuvres y ressemblant chez l’un ou chez l’autre. Avec Serge Martiano, le PDG de First, et les éditeurs successifs que j’y ai connus ou que j’y connais encore (Benjamin Arranger, Sophie Descours, Laurence Dumoulin) nous définissons précisément avant de commencer, le contenu du livre, son sommaire – c’est impératif pour la collection Les Nuls -, la date de remise, etc. ; la suite, ce sont des courriers électroniques, des coups de téléphone, et surtout, surtout, de la bonne humeur, de l’humour, ce que j’apprécie par dessus tout ! Avec Pierre Drachline, au Cherche Midi – éditeur, mais aussi excellent auteur – c’est une histoire de confiance, de connivence même ; je me mets au travail, advienne que pourra, mais je n’écris plus rien que je ne juge le meilleur de moi-même. Au Cherche Midi aussi, je trouve toujours du bon humour et de la bonne humeur, et puis j’ai le plaisir de rencontrer Jean Orizet qui dirige avec Philippe Héraklès la maison d’éditions ; Jean Orizet est un excellent poète qui m’a fait le plaisir d’écrire la quatrième de couverture de mon roman Café grec.

    About