• La Littérature française pour les Nuls

    by  • 13 septembre 2005 • Entretiens

    Entretien réalisé en août 2005, à l’occasion de la parution de La littérature française pour les Nuls.

    Présentez-nous votre nouveau livre ; en quoi est-il différent des ouvrages traditionnels sur la littérature française ?

    La plupart des livres consacrés à la littérature ont un objectif en rapport avec la pédagogie, avec les programmes d’examens, une arrière-pensée lycéenne, et une dominante universitaire dans leur ton et leur vocabulaire. J’ai voulu offrir à tous ceux qui connaissent ou ne connaissent pas la littérature, l’occasion d’une promenade exempte de toute contrainte à travers les dix siècles où la langue française s’est investie dans la poésie, le roman, le théâtre, dans toute sorte d’écrits devenus notre patrimoine – un patrimoine dont nous ne connaissons ou ne possédons qu’une infime partie car, passé l’obligation scolaire, nous nous empressons d’oublier ce qui demeure associé à la production d’efforts souvent mal récompensés…
    Par ailleurs, les ouvrages qui traitent de littérature font une large place aux extraits d’œuvres, de sorte qu’est née une sorte de culture de l’extrait : on estime connaître un auteur à travers quelques pages lues, quelques commentaires ou explications souvent partiales, partielles. Bref, Voltaire se résume à un passage de Candide, Rousseau à quelques paragraphes des Confessions, et Hugo à « Demain dès l’aube… » ! Je ne conteste pas l’utilité de ces repères – j’en propose de nombreux dans mon livre -, mais s’en contenter, c’est se priver d’inestimables trésors, de milliers d’heures de bonheur, accessibles à n’importe quel lecteur dans n’importe quelle bibliothèque ou librairie !

    Est-ce votre idée d’ajouter un livre sur la littérature dans la collection pour les nuls ?

    L’Histoire de France pour les Nuls ayant intéressé un très vaste public, Serge Martiano, directeur des éditions First, et Sophie Descours, mon éditrice, m’ont proposé d’écrire La Littérature française pour les Nuls. Evidemment, malgré le délai très court pour la réalisation du projet, malgré l’obligation de recommencer des journées de dix-huit heures de travail, de mettre en sommeil toute autre activité pendant plusieurs mois, j’ai quasiment sauté de joie : la littérature en général, française en particulier, est un domaine qui me passionne – je l’ai enseignée pendant de nombreuses années, et j’avais pour souci de ne jamais ennuyer mes élèves.

    C’est à nouveau un ouvrage qui réclame une impressionnante somme de travail !

    Je vous le disais à l’instant : des journées bien remplies, qui commencent souvent à cinq heures du matin et se terminent fort tardivement ! Evidemment, on n’écrit pas sans cesse, on attend parfois une heure, deux heures, que les mots, les phrases veuillent bien s’agencer de sorte que le ton choisi – celui du récit vif et varié – renoue sans accroc avec les pages nées la veille. Rien n’est jamais gagné, et c’est heureux, car la rédaction du livre deviendrait ennuyeuse, sa lecture aussi…

    Pourquoi est-elle présentée par siècles, et non par « courants » littéraires ?

    La structure que j’ai choisie privilégie en effet le classement par siècles. Ce sont des tiroirs commodes pour la mémoire – l’un des objectifs de ce livre est de proposer au lecteur des moyens concrets, pratiques et sûrs pour construire une sorte de bibliothèque mentale avec étiquetage précis des rayonnages, ce qui permet d’affirmer sans se tromper que Villon appartient au XVème siècle, Rabelais au XVIème siècle, Racine au XVIIème siècle… Mais, à l’intérieur de ces tiroirs, je développe les genres et les courants propres à chaque époque, ou bien qui se développent jusqu’à nos jours. Vous pouvez suivre l’évolution du genre dramatique, de la poésie, du roman…

    Pourquoi avoir choisi de mêler l’histoire à la littérature ?

    Vous voulez sans doute parler de certaines mises en scène que j’ai utilisées pour présenter des auteurs dont l’existence s’inscrit dans les turbulences de l’Histoire. Baudelaire, par exemple : on le trouve un jour de février 1848, grimpé sur une barricade, carrefour de Buci à Paris, un fusil à deux coups dans les mains – avec ses amis, il vient de piller une armurerie ! Il croit que la société est en train de devenir plus juste, de naître à l’égalité… C’est une image aux antipodes de celle qui nous fait imaginer tous les rimeurs retirés du monde, repliés sur eux-mêmes, et composant leurs petits sonnets dans leur tour d’ivoire ! Comment ne pas parler d’Histoire lorsqu’il faut expliquer l’exil de Victor Hugo à Jersey puis Guernesey ? Beaucoup d’écrivains ont joué – ou tenté de jouer – un rôle dans l’Histoire de France. Ronsard, par exemple, propose au roi Charles IX d’écrire un long poème – La Franciade – capable de rivaliser avec l’Iliade ou l’Enéide afin d’enrichir le royaume d’une identité mythique. On voit tout au long des siècles des auteurs engagés dans le devenir de leur pays – aujourd’hui, la rentabilité, la rationalité, la technique ont envahi toutes les sphères des pouvoirs, les écrivains n’y trouvent guère leur place…

    Comme dans l’Histoire de France, on retrouve votre jubilation de l’écriture…

    Pendant la rédaction de La Littérature pour les Nuls, mon plaisir le plus vif consistait à choisir puis à écrire l’anecdote qui me servirait d’introduction au portrait d’un poète, d’un romancier. Je me suis amusé à reconduire à la pension Puppier de Lyon, entre deux gendarmes, le jeune Alphonse de Lamartine, douze ans, qui venait de s’en échapper, ne supportant plus la discipline de fer qui y était appliquée. J’ai aimé présenter Stendhal en le montrant, en novembre et décembre 1838, qui dicte à un rédacteur son roman La Chartreuse de Parme, à mesure qu’il le crée, en cinquante-deux jours ! J’ai souri en mettant en scène Balzac qui conduit trop vite son tilbury pour impressionner le passant – et surtout les passantes -, et verse au bout de la rue ! Mon but est d’abord de distraire le lecteur, de l’emporter dans ma dynamique narrative, de capter – capturer, même…- son attention par tous les moyens, de lui offrir, dans chaque paragraphe, un sourire, une émotion, et en même temps, une information. Ce qui me comble c’est que des lecteurs me disent qu’il se sont mis à raconter l’Histoire de France en famille ou entre amis alors qu’ils n’y avaient jamais rien compris. Je souhaite parvenir au même résultat avec La Littérature…

    Le choix des titres fait-il aussi partie de votre travail d’écrivain ?

    Choisir les titres – ce qu’on appelle dans le jargon journalistique la titraille -, c’est un dessert qu’on est empressé de déguster, c’est un vif plaisir, une indéfinissable satisfaction ; sans doute parce qu’on imagine le regard amusé ou étonné du lecteur, parce qu’on espère sa connivence, parce qu’on se dit qu’utiliser l’inattendu, le jeu de mot, l’allusion au seuil d’un paragraphe, c’est remplir la fonction de l’hôte qui introduit dans sa demeure ses invités avec le sourire, ou quelque formule qui met à l’aise, qui brise toute solennité. Attention, cela n’est pas toujours possible, et c’est heureux car la répétition du procédé deviendrait pesante.

    Déjà dans l’Histoire de France, il y a cette originalité de l’écriture qui met l’information en récit. Ne serait-ce pas le secret de votre succès ?

    La plupart des lecteurs de l’Histoire de France pour les Nuls m’ont dit avoir lu le livre comme on lit un roman. Il est vrai que je ne puis m’empêcher d’utiliser ma plume de romancier, de conteur, pour présenter dans toute leur rigueur et leur vérité les faits historiques. L’écriture universitaire, le dogme des historiens de métier qui s’interdisent de prendre position – alors que tous leurs développements prouvent le contraire -, tout cela m’ennuierait profondément s’il me fallait le pratiquer. Et je pense que l’ennui, qui est la grippe de l’esprit, est aussi contagieux qu’elle…

    Est-ce que les rencontres avec vos lecteurs dans les salons du livre ou les librairies influencent votre écriture ?

    Mes lecteurs – j’adore les rencontrer au cours des séances de signature dans les librairies ou dans les salons – me confortent dans mes choix d’écriture. Récemment, je signais à La Baule ; un vieux Monsieur d’Antibes est venu me voir pour me dire : « Votre livre, je l’ai lu trois fois, trois fois avec le même plaisir ! ». Je reçois aussi de nombreux messages de lecteurs de tous âges, dernièrement celui d’une lycéenne qui me remerciait d’avoir obtenu une mention à son bac grâce à la note de son devoir d’Histoire : 16/20, m’affirmant que jusqu’à ce qu’elle découvre L’Histoire de France pour les Nuls, elle était vraiment… nulle dans cette discipline et qu’elle la détestait. Je poursuis donc ma tâche en utilisant les mêmes recettes pour La Littérature française pour les Nuls.

    Avez-vous des auteurs ou des textes préférés ?

    Chaque auteur me plaît, pour des raisons différentes. Dans mon classement personnel, ils arrivent tous ex aequo, mais, humainement, c’est Hugo que je préfère, il est honnête et généreux, sincère et touchant – ce qui n’est pas le cas d’un Voltaire ou d’un Chateaubriand…

    Comment avez-vous fait le choix des auteurs dans le chapitre « propositions pour le XXIème siècle » ?

    A partir des années soixante-dix, il est difficile d’effectuer un choix parce que les œuvres, en général, continuent de s’élaborer, et que la critique, le public n’ont pas encore effectué un choix qui permette de décider que tel ou tel écrivain illustre pertinemment son époque, soit par les sujets qu’il traite, soit par son écriture, ou pour toute autre raison parfois difficile à identifier. Pourquoi certains franchissent-ils sans difficulté les portes de la postérité avec une œuvre de qualité moyenne – mais qui peut être excellent aussi, n’exagérons pas… – alors que d’autres disparaissent de la mémoire collective alors que leur écriture force l’admiration ? Ce n’est pas la logique esthétique qui prévaut en littérature, ce sont les coups de cœur, les coups de tête, les coups de folie d’un lectorat donné à une époque donnée. Lautréamont était bel et bien oublié lorsque les surréalistes l’ont découvert – personne ne s’était préoccupé de lui lors de sa courte existence ! Contemporains de Lautréamont, Hugo et Zola étaient, de leur vivant, des classiques ! Il faut dire que ces deux-là s’y sont entendus pour tirer les larmes de leurs lecteurs – pensez à Cosette d’Hugo – ou pour les conduire aux enfers – pensez à Gervaise de Zola ! Aujourd’hui, c’est Anna Gavalda qui tire les larmes, et Houellebecq qui conduit aux enfers. Leurs lecteurs sont si nombreux, si satisfaits – ou en colère parfois, pour Houellebecq – qu’on peut déjà leur accorder le bénéfice de l’œuvre accomplie ! Voilà pourquoi ils figurent dans La Littérature française pour les Nuls, aux côtés d’Erik Orsenna le merveilleux conteur, de Fred Vargas, la créatrice d’un épatant commissaire… Une prochaine édition fera face à de nouveaux noms…

    Quand on est soi-même écrivain français, qu’apporte un telle recherche sur la littérature ?

    Je suis un artisan au service des lecteurs. Je ne me prétends pas écrivain au sens où certains l’entendent, c’est-à-dire un être grave et sérieux, distant, sentencieux, qui souhaite qu’on fasse la révérence aux pages qu’il écrit – j’aime plutôt qu’on leur fasse fête. Pour moi, l’écriture est une invitation et un partage. Dans la demeure de l’écrit – la page – l’auteur et le lecteur ont exactement le même rôle, le même devoir : aimer la langue qui est la leur.

    Quelle sera votre prochaine participation à la littérature française ?

    Un nouveau roman.

    Parution : 1 septembre 2005
    Editions First
    ISBN-10: 2754000615
    ISBN-13: 978-2754000611

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