• L’Histoire de France pour les Nuls

    by  • 21 août 2004 • Entretiens

    Entretien réalisé en août 2004

    Ça y est, la voilà en librairie : l’Histoire de France est un beau et gros livre ! Une somme. Comment avez-vous conduit cette entreprise ?

    Le beau et gros livre devait être un tout petit livre il y a deux ans. En effet, le premier projet concernant l’Histoire de France tenait en 160 pages, qui auraient pris place dans les poches et les sacs à main, près du Petit Livre du français correct, par exemple… Mais ce projet a été modifié : peu à peu, l’idée d’un livre plus important a germé ; la collection  » Pour les Nuls  » était tout indiquée pour accueillir une telle entreprise. Il est difficile de vous donner une idée de la quantité de travail que ces 730 pages m’ont demandée. Cependant, j’ai vraiment commencé la rédaction de l’Histoire de France pour les Nuls au début du mois de novembre 2003, je l’ai achevée le 31 mai 2004. Il faut ôter à cette période de sept mois une semaine au salon du livre de Montréal en novembre, puis, pour des raisons familiales, un séjour au Mexique de quinze jours, en décembre. Le temps de rédaction lui-même s’étale sur six mois.
    Avant cette plongée dans la forge de l’écriture, il a fallu composer le sommaire qui, à lui seul, occupe seize pages, écrire l’introduction, les vingt premières pages de texte, traduire le tout en anglais (merci Laurence !), envoyer l’ensemble au siège de la maison d’éditions aux Etats-Unis ( » Les Nuls  » est une licence américaine), attendre la réponse, puis s’installer enfin devant un ordinateur spécialement préparé pour l’occasion, et enfin, enfin, se laisser aller au plaisir de raconter l’Histoire de France ! Ce que je nommais tout à l’heure la forge de l’écriture, c’est l’engagement total dans le projet définitivement adopté, la certitude que chaque minute compte, que chaque instant devient précieux pour bâtir ; aussi, entre mon mi-temps dans l’enseignement et la rédaction du livre au quotidien, il ne m’est pas resté une seconde pour mettre le pied dehors ou le nez en l’air ! Beaucoup de journées ont commencé à quatre heures du matin pour se terminer à minuit. J’étais exténué, mais jamais le poids du livre ne m’a fatigué, je l’ai toujours porté avec une sorte d’allégresse, même dans les pires moments, ceux où la page se refuse, où la phrase se dérobe, où les images se jouent des mots.

    Etes-vous l’initiateur du projet ou vous a-t-on choisi comme auteur ?

    Aux éditions First, on avait prévu d’inscrire au programme des parutions l’Histoire de France. Mais quelle optique choisir pour ce thème qui n’a pas forcément fait les beaux jours de tous les écoliers, collégiens ou lycéens ? Quelle stratégie adopter pour faire en sorte que le ou les ouvrages ne soient pas une nouvelle version des livres scolaires ou universitaires ? On a alors pensé à moi qui ai déjà écrit  » Le français correct pour les Nuls « , je connais bien le cahier des charges de la collection. Et puis – mes lecteurs le savent – j’aime exploiter l’insolite, l’original, l’inattendu, le pittoresque, et l’Histoire de France en regorge ! Mais je n’ai pas accepté immédiatement : la somme de travail me paraissait presque insurmontable. Pourtant, j’étais plus que tenté par cette mission impossible ! Un jour d’octobre dernier, je suis allé chez First pour dire non ; deux heures plus tard, j’avais dit oui. Pourtant, personne ne m’avait torturé ! Au contraire ! On a simplement su insister sur le fait que l’enjeu, pour moi, était celui de l’écriture : je la mettais au service de l’histoire et je tentais de rendre simple et attrayante une discipline avec laquelle tant de Français sont en froid pour la vie ou presque ! Il a suffi de cet argument astucieusement avancé (n’est-ce pas, Vincent ?) pour emporter mon adhésion.

    Dans le recueil de nouvelles Mort d’un kiosquier, vous aviez déjà travaillé avec l’histoire, mais on vous connaît surtout comme spécialiste du français. Le domaine historique requiert-il une stratégie d’écriture différente ?

    Pour Mort d’un kiosquier, paru en 1994, j’avais mêlé l’histoire des grands noms de la littérature française, et l’imaginaire, puisque je faisais mourir Voltaire, Rousseau, Chateaubriand ou d’autres encore avant qu’ils aient produit leurs œuvres… Ce mélange de l’histoire et de la fiction littéraire m’avait beaucoup plu. Dans l’Histoire de France pour les Nuls, seule l’histoire est présente dans toute sa précision et toute sa rigueur. Cela ne signifie pas que l’écriture soit absente. Au contraire : j’ai utilisé une dynamique de narration qui donne à l’Histoire l’allure et le rythme d’une récit souvent haletant, pathétique, échevelé, plein de suspense, de tendresse parfois, d’amour presque toujours, d’horreur si souvent ! On lit l’histoire pour les Nuls comme on lirait un roman !

    Votre expérience de l’enseignement et du livre pratique a-t-elle conduit l’écriture de l’histoire, une matière souvent jugée difficile ? Quelle est la démarche de cette collection « pour les Nuls » ?

    L’Histoire pour les Nuls requiert un langage simple, adapté à tous les types de lecteurs, à tous les âges, tout doit y être expliqué clairement ; l’humour est présent lorsque la situation s’y prête, bref, on demeure constamment au service de celui qui nous lit, on le guide en prenant soin de son confort. A mon avis, l’Histoire n’est un domaine difficile que dans la perspective où l’Institution scolaire l’inscrit : celle de la compétition pour une mémorisation souvent stérile puisque, à la fin de leur scolarité, la plupart des lycéens ou étudiants sont bien incapables de situer Louis XII ou Henri II quelque part dans la course des siècles ! L’Histoire devient passionnante lorsqu’on ne l’apprend plus pour la retenir, mais pour la comprendre. Tout alors paraît clair, utile à notre devoir de mémoire : il faut apprendre les causes de la shoah, mais surtout les comprendre afin de pouvoir identifier et étouffer à temps toutes les idées monstrueuses qui pourraient conduire de nouveau à de telles catastrophes.

    Quelle a été votre bibliographie ? Comment avez-vous fait vos choix dans la richesse et la diversité des recherches et des publications actuelles ?

    Six mois d’écriture, mais des années de passion pour l’Histoire ! Pendant vingt années, j’ai enseigné cette discipline, abordant toutes les époques, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours ; j’ai préparé des centaines d’heures de cours, lu des dizaines de livres, effectué des recherches, consulté des archives, bref, pendant des décennies, j’ai accumulé des informations, des documents dans lesquels je me suis replongé avec délices. J’ai retrouvé par exemple un ouvrage très rare : les mémoires du bourreau de la Révolution, Charles-Henri Sanson ! Cela m’a permis de donner quantité de précisions sur les moments les plus tragiques de cette époque d’une férocité qu’on a peine à imaginer. Cela m’a permis aussi de constater combien on a pu ajuster certaines phrases prétendues historiques afin qu’elles servent, avantageusement ou non, une situation ou un portrait.

    Pourquoi avoir commencé ce livre d’histoire avec la préhistoire ?

    Pourquoi pas ? La question se posait en effet : à quelle époque commencer ? Le traité de Verdun en 843, où on entend parler pour la première fois de la Francia occidentalis (la France) ? Charlemagne ? Clovis ? Et pourquoi pas la période gallo-romaine qui a fondé notre héritage dans tant de domaines ? Finalement, je me suis dit que, puisqu’on connaissait la date du premier pas de l’homme sur la lune, il fallait que je remonte jusqu’à l’époque où l’homme a fait son premier pas… sur le territoire qu’on appelle aujourd’hui la France. C’est ainsi que j’ai fait le portrait de l’homme de Roquebrune : il s’était installé, il y a près de deux millions d’années, dans les environs de Saint-Tropez ! Pas bête, déjà…

    Comment avez-vous fait le choix de l’organisation, du rythme, de la densité ? Quel type d’événement avez-vous choisi de privilégier ?

    Je vous disais tout à l’heure que l’Histoire chez First devait d’abord prendre place dans la série des Petits Livres, comme le Petit Livre du français correct. Le projet était suffisamment avancé pour que le plan soit élaboré. Et j’ai effectué ce travail en collaboration avec un historien qui a été pendant des années directeur de collection pour les livres scolaires d’histoire et géographie : Christian Bouvet. Ses occupations professionnelles ne lui ont hélas pas permis de participer à la rédaction de l’Histoire de France pour les Nuls, mais j’ai conservé les fondations que nous avions installées, et j’ai commencé à construire. Le rythme du livre s’est installé presque de lui-même, dans une alternance de récits, de portraits, d’explications détaillées concernant la politique de tel ou tel roi ou ministre, sans oublier les conquêtes sociales, l’évolution des arts, des lettres ou des sciences. J’ai voulu que chaque ligne ou presque apporte une information, évitant à tout prix le touffu pour atteindre le dense. Aucun événement particulier n’a été privilégié. J’ai simplement cherché à n’omettre rien de ce qui peut nous rendre lucides face au passé, et, par là même, au présent.

    Comment avez-vous pu concilier la tonalité humoristique de la collection « pour les Nuls » avec ce sujet souvent grave qu’est l’histoire de France ?

    L’Histoire est souvent grave et tragique, c’est vrai, le XXème siècle nous l’a cruellement démontré, de nombreux chapitres y sont consacrés dans le livre. Mais, au quotidien, lorsqu’on se met à observer les hommes et les femmes dans leurs faiblesses, leurs manies, leurs aventures – souvent amoureuses -, lorsqu’on se penche sur certains épisodes où ni les rois, ni leurs sujets, ni leurs entourage ne furent forcément à leur avantage, on a mille occasions de sourire, de rire même, avec l’indulgence de ceux qui se disent qu’ils n’auraient sans doute pas fait mieux… Des dizaines d’anecdotes, de portraits pittoresques, de récits d’événements inattendus sont proposés dans l’Histoire pour les Nuls : on se laisse surprendre, distraire pour un temps du poids dramatique des incessantes luttes de pouvoir.

    Avez-vous aimé raconter une période ou un événement en particulier ?

    Toutes les périodes de l’Histoire comportent leur part de malheur et leurs jours de bonheur. C’est un plaisir de raconter le bonheur, c’est un devoir de remettre en mémoire les temps du malheur. Tout m’a enthousiasmé ou ému, tout m’a étonné ou attristé. J’ai conduit cette entreprise d’écriture avec une même passion pour toutes les époques. Parfois j’avais la sensation presque physique de me retrouver à la cour de Charlemagne, ou bien de suivre François 1er dans sa charge de perdition à Pavie, ou bien encore de monter à l’assaut du plateau de Pratzen, près du village d’Austerlitz. La puissance d’évocation qu’on parvient à mettre en œuvre est étonnante : on peut avoir l’impression parfois que ce ne sont pas seulement les mots qui nous environnent, mais qu’ils n’ont pas tout à fait abandonné les présences ou les images dont ils étaient la manifestation sonore. Mais ce ne sont que des sensations fugitives, utiles à la concentration et à l’écriture, n’allez pas conclure hâtivement que faire de l’histoire conduit à l’hallucination… Ces sensations sont simplement le fruit d’un investissement personnel total dans un sujet riche et dense – fruit de la passion dans ses délices et sa symbolique…

    L’écriture de l’histoire de France vous a-t-elle donné envie de composer d’autres livres sur le sujet ?

    Bien sûr ! Vous rappeliez tout à l’heure Mort d’un kiosquier qui fut un livre où je mariais l’histoire à la littérature. Je ne manque ni de projets ni de propositions où l’une et l’autre seraient appelées à vivre de nouvelles aventures passionnelles au terme desquelles, dans quelques mois, il y aura forcément une naissance…

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