• Les livres pratiques

    by  • 7 août 2003 • Entretiens

    Entretien réalisé en août 2003 à l’occasion de la création du site Internet de Jean-Joseph Julaud et de la parution de Café grec.

    D’où vous vient l’idée des Petits Livres du français correct ?

    Depuis fort longtemps, j’entends qu’on se désole partout sur les erreurs commises ici ou là dans la pratique de la langue, sur l’appauvrissement des structures, etc. Se désoler, c’est bien, me suis-je dit, mais c’est un peu stérile, aussi, j’ai décidé de faire quelque chose, d’agir. Rapidement, j’ai eu l’idée de proposer un petit livre contenant les réponses à toutes les questions qu’on se pose lorsqu’on parle ou qu’on écrit (ce sont toujours les mêmes), et puis de proposer ce petit à un tout petit prix : 15 francs à l’époque de sa première édition. J’ai proposé le projet chez First, il a été accepté, et aujourd’hui, après plusieurs éditions, nous approchons des quatre cent mille exemplaires vendus. En 1999, le Petit Livre du français correct a occupé pendant plusieurs semaines la première place des ventes de livres en France.

    Qu’est-ce qui, d’après vous, explique leur succès ?

    Leur petit format : on peut les mettre discrètement dans la poche, dans le sac, les consulter n’importe où, n’importe quand. Leur petit prix : pas plus de 20 francs, 3 euros à peine. Leur contenu : on y trouve tout ! Ce n’est pas parce qu’un livre sur la langue française est épais et lourd, ou qu’il coûte cher, qu’on est assuré qu’il sera complet ! La plupart du temps, on y fait du remplissage, on dilue beaucoup, ce qui n’arrange rien lorsqu’on veut effectuer une recherche rapide ! Les Petits Livres offrent cet avantage que le renseignement est trouvé presque dans la seconde qui suit. Après de nombreuses années d’enseignement, j’ai pu aller à l’essentiel et éviter d’encombrer les pages de renseignements qui ne servent jamais.

    L’éclectisme des deux petits livres « 800 questions » vous caractérise-t-il ?

    Je m’intéresse à tout ! Je lis chaque jour deux ou trois quotidiens, chaque semaine trois ou quatre hebdomadaires, je consulte des encyclopédies de toutes sortes dès qu’un nouveau sujet me passionne (en général plusieurs sujets par jour) et puis mille idées naissent au fil de mes lectures, des idées de création, des idées de livre pratique, d’essai, de nouvelles, de romans, je voudrais que chaque jour fasse au moins soixante-douze heures, mais c’est une extension qui ne plairait pas à tout le monde…
    Étonnamment, aujourd’hui, l’éclectisme paraît un peu décalé, presque suspect : on doit être spécialisé, et, plus on est spécialisé, plus on se situe au sommet de la pyramide des compétences, des connaissances. Paradoxe étonnant, car les connaissances sont toutes solidaires, et se spécialiser – bien que ce soit nécessaire dans certains domaines de recherche et de pratique – c’est stériliser une grande partie de ses capacités, c’est réduire sa propre envergure, c’est faire du vol à vue, ce qu’on appelle en aviation, du  » radada « , du rase-mottes : on connaît parfaitement bien les mottes, leur nombre, leur taille, leur évolution, mais on ignore l’espace, on ne connaît plus la distance salutaire qui met en perspective et permet de relativiser toute situation.
    On admire Léonard de Vinci qui pratiqua tous les arts, approfondit son savoir dans toutes les sciences, mais cet esprit encyclopédique ne correspond pas à l’esprit universitaire français qui a créé des couloirs étanches ou tant d’esprits se sentent contraints, où le savoir tend bien plus vers la souffrance que vers le plaisir.

    Où puisez-vous l’humour des livres pratiques ?

    Des livres pratiques seulement ? De l’humour, vous en trouverez dans tout ce que j’écris… Parce que cela correspond à ma nature, je ne puis m’empêcher de donner de l’effervescence aux mots, la platitude m’emplit d’une infinie tristesse, et je n’aime pas cet état où les mots ne rebondissent plus, où le temps se fait pesant et finit par gagner les êtres qui deviennent lourds, lourds, vous oppressent… L’humour est le meilleur vecteur qui soit pour la communication. Avec de l’humour, on peut tout assaisonner ou presque… Et puis, on peut l’utiliser comme détecteur : si la réaction à l’humour un peu élaboré, décalé plutôt, ne s’opère pas chez votre interlocuteur, vous êtes informé qu’il vaut mieux passer au large. Ce n’est ni regrettable ni décevant, c’est surtout du temps et de l’énergie de gagnés….

    L’amour de la langue française, c’est une affection innée ?

    Oui, j’ai toujours aimé les mots, les phrases, la cadence qu’on y perçoit, la musique qui s’y développe. Et, dès que j’ai compris que le pouvoir nous était accordé pour gouverner tout cela, je m’y suis investi.

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