La biche de Maurice Rollinat
by jjj • 2 juin 2014 • Poème quotidien • 1 Comment
Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2010.
Au cabaret du Chat Noir à Montmartre, on voit apparaître le soir un personnage qui joue et surjoue le rôle du poète décadent en bon hydropathe qu’il est, puisque l’eau le rend malade, comme Goudeau, fondateur du mouvement en 1878 : Maurice Rollinat (1846 – 1903). Filleul de George Sand, Rollinat est né à Châteauroux dans l’Indre. Etabli à Paris, il y publie en 1877 un recueil plein des douceurs de la nature « Dans les brandes ». Six ans plus tard, en 1883, paraît Les Névroses, un ensemble de chapitres où se succèdent, dans Refuges, des poèmes charmants, porteurs d’attachants paysages du Berry et d’Île-de-France, et dans Spectres puis Ténèbres, de noirs tableaux du quotidien de la désespérance : La Buveuse d’absinthe, Le Fou, Le maniaque, l’Hypocondriaque…
Du Baudelaire ?
Ce sinistre programme le rapproche de Baudelaire dans l’esprit des critiques, mais Rollinat critiquant les critiques, refuse cette image qu’il ne cesse pourtant de cultiver au Chat Noir d’une façon si ambiguë et si outrée qu’il en devient une caricature de lui-même. Tout cela n’empêche pas certains de ses poèmes de demeurer, lumineux et touchants, intacts dans la pensée de ceux qui, enfants, les apprirent, vous peut-être, sinon il n’est jamais trop tard : en quelques minutes vous allez accrocher dans votre mémoire ce tableautin délicat, émouvant : La Biche.
La Biche
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.
Pour raconter son infortune
À la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.
Mais aucune réponse, aucune,
À ses longs appels anxieux !
Et le cou tendu vers les cieux,
Folle d’amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.
Maurice Rollinat – Les Refuges, 1883
Voici maintenant « L’Enragée », un exemple du Rollinat qui joue les terribles, les matamores tout en rodomontades et noir panache pour assouvir des hydropathes la soif de petits scandales vespéraux au Chat Noir où la surenchère devient à la fois carte de visite et billet d’entrée :
L’Enragée
Je vais mordre ! Allez-vous-en tous !
La nuit tombe sur ma mémoire.
Et le sang monte à mes yeux fous !
Voyez ! ma bouche torse et noire
Bave à travers mes cheveux roux.
J’ai déjà fait d’horribles trous
Dans mes deux pauvres mains d’ivoire,
Et frappé ma tête à grands coups :
Je vais mordre !
Je m’abreuverais à vos cous
Si je pouvais encore boire.
Holà ! Je sens dans ma mâchoire
Un abominable courroux :
De grâce ! Arrière ! Sauvez-vous !
Je vais mordre !
Maurice Rollinat – Les Spectres, 1883
De mémoire d’enfant, je pense que « La Biche » fut un des premiers poèmes que j’ai appris en classes primaires. Je me vois encore le réciter debout, devant ma maîtresse…. Poème tendre et émouvant….
Merci Jean-Joseph Julaud !