• Registre de Patin, médecin

    by  • 18 décembre 2016 • Textes à lire • 0 Comments

    Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622 - 1673)

    Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622 – 1673)

    REGISTRE DE PATIN, MÉDECIN

    Registre de Patin, médecin.

    Soins donnés dans le Pavillon des Singes en la rue Saint-Honoré.                

    22 juillet 1630 – Marie, cinq ans, habitant chez ses parents dans le Pavillon des Singes, angle de la rue Saint-Honoré et des Vieilles Étuves, prise de fièvre forte depuis trois jours avec, ce soir, apparition de pustules, de telle sorte que le soupçon de petite vérole se confirme, sera saignée dans la journée qui suit, quatre fois, et si la chaleur du corps ne s’apaise, on continuera dans les jours prochains lesdites saignées dont le nombre pourra être porté jusqu’à huit. Elles se feront en alternance à l’oreille, au bras et au pied. On donnera par la bouche du petit lait clarifié, dulcoré qui contiendra la mesure ordinaire de soufre doré béchique, fébrifuge et céphalique. Au plus fort de la maladie, on ajoutera au lait soufré, avec bénéfice, une mesure d’eau de Millefleurs, choisie savonneuse chez les plus belles génisses du village de Clignancourt, et un demi-gros d’album graecum, séché parmi les grains de l’année et provenant des meilleurs chasseurs de la meute royale, de race pure.

    25 juillet 1630 – La petite Marie a rendu l’âme aux premières lueurs. Son père et sa mère l’ont veillée la nuit durant, constatant l’excellence de la médication ordonnée puisqu’avec le sang corrompu, on avait tiré le feu malin causant la fièvre : à la dernière opération, n’a coulé qu’un bref filet de sang clair signe sensible d’une guérison prochaine. On peut toutefois faire remontrance auxdits parents de n’avoir su dominer leur douleur, afin d’administrer la potion au petit lait dont l’album graecum eût contrarié la toux qu’ils ont dit précédant le soupir ultime.

    7 mai 1632 – La mère de l’enfant emporté par la petite vérole voilà deux ans, en juillet – prénommée Marie également – présente un état de faiblesse qui appelle des traitements énergiques. Vu la qualité de la maison, on s’est adjoint un philiâtre qui a goûté la matière molle du matin et la matière liquide des vesprées. Le peu de réponse à la saveur, et par trituration, à l’odeur, révèle que la maladie s’est endormie, mais à la façon des gros gibiers malins dont il faut craindre le sursaut. On donnera donc du soufre doré dans un mélange proportionné de petit lait, d’eau de Millefleurs et d’or potable auquel sera mélangé un gros d’album graecum, ramolli dans l’eau de vie de genièvre, le tout aura les vertus emménagogues recherchées, augmentées de bonnes influences mésentériques, diaphorétiques et alexipharmaques. On donnera un julep hépatique et soporatif ainsi que des clystères, composés selon ordonnance, cinq fois par jour. On saignera jusqu’à l’obtention d’un bref filet de sang clair.

    10 mai 1632 – Marie Cressé, épouse de Jean Poquelin, tapissier du roi, demeurant avec son époux, Pavillon des Singes, a passé, dans la nuit. L’observation du corps faite ce matin permet d’avoir la certitude que la guérison était proche. On peut regretter que le mari, voyant les oppressions de poitrine couper le souffle de sa femme, n’ait pas eu le cœur de la saigner lui-même avec la lancette dont il disposait. Elle s’en fût mieux portée et serait guérie maintenant, ou presque, car une omission dans la remédiation est apparue. En effet, ayant constaté l’atonie de la prunelle dès le premier jour de consultation, il eût été nécessaire d’ajouter à l’or portable un demi-gros de peau de vipère séchée en poudre. La vipère a le regard vif et intrépide, et c’est fort à propos que les Anciens lui ont attribué de fortifier la vue.

    15 février 1633 – Louis et Jean-Baptiste, deux des cinq enfants que Marie Cressé a laissés à son époux Jean Poquelin, sont malades. Leur père a demandé consultation. La fièvre part du tréfonds de la gorge avec gonflement et boursouflure à la racine de la langue. La toux est régulière, fortement irritée, la respiration sifflante ; et la fièvre augmente à mesure que le regard perd de son acuité. On saignera donc quatre fois par jour et l’on portera le nombre jusqu’à huit si l’effet constaté est trop lent. On donnera par la bouche du petit lait édulcoré, clarifié qui contiendra la double mesure de soufre doré béchique, fébrifuge et céphalique. On ira chercher à Clignancourt où se trouve le grand abattoir, de l’eau de Millefleurs des génisses de l’Île de France – cette urine savonneuse a fait merveille auprès d’un prince – ; on y fera dissoudre en égales proportions un demi-gros d’album graecum et de stercus nigrum vieillis dans le grain de Beauce – la crotte du chien chasseur verse dans le sang du principe énergétique, celle du rat prépare à l’économie des forces vives qu’on a peut-être trop dépensées, et les fragrances du grain de Beauce sont réputées pour redonner l’appétit. Il sera ajouté à cela de la poudre de vipère pour faire revenir les lumières du regard.

    16 février 1633 – Louis et Jean-Baptiste Poquelin vont mal. C’est que les médications ne trouvent qu’avec difficulté le passage dans les gorges trop enflées. Et les deux garçons montrent peu d’empressement pour se soigner. Leur père a la faiblesse de les excuser, disant que les saignées sont peut-être trop nombreuses. Comment ce bonhomme veut-il donc que l’on soigne ses enfants ? Les saignées vont être accélérées au contraire, car si pour Louis on a constaté que persistaient les humeurs pourries, il n’en va pas de la même façon pour Jean-Baptiste qui trottera peut-être demain après un cerceau tant le filet de sang à son oreille fut bref et clair. Les peaux blanches rejetées par la toux et cueillies dans la gorge seront séchées, réduites en poudre pour faire l’assaisonnement du catholicon ordinaire.

    17 février 1633 – Jean-Baptiste Poquelin est mort. Il avait onze ans. Il a passé dans la maison de son père dite « Pavillon des Singes » en raison du poteau cormier où l’on voit, sculpté, un oranger aux branches duquel se suspendent six singes qui se passent des fruits de la main à la main, cependant que le septième ramasse ceux qui sont tombés. Dans les prochaines médications, il sera incorporé de l’orange, car elle paraît donner l’agilité, le goût pour l’altitude, et le soin de ne rien perdre. La mort du jeune Poquelin a deux causes : le refus inconscient de la médication au point qu’il fallut le contenir pour le saigner, et la vilaine action de Louis Cressé, son grand-père, arrivé de sa maison de Saint-Ouen le 16 au soir. Il a ouvert toute grande la fenêtre pour y lancer le petit lait et l’eau de Millefleurs avec leurs éléments, tout cela tombant dans la rue Saint-Honoré, sur des passants. Le désespoir seul explique ce geste mais les préparations demeureront dues… Il est certain qu’elles eussent, avant qu’il fût longtemps, guéri le jeune Jean-Baptiste.

    22 février 1633 – Louis Poquelin, dix ans est guéri. Depuis cinq jours, veillé par son grand-père, il n’a pris aucune médication. Sa guérison totale montre assez que les effets du traitement ordonné ont été heureusement prolongés dans le temps, sans qu’il y ait de nouvelles administrations ou opérations. La valeur de l’eau de Millefleurs, de l’album graecum, et sequentes, s’augmentent donc de vertus duratives dans le moyen terme des cinq jours suivant l’arrêt de leur prise. Cette qualité économique sera désormais connue et répandue.

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    Registre de Villemoison

    Médecin successeur de Patin

    11 janvier 1634 – En la maison dite « Pavillon des Singes » rue Saint-Honoré, naissance de Catherine-Espérance, fille de Catherine Fleurette, vingt ans, et de Jean Poquelin, trente-neuf ans, veuf de Marie Cressé décédée selon l’article de ce registre, le 10 mai 1632.

    9 janvier 1635 – En la maison « Le Pavillon des Singes », naissance de Nicolas, fils de Catherine et Jean Poquelin.

    12 janvier 1635 – Mort de l’enfant Nicolas Poquelin.

    8 janvier 1636 – Catherine Fleurette, épouse de Jean Poquelin, après avoir conduit son travail pour l’accouchement selon les sages conseils de deux matrones, a été prise de faiblesse consécutivement à des pertes de sang. L’enfant étant mort du trop de temps qu’il a mis à venir au monde, sa mère n’a pu trouver l’énergie que donne aux parturientes le cri du nouveau-né. Elle s’est laissée glisser dans la mort au petit matin, malgré les grands feux entretenus toute la nuit pour empêcher que le froid du dehors la gagne. Elle repose dans la chambre du premier étage.

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    Jean-Joseph Julaud, le 3 décembre 1991 – Récit uchronique extrait de « Mort d’un kiosquier » paru en 1994

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    Jean-Baptiste Poquelin qui devait devenir Molière perdit sa sœur Marie, cinq ans, en 1630 ; sa mère Marie Cressé, trente et un ans, en 1632 ; son frère Louis, dix ans, en 1633 ; sa belle-mère Catherine Fleurette, vingt-deux ans, en 1636 ; son grand-père Louis Cressé et sa grand-mère Marie Asselin en 1638. Jean-Baptiste et Louis furent atteints ensemble de la même maladie. Celui-ci en mourut…

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