• 21 au 28 mai 1871 : la semaine sanglante

    by  • 17 mai 2016 • Jadis ou naguère • 0 Comments

    Une rue à Paris en mai 1871. Peinture à l'huile (1905) de Maximilien Luce. Musée d'Orsay, Paris.

    Une rue à Paris en mai 1871.
    Peinture à l’huile (1905) de Maximilien Luce. Musée d’Orsay, Paris.

    Extrait de « L’Histoire de France pour les Nuls », éditions First, 2004.

    La Commune de Paris

    Ce sont les classes les plus modestes de la capitale qui vont s’insurger contre le gouvernement royaliste issu des élections de février 1871, contre Thiers, contre la province qui se méfie des Parisiens, contre la bourgeoisie.

    « Nous brûlerons Paris ! »

    « Ce sont nos canons, nous les avons payés ! Si on nous les arrache, nous brûlerons Paris ! » Voilà qui est clair : les fédérés ne veulent pas s’en laisser conter, ils vont résister ! Thiers se frotte les mains : l’occasion est belle, il va écraser une révolution, et de façon si brutale, si féroce que cet exemple coupera l’envie d’en faire autant aux générations futures ! D’ailleurs, les gens d’affaires, les banquiers, les industriels lui réclament de rétablir l’ordre, et de commencer d’abord par cette affaire des armes de Montmartre : « Vous ne parviendrez jamais à faire d’opération financière, lui ont-ils dit, si vous n’enlevez d’abord ces canons aux fédérés ! » Le 10 mars, l’Assemblée se transporte de Bordeaux à Versailles. Elle prend deux mesures qui ressemblent à des mises à feu : le délai accordé aux Parisiens pour payer leur loyer – en raison des événements – est abrogé ; la solde des gardes nationaux – seule ressource pour la plupart d’entre eux – est supprimée ! Le 15 mars, Adolphe Thiers s’installe à Paris, au Quai d’Orsay. Le 17 mars, il ordonne l’enlèvement des canons de Montmartre. L’explosion est imminente !

    « Feu ! » sur les déserteurs…

    Comme des chenilles processionnaires, les soldats du gouvernement de Thiers ont envahi les XVIIIème et XIXème arrondissements. On leur a dit que les canons qu’ils doivent rapporter ont été dérobés à l’État par des voleurs et des assassins – les Parisiens. Vers dix heures du matin, les soldats tiennent toute la Butte Montmartre. Ils attendent les chariots pour transporter les canons. Chariots qui n’arrivent pas. Les femmes de la Butte sortent alors de leurs logis, elles apportent des boissons et des sourires qui réchauffent les hommes de troupe. Beaucoup se laissent gagner par leur sympathie et passent du côté des fédérés. Bientôt, aux battements des cœurs pleins d’espoir de paix, le tocsin répond, se met à sonner ! Le général Lecomte qui commande la troupe gouvernementale menace de mort ceux qui viennent de déserter. Les repérant dans la foule mêlée de femmes, d’hommes et d’enfants, il les fait mettre en joue, crie « Feu ! », mais ses soldats lèvent la crosse, fraternisent avec les Montmartrois dans la liesse générale. Au milieu de l’après-midi, Lecomte et un autre général, Clément Thomas, sont emmenés au Château-Rouge. Ils sont exécutés contre le mur d’un jardin, de plusieurs balles à bout portant.

    Thiers panique !

    Quoi ? Les soldats fraternisent avec le peuple ? Au ministère des affaires étrangères, Thiers est pris de panique ! Il s’enfuit à Versailles, suivi de nombreux bourgeois que le pouvoir de la rue effraie. Le 18 mars 1871, à onze heures du soir, le comité central de la Commune – nom qui sera adopté le 26 mars –  est installé à l’Hôtel de Ville de Paris. C’est l’enthousiasme général dans un Paris plein de rêves et de printemps. Jules Vallès, l’écrivain, l’Insurgé, exulte ; dans son journal Le Cri de Paris, il parle de flambée d’espoir et de parfum d’honneur. Cette flambée, ce parfum vont durer soixante-douze jours, pas un de plus.

    Un mouvement parisien

    Du 18 au 26 mars, le printemps de la capitale se répand en province : Toulouse, Narbonne, Marseille, Lyon, Saint-Étienne installent des communes autonomes, mais elles sont vite supprimées par les autorités en place. Malgré le soutien apporté par certains départements, par des pays européens, le mouvement va demeurer essentiellement parisien, manquant de temps, d’argent – les réserves de la banque de France ne seront pas touchées par les communards qui ne veulent pas être pris pour des voleurs, alors que Thiers en bénéficiera pour atteindre ses objectifs – pour s’organiser et se développer.

     

    La commune : une idée du Moyen Âge

    L’idée de la commune est née de l’essor du commerce au XIème siècle. La commune, c’est un groupe humain correspondant à une ville, petite ou moyenne, dans laquelle les liens entre les individus vont être renforcés par un pacte de concorde, par l’assurance que chacun va agir pour la paix. Il s’agit pour les gens des villes, quelles qu’elles soient, de s’assurer une sorte d’indépendance par rapport au seigneur. Indépendance morale et financière. Leur direction est assurée par les membres les plus influents du groupe – en général par les marchands fortunés. La ville draine le fruit du commerce qu’elle effectue, elle redistribue ses richesses, notamment par l’utilisation du crédit.

    Peu à peu, au XIIème siècle, les communes favorisent l’émergence de la classe bourgeoise qui concurrence l’aristocratie et le clergé. Elle permet également à beaucoup de petites villes, de petits bourgs de demander l’exemption des charges les plus lourdes exigées par le pouvoir central. Celui-ci va réagir avec Louis IX – Saint Louis – qui, voyant le pouvoir monarchique s’émietter et prendre le risque de disparaître, exige de tous les maires, en 1256, un état annuel des comptes de leur commune. Le pouvoir central reprend ses droits, par la ruse ou par la force, et peu à peu, les communes se fondent dans l’unité nationale. Mais jamais l’idée de commune n’a disparu. Elle revit pendant la Révolution, entre 1789 et 1795. Elle renaît en 1871, pour soixante-douze jours.

    Pas de pain frais !

    Les séances de la Commune, à Paris sont brouillonnes et houleuses dans les premiers jours. Cependant, des décisions sont prises :

    Le drapeau rouge est adopté.

    Le calendrier révolutionnaire est rétabli.

    Le 2 avril 1871, la séparation de l’église et de l’État est votée.

    La laïcité est proclamée.

    L’enseignement devient entièrement gratuit pour les garçons et pour les filles.

    Des écoles professionnelles sont ouvertes.

    Tous ceux qui ont déposé des effets au Mont-de-piété peuvent aller les reprendre gratuitement.

    Le travail de nuit des boulangers est supprimé – mesure qui désole les Parisiens qui adorent le pain frais…

    Le traitement des fonctionnaires est limité, le cumul des fonctions interdit

    Les jeux de hasard sont interdits, les maisons de tolérance fermées, les ivrognes arrêtés.

    Attaqués par des bêtes féroces

    Toutes ces décisions s’inscrivent dans un projet bien plus vaste qui vise à la décentralisation : pour reprendre l’idée née au XIIème siècle, des communes autonomes seraient crées dans toute la France, rassemblées dans une grande fédération de la liberté. La toute puissance de l’État serait supprimée. C’est l’antithèse du jacobinisme centralisateur qui est en marche ! Mais les rêves des communards vont être éphémères. Dès le 3 avril 1871, ils  subissent une défaite contre les Versaillais lors d’une sortie tentée au Mont Valérien : deux de leurs chefs sont fusillés, de nombreux prisonniers sont emmenés à Versailles où la commune de Paris a été décrite par des gens bien intentionnés comme  une fête orgiaque, une bacchanale ininterrompue organisée par des hommes devenus des monstres ! Les prisonniers qui défilent sont alors couverts de crachats, lacérés, certains ont les oreilles arrachées, les yeux crevés. Voyant leurs blessures, des témoins croiront qu’ils ont été attaqués par des bêtes féroces.

     

    Le mirliton

    La colonne Vendôme ! Le symbole de la barbarie guerrière ! Le souvenir des guerres impériales ! Il faut la détruire. La décision est prise le 12 avril 1871. Elle ne sera exécutée que le 16 mai 1871. Le peintre Gustave Courbet, membre du comité central de la Commune dirige la destruction de ce qui, malgré tout, ressemble à une œuvre d’art – mais qu’il appelle le mirliton.  Un lit de fumier et de fagots a été préparé pour la recevoir au sol. Malheureusement le lit n’est pas assez épais : elle l’écrase, et se brise en mille morceaux ! Beaucoup des débris sont jetés, on récupère ce qu’on peut – c’est-à-dire très peu –  du bronze des canons d’Austerlitz… En juin, Courbet sera arrêté et emprisonné, puis rendu responsable de la destruction de la colonne. Enfin, on le contraindra à financer sa reconstruction. Il devra s’exiler en Suisse, l’État français se payant en confisquant ses œuvres ! La nouvelle colonne Vendôme est identique à la première, mais contient fort peu de souvenirs concrets de la bataille du 2 décembre 1805.

     

    21 au 28 mai 1871 : la semaine sanglante

    L’aventure des communards va se terminer dans le sang et l’horreur. La société dont ils rêvaient, dont ils avaient tracé les plans, et qu’ils se préparaient à bâtir, est écrasée par le rouleau compresseur des Versaillais de Thiers et ses soldats en majorité venus de province.

    Le traître Ducatel

    « Paris sera soumis à la puissance de l’État comme un hameau de cent habitants ! » C’est ce qu’affirme haut et fort Adolphe Thiers qui déclare la guerre à outrance aux Communards. La terrible semaine sanglante va commencer, le 21 mai 1871. C’est un fédéré, un nommé Ducatel, qui va jouer les traîtres et indiquer aux Versaillais sous les ordres de Mac-Mahon, que le bastion 64 des remparts, situé près de la Porte de Saint-Cloud, n’est pas gardé, qu’ils peuvent passer en toute tranquillité ! Delescluze, un idéaliste républicain, commande les communards, sans parvenir à asseoir une autorité suffisante pour que les troupes se montrent efficaces contre les  soixante-dix mille Versaillais qui se répandent dans Paris au cours de la nuit du 21 au 22 mai.

    Paris brûle !

    Le 23 mai, ils occupent Montparnasse, les Invalides, la gare Saint-Lazare. Les communards élèvent en hâte cinq cents barricades supplémentaires – celles qui ont déjà été construites ressemblent à des fortifications. Le mot d’ordre qui s’est répandu parmi les communards tient en une formule : « Plutôt Moscou que Sedan ! » Moscou, c’est le souvenir de l’incendie du 14 septembre 1812 ! Le 23 mai 1871, Paris brûle : le palais des Tuileries – qui ne sera pas reconstruit – , la bibliothèque du Louvre, l’Hôtel de Ville, le Quai d’Orsay, le Palais de Justice, le Palais-Royal, tout cela a été arrosé de pétrole, bourré de poudre, tout explose et flambe ! Le 24 mai, la troupe des Versaillais – troupe rurale à qui Thiers a dit : « Soyez impitoyables ! » – fusille tout ceux qu’elle rencontre. Les fédérés décident une riposte qui va multiplier l’ardeur de la vengeance : Monseigneur Darboy et des prêtres otages depuis quelques semaines sont passés par les armes.

     

    La vierge Rouge

    Au cœur de la mêlée : Louise Michel, surnommée La vierge rouge de la Commune. Fille naturelle d’une femme de chambre et d’un aristocrate, elle est née en 1830. Devenue institutrice, fascinée par Victor Hugo, elle lui envoie envoie ses poèmes et le rencontre en 1851. Défenseur des droits de la femme, engagée en politique aux côtés de Vallès – de Théophile Ferré aussi, son seul amour, jamais déclaré, et qui, à 24 ans sera exécuté le 8 novembre 1871 – elle lutte de toutes ses forces contre les Versaillais. Après la Commune, elle sera déportée en Nouvelle-Calédonie où elle soutiendra les Canaques. Revenue en France, elle publie de nombreux ouvrages et donne des conférences. Elle meurt en 1905.

     

    Des enfants de cinq ans fusillés

    Le 25 mai, les fusillades se multiplient. Delescluze tombe sur une barricade. Louise Michel se bat avec l’énergie du désespoir à Montmartre. Le 26 mai, les fédérés exécutent quarante-sept otages, des prêtres, des séminaristes et des gendarmes. Le 27 mai, les Versaillais investissent le cimetière du Père-Lachaise occupé par des centaines de fédérés, dont beaucoup de blessés. Tous sont exécutés. Le 28 mai, vers 11 h, Belleville se rend. À 15 h les combats prennent fin, et Mac-Mahon peut déclarer : « Paris est délivré ! » À quel prix ! Des enfants de cinq ans ont été alignés contre un mur, et fusillés ! Des femmes et leurs bébés au sein sont tombés sous les balles ! Les passants qui portaient des vêtements, des chaussures rappelant la couleur des fédérés ont été massacrés. Dans les hôpitaux, les Versaillais ont tué au fusil, à la baïonnette ou au couteau les blessés, les malades, hommes, femmes, enfants, vieillards. Plus tard, l’un des massacreurs aura cette excuse facile et dérisoire : « On était comme fous ! »

    Trente mille victimes

    Le bilan de la Commune – ou guerre civile – est terrible : plus de trente mille victimes en une semaine ! La Terreur en 1793 – 1794 en avait fait cinq fois moins en cinq fois plus de temps ! Les survivants sont arrêtés et jugés. Des milliers de condamnations à mort, aux travaux forcés ou à la déportation en Algérie, en Nouvelle-Calédonie sont prononcées. Thiers triomphe et justifie son action en transmettant aux préfets cette déclaration : « Les condamnations doivent apprendre aux insensés qu’on ne défie pas en vain la civilisation ». Autre déclaration, celle d’Émile Zola : « Ceux qui brûlent et qui massacrent ne méritent pas d’autre juge que le coup de fusil d’un soldat ! Une justice implacable a été conduite dans les rues. Les cadavres se sont décomposés avec une rapidité étonnante, due sans doute à l’état d’ivresse dans lequel ces hommes ont été frappés ! »…  À l’issue de la Commune, Paris a perdu ses peintres, ses plombiers, ses couvreurs, ses cordonniers, sa foule de petits artisans, ses rêves d’indépendance. Il faudra attendre une quarantaine d’années avant que la Commune de Paris quitte l’optique des Versaillais qui la présentaient comme l’action irréfléchie d’une masse d’ivrognes en goguette ! Seuls Verlaine, Rimbaud et Victor Hugo eurent pour elle un regard lucide et généreux. Flaubert, dans sa correspondance, veut noyer tous les communards, tous les ouvriers dans la Seine… Théophile Gautier, les frères Goncourt, Ernest Renan, Alphonse Daudet, George Sand sont du même avis…

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