• Ballade des dames du temps jadis (en français d’aujourd’hui)

    by  • 8 août 2015 • Poème quotidien • 0 Comments

     

    Abélard et Héloïse - Le Pallet en Loire-Atlantique.

    Abélard et Héloïse – Le Pallet en Loire-Atlantique.

     

     

    Dites-moi où, en quel pays,

    Est Flora, la belle Romaine,

    Alcibiade et Thaïs,

    Qui fut sa cousine germaine;

    Écho, qui parle quand bruit on mène

    Sur la rivière ou sur l’étang,

    Et qui eut beauté surhumaine.

    Mais où sont les neiges d’antan ?

     

    Où est la très sage Héloïse,

    Pour qui fut châtré puis moine

    Pierre Abélard à Saint Denis?

    Pour son amour il subit cette peine.

    Semblablement où est la reine

    Qui ordonna que Buridan

    Fût jeté en sac dans la Seine?

    Mais où sont les neiges d’antan ?

     

    La reine Blanche comme lis,

    Qui chantait à voix de sirène;

    Berthe au grand pied, Béatrix, Aélis,

    Eremberg, qui possédait le Maine,

    Et Jeanne la bonne Lorraine,

    Qu’Anglais brûlèrent à Rouen,

    Où sont-elles, où, Vierge souveraine?

    Mais où sont les neiges d’antan ?

     

    Prince, ne vous enquérez dans cette semaine
    Où elles sont, ni dans cet an,
    Qu’à ce refrain je ne vous ramène :
    Mais où sont les neiges d’antan ?

     

    François Villon – Le Testament, 1462

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    Extrait de « La Poésie française pour les Nuls », éditions First, 2010 :

    François Villon, le bon garçon…

    On ne sait trop qui il est, d’où il vient. Il ne sait où il va. Il est passé par ici, il repassera par la case prison chaque fois qu’il le faudra, pour avoir fauté ici où là. Et toujours, son plus que père, le chapelain Guillaume Villon, le sauvera. Lais et Testament, voilà l’héritage de François, prénom de Villon le poète, grand lecteur de Rutebeuf et d’autres, à qui il emprunta certains thèmes, les traitant à sa façon, et les rendant inimitables. Peu d’invention chez cet as de la ballade. Du charme et du venin ; une âme avec des bleus partout. Beaucoup de lui, un peu de nous…

    Paris, 5 juin 1455, une rixe fait un mort

    Paris. Jeudi de la Fête-Dieu, 5 juin 1455. Rue Saint-Jacques, sous le cadran de l’église de Saint-Benoit le Bétourné, ainsi nommée parce que son chœur est tourné vers l’ouest et non vers l’est comme pour les autres églises, François de Moncorbier se repose sur un banc de pierre en compagnie d’un prêtre nommé Gilles et d’une jeune et belle Ysabeau. Le trio rit, s’amuse, s’esclaffe, quand survient soudain un autre prêtre, Philippe Sermoise. Le trio ne rit plus ni ne s’amuse ni ne s’esclaffe tant ce Sermoise a l’air sombre. Sa colère éclate : c’est à François qu’il en veut. Parce que Ysabeau… et que Ysabeau et François… et qu’elle Ysabeau, avec François… Bien, on a compris…

    Sermoise meurt

    Le trio se lève, se dirige vers la porte du cloître de Saint-Benoît. Sermoise tire alors une dague cachée sous son manteau, se précipite sur François qui n’a pas le temps d’esquiver le coup : ses lèvres sont fendues, il saigne abondamment. A son tour, il tire sa dague et en donne un coup à Sermoise qui malgré tout attaque encore. François lui lance une pierre au visage. Sermoise tombe. Il est emmené à l’hôtel Dieu, et dans la soirée, au bout de son sang, meurt après avoir pardonné à François. Oui mais… la justice enquête et bannit François pour un an.

     

    Paris, Noël 1456 : vol important au collège de Navarre

    Paris, nuit de Noël 1456. Le collège de Navarre est désert. Presque désert… On entend des pas furtifs, des froissements d’étoffe, des cliquetis feutrés, et comme un bruit d’écus qui s’entrechoquent. Bientôt, dans la nuit glacée, trois ou quatre ombres glissent contre les murailles, gagnent la rue, disparaissent. Personne n’aurait connu les auteurs de ce fructueux fric-frac, cinq cents écus d’or, si l’un d’eux n’avait tout raconté un soir de 1457, ivre dans une  taverne près de Notre-Dame. Et quel nom livra-t-il, entre autres ? François, le même François que celui de la dague meurtrière…

    Qui suis-je ?

    Vite, François, il faut fuir sinon vous serez pendu ! Soit, je m’enfuis à Angers, je tente ma chance auprès du roi René d’Anjou, comme moi poète, mais auparavant, j’écris un Lais pour dire adieu, une forme de congé, quarante strophes de huit octosyllabes. Moi, François Villon… Vous, François Villon ? Oui et non mon nom, mon vrai nom vous échappera toujours. On m’appelle Monterbier ou Montcorbier, ou des Loges, on m’attribue toute sorte d’ascendance, on me dit noble, ou sorti du ruisseau, mais ce dont je suis sûr c’est que je ne serais rien sans mon plus que père, Maître Guillaume Villon, professeur de droit ecclésiastique et chanoine de Saint-Benoît-le-Bétourné. C’est lui qui m’a conduit vers le grade de maître es arts, je suis clerc.

    Paris, automne 1462, un notaire blessé par des malfrats

    Paris, un soir d’automne en 1462. Quatre compères dînent rue de la Parcheminerie à Paris, puis sortent, fort joyeux, vers la rue Saint Jacques qu’ils comptent remonter jusqu’au cloître de Saint-Benoit-le-Bétourné. Parmi eux, François, notre poète qui vient d’achever l’écriture de son œuvre majeure : Le Testament composé de ballades,  d’octosyllabes d’adieu renouvelés aux amis, aux ennemis, aux femmes aimées. Mais… en face du couvent des Marthurins, travaille encore à la lueur des bougies un notaire pontifical, maître Ferrebouc. Le quatuor se met à l’invectiver si bruyamment que Ferrebouc descend. Courte bagarre. Une dague est sortie. Ferrebouc est blessé. La justice cette fois condamne tout le monde au gibet ! Villon va être « pendu et estranglé ». Plus de rémission possible, il a été déchu de son titre de clerc qui lui garantissait un jugement auprès du tribunal ecclésiastique.

    Est-il mort ?

    Que faire ? Villon tente sa chance, écrit une ballade de circonstance, l’envoie à la Cour du Parlement… qui commue la peine capitale en bannissement pour dix ans. Le 5 janvier 1463, Villon François est conduit aux portes de Paris. Ordre lui est donné de ne plus y reparaître avant 1473. On ne le reverra jamais. Il était né en 1431. Où est-il mort ? Est-il mort ? On n’en sait rien ! De même que pour les cinq années qui vont de 1457 à 1462, on n’est sûr de rien.

    Des questions sur Villon ? Des réponses…

    A-t-il comme on le pense appartenu à la fameuse bande des coquillards, sorte de mafia de l’époque, qui terrifiait les campagnes ? Oui, sans doute…

    A-t-il séjourné à Angers chez le roi René ? C’est fort probable.

    Existe-t-il des traces écrites de son errance ? Oui, des ballades déposées de sa main parmi celles de Charles d’Orléans au château de Blois, lors d’un concours de poésie.

    Aucun doute, en revanche sur son séjour dans la « dure prison de Meung », à Meung-sur-Loire, en 1461…

    Pourquoi Thibault d’Aussigny, l’évêque d’Orléans l’y a-t-il jeté ? On ne le saura sans doute jamais ; on peut cependant le supposer en lisant ce vers de l’emprisonné : « Je ne suis son serf, ni sa biche… ».

    C’est le passage de Louis XI dans la ville de Meung qui tire Villon de ce mauvais pas.

     

    Une rêverie baroque et violente

    Poète notre homme, et truand maladroit, malchanceux. Inventeur ? Non, il utilise des formes existantes : ballades, doubles ballades, et reprend le congé – rappelez-vous Jean Bodel d’Arras, Adam de la Halle… Sa poésie pourtant nous touche, plus que toute autre de ces temps troublés de la guerre de Cent Ans, une poésie de la mélancolie, de la nostalgie, de la misère de l’humaine condition, des images des bas-fonds ; la turpitude et le regret du crime pour la première fois hôtes de strophes plus sincères que tous les épanchements doucereux des cœurs de trouvères. Colporteur de son propre mystère, il nous laisse à l’orée d’une rêverie baroque et violente, avec des mots volés dans les enfers et dans son paradis. C’est là qu’il vit.

    Villon en œuvres

    Le Lais – 1456

    Le Testament – 1462

     

    Ballade des dames du temps jadis en moyen français

    Dictes moy où, n’en quel pays,

    Est Flora, la belle Romaine ;

    Archipiada, ne Thaïs,

    Qui fut sa cousine germaine ;

    Echo, parlant quand bruyt on maine

    Dessus rivière ou sus estan,

    Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?

    Mais où sont les neiges d’antan !

     

    Où est la très sage Heloïs,

    Pour qui fut chastré et puis moyne

    Pierre Esbaillart à Sainct-Denys ?

    Pour son amour eut cest essoyne.

    Semblablement, où est la royne

    Qui commanda que Buridan

    Fust jetté en ung sac en Seine ?

    Mais où sont les neiges d’antan !

     

    La royne Blanche comme ung lys,

    Qui chantoit à voix de sereine ;

    Berthe au grand pied, Bietris, Allys ;

    Harembourges, qui tint le Mayne,

    Et Jehanne, la bonne Lorraine,

    Qu’Anglois bruslèrent à Rouen ;

    Où sont-ilz, Vierge souveraine ?…

    Mais où sont les neiges d’antan !

     

    Prince, n’enquerrez de sepmaine

    Où elles sont, ne de cest an,

    Qu’à ce refrain ne vous remaine :

    Mais où sont les neiges d’antan ?

     

    François Villon – Le Testament, 1462

     

     

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